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17/05/2018 | FRANCE | N°17NC00829;17NC00838

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 17 mai 2018, 17NC00829 et 17NC00838


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. I...F..., Mme E...F...et la SARL Feufollet, d'une part, et M. H...G...et Mme D...A...épouseG..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de la commune d'Asswiller a rejeté leurs demandes du 19 juin 2014 tendant à ce qu'il mette en oeuvre ses pouvoirs de police pour faire cesser les nuisances sonores excessives de la sonnerie des cloches de l'église du village.

Par deux jugements nos 1405548 et 1502680 du 8 févr

ier 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions at...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. I...F..., Mme E...F...et la SARL Feufollet, d'une part, et M. H...G...et Mme D...A...épouseG..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de la commune d'Asswiller a rejeté leurs demandes du 19 juin 2014 tendant à ce qu'il mette en oeuvre ses pouvoirs de police pour faire cesser les nuisances sonores excessives de la sonnerie des cloches de l'église du village.

Par deux jugements nos 1405548 et 1502680 du 8 février 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions attaquées en tant que le maire a refusé d'user de ses pouvoirs de police pour remédier aux nuisances sonores excessives liées aux sonneries de cloches entre 22 heures et 7 heures.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 7 avril 2017 sous le n° 17NC00829, la commune d'Asswiller, représentée par la SELARL Soler-Couteaux - Llorens, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1405548 du 8 février 2017 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a prononcé l'annulation partielle de la décision attaquée ;

2°) d'annuler la mesure d'injonction prononcée par le tribunal ;

3°) de rejeter la demande de M. I...F..., Mme E...F...et la SARL Feu Follet ;

4°) de mettre solidairement à la charge de M. et Mme F...les frais d'expertise ;

5°) de mettre solidairement à la charge de M. et Mme F...une somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Asswiller soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit en se fondant sur l'article R. 1334-33 du code de la santé publique qui n'est pas applicable aux sonneries de cloches litigieuses ;

- le tribunal s'est fondé sur une expertise privée non contradictoire et tronquée et sur une expertise contradictoire incomplète qui ne permettent pas d'établir que, par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période de 22 heures à 7 heures portent atteinte à la tranquillité publique, à plus forte raison que cette atteinte soit suffisamment grave pour justifier la mise en oeuvre par le maire de ses pouvoirs de police ;

- M. et Mme F...ne pouvaient pas ignorer l'existence de ces sonneries lorsqu'ils se sont installés à proximité de l'église ;

- à l'exception de M. et Mme F...et de M. et MmeG..., le reste de la population ne se plaint pas des sonneries et souhaite au contraire leur maintien.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2017, M. I...F..., Mme E...F...et la SARL Feufollet, représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par voie d'appel incident, d'infirmer le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs conclusions à fin d'annulation et en tant qu'il n'a pas mis à la charge de la commune la totalité des frais d'expertise ;

3°) d'enjoindre au maire de supprimer les sonneries des cloches de l'église entre 22 heures et 7 heures, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de supprimer les sonneries de la volée de 10 heures, sous la même astreinte, de réduire à une minute les sonneries des jours fériés nationaux et celles des dimanches de culte, sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de la commune une somme totale de 7 094,22 euros au titre des frais d'expertise ;

5°) de mettre à la charge de la commune une somme de 5 000 euros à leur verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme F...et la société Feufollet soutiennent que :

- la société Feufollet justifie d'un intérêt pour agir dès lors que les nuisances sonores provoquées par les cloches en période diurne l'empêchent de garder les fenêtres ouvertes et d'avoir une conversation téléphonique avec ses clients ;

- par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période de 22 heures à 7 heures, excédant les valeurs limites définies par le code de la santé publique, portent à la tranquillité publique une atteinte suffisamment grave pour justifier la mise en oeuvre par le maire de ses pouvoirs de police ;

- par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période diurne portent également une atteinte suffisamment grave à la tranquillité publique justifiant la mise en oeuvre par l'autorité administrative de ses pouvoirs de police.

Par un mémoire, enregistré le 2 novembre 2017, la commune d'Asswiller conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment et demande, en outre, à la cour de rejeter les conclusions d'appel incident de M. et Mme F...et de la société Feufollet.

La commune d'Asswiller soutient que les conclusions d'appel incident de M. et Mme F... et de la société Feufollet tendant à la suppression totale des sonneries nocturnes et de la volée de 10 heures du matin sont irrecevables car elles constituent une demande nouvelle, et qu'en outre, aucun des moyens soulevés à leur appui n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 décembre 2017 et 24 janvier 2018, M. I... F..., Mme E...F...et la SARL Feufollet concluent aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.

II. Par une requête, enregistrée le 7 avril 2017 sous le n° 17NC00838, la commune d'Asswiller, représentée par la SELARL Soler-Couteaux - Llorens, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1502680 du 8 février 2017 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a prononcé l'annulation partielle de la décision attaquée ;

2°) d'annuler la mesure d'injonction prononcée par le tribunal ;

3°) de rejeter la demande de M. H...G...et Mme D...A...épouseG... ;

4°) de mettre solidairement à la charge de M. et Mme G...une somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Asswiller soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a admis la recevabilité de la demande de M. et Mme G..., qui est tardive ;

- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit en se fondant sur l'article R. 1334-33 du code de la santé publique qui n'est pas applicable aux sonneries de cloches litigieuses ;

- le tribunal s'est fondé sur une expertise privée non contradictoire et tronquée et sur une expertise contradictoire incomplète, qui ne permettent pas d'établir que, par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période de 22 heures à 7 heures portent atteinte à la tranquillité publique, à plus forte raison que cette atteinte soit suffisamment grave pour justifier la mise en oeuvre par le maire de ses pouvoirs de police ;

- M. et Mme G...n'établissent pas être incommodés par les bruits de cloches, alors qu'ils sont installés à proximité de l'église depuis plus de 15 ans et ne s'en sont jamais plaints auparavant ;

- à l'exception de M. et Mme F...et de M. et MmeG..., le reste de la population ne se plaint pas des sonneries et souhaite au contraire leur maintien.

Par des mémoires en défense, enregistré les 13 juillet et 6 décembre 2017, M. H... G...et Mme D...A...épouseG..., représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par voie d'appel incident, d'infirmer le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs conclusions à fin d'annulation ;

3°) d'enjoindre au maire de supprimer les sonneries des cloches de l'église entre 22 heures et 7 heures, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de supprimer les sonneries de la volée de 10 heures, sous la même astreinte, de réduire les sonneries les jours fériés nationaux à une minute et de supprimer celles des dimanches de culte, sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de la commune une somme de 5 000 euros à leur verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme G...soutiennent que :

- leur demande n'a pas été présentée tardivement devant le tribunal ;

- par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période de 22 heures à 7 heures, excédant les valeurs limites définies par le code de la santé publique, portent à la tranquillité publique une atteinte suffisamment grave pour justifier la mise en oeuvre par le maire de ses pouvoirs de police ;

- par leur fréquence, leur intensité et leur durée, les sonneries des cloches de l'église pendant la période diurne, excédant les valeurs limites définies par le code de la santé publique, portent également une atteinte suffisamment grave à la tranquillité publique justifiant la mise en oeuvre par l'autorité administrative de ses pouvoirs de police.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 2 novembre 2017, la commune d'Asswiller conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment et demande, en outre, à la cour de rejeter les conclusions d'appel incident de M. et MmeG....

La commune d'Asswiller soutient que les conclusions d'appel incident de M. et Mme G... tendant à la suppression totale des sonneries nocturnes et de la volée de 10 heures du matin sont irrecevables car elles constituent une demande nouvelle, et qu'en outre, aucun des moyens soulevés à leur appui n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales,

- le code de la santé publique,

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,

- le décret n°2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la SARL Feufollet, M. et Mme F...et M. et MmeG....

Considérant ce qui suit :

1. M. I...F..., Mme E...F..., la SARL Feufollet, M. H... G... et Mme D...A...épouse G...se plaignent des nuisances sonores produites jour et nuit par la sonnerie des cloches de l'église de la commune d'Asswiller, implantée à proximité immédiate de leurs lieux d'habitation et, pour la société, de son siège social, situés impasse de l'église. Par des courriers du 19 juin 2014, reçus le lendemain, M. et Mme F...et la SARL Feufollet, d'une part, et M. et MmeG..., d'autre part, ont demandé au maire de la commune d'exercer ses pouvoirs de police pour faire cesser les nuisances sonores produites par les cloches de l'église.

2. Par des jugements nos 1405548 (M. et Mme F...et la SARL Feufollet) et 1502680 (M. et MmeG...) du 8 février 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions implicites nées du silence gardé par le maire sur ces demandes, en tant que ce dernier a refusé de remédier aux nuisances sonores excessives liées aux sonneries de cloches entre 22 heures et 7 heures.

3. Par les requêtes susvisées, enregistrées sous les nos 17NC00829 et 17NC00838, la commune d'Asswiller relève appel de ces jugements dans la mesure des annulations ainsi prononcées. Par voie d'appel incident, M. et Mme F...et la SARL Feufollet, d'une part, et M. et MmeG..., d'autre part, demandent à la cour d'annuler les jugements en cause en tant qu'ils ont rejeté le surplus de leurs demandes.

4. Les requêtes nos17NC00829 et 17NC00838 présentées par la commune d'Asswiller, sont relatives à des litiges connexes, présentent à juger des mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les appels principaux de la commune d'Asswiller :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal par M. et MmeG... :

5. Aux termes de l'article 19 de la loi du 12 avril 2000 susvisée : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) / Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa. / Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite ". En vertu de l'article 1er du décret du 6 juin 2001 susvisé, l'accusé indique la date à laquelle, à défaut d'une réponse expresse, la demande sera réputée acceptée ou rejetée et, lorsqu'elle est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, il mentionne les voies et délais de recours à l'encontre de cette décision.

6. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

7. Enfin, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

8. Il est constant qu'après avoir, le 20 juin 2014, reçu la demande présentée par M. et MmeG..., la commune ne les a jamais informés des voies et délais de recours à l'encontre de la décision de rejet de cette demande. En introduisant leur demande auprès du tribunal le 20 mai 2015, moins d'un an après ce recours et donc a fortiori moins d'un an après la date à laquelle ils ont pu avoir connaissance de la décision, M. et Mme G...ont, en tout état de cause, exercé leur recours juridictionnel contre cette décision dans un délai raisonnable. Par conséquent, la commune d'Asswiller n'est pas fondée à soutenir que leur demande a été présentée tardivement devant le tribunal.

En ce qui concerne le bien-fondé des jugements :

9. Aux termes de l'article L. 2542-2 du code général des collectivités territoriales : " Le maire dirige la police locale. Il lui appartient de prendre des arrêtés locaux de police en se conformant aux lois existantes ". Aux termes de l'article L. 2542-3 du même code : " Les fonctions propres au maire sont de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. Il appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité des campagnes ".

10. Aux termes de l'article R. 1334-31 du code de la santé publique, alors en vigueur : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité ".

11. Aux termes de l'article R. 1334-32 du même code : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1334-31 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1334-36 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1334-33, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article ".

11. Aux termes de l'article R. 1334-33 du même code : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 dB (A) en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en dB (A), fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier : 1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d'apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ; / 2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ; (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que, pendant la période nocturne de 22 heures à 7 heures, outre la volée de deux cloches de 5 minutes à 0 heures 03 le 1er janvier, l'une des cloches de l'église d'Asswiller sonne une fois les demi-heures et deux fois les heures ; par ailleurs, à partir de 6 heures 03, une volée de 220 coups sonne l'angélus pendant plus de 3 minutes.

14. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'étude d'impact acoustique réalisée par la société SAdB le 26 août 2009 à partir de mesures effectuées depuis la propriété de M. et MmeF..., que les bruits des sonneries horaires et demi-horaires, à plus forte raison celui de la volée de l'angélus, présentent une émergence globale très nettement supérieure aux valeurs fixées par l'article R. 1334-33 précité.

15. La circonstance que l'article R. 1334-32 précité ne mentionne pas expressément les bruits des sonneries civiles ou religieuses de cloches d'église ne fait pas obstacle à ce que l'atteinte qu'elles sont susceptibles de porter à la tranquillité publique soit appréciée au regard des dispositions précitées de l'article R. 1334-33, dès lors que celles-ci permettent de caractériser objectivement une telle atteinte.

16. Par ailleurs, bien qu'elle n'ait pas été réalisée de manière contradictoire, l'étude de la société SAdB comporte une description précise de la méthodologie employée, dont la pertinence n'est pas sérieusement contestée. Si les relevés ont été effectués entre 1 heure 38 et 6 heures 23 à l'intérieur et entre 0 heure 16 et 7 heures 16 à l'extérieur, ils peuvent être regardés comme valant pour toute la période allant de 22 heures à 7 heures du matin dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est pas soutenu, que le bruit des sonneries de cloches et le bruit résiduel varieraient sensiblement pendant cette période nocturne. D'ailleurs, alors que la période nocturne est celle où le niveau de bruit résiduel est le plus faible, la commune n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'évidente intensité des nuisances sonores qui ressortent des relevés effectués par la société SAdB. Elle ne peut, en outre, valablement se prévaloir des conclusions du rapport d'expertise déposé le 14 avril 2014, dès lors que l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg n'a procédé qu'à une campagne de mesures acoustiques, le 11 mai 2012, en fin de matinée et non de nuit, et n'a pas mesuré l'émergence globale des sonneries de cloches.

17. Enfin, à supposer même avérée la circonstance qu'une partie importante de la population de la commune soit attachée aux sonneries de cloches, auxquelles elle n'est au demeurant pas exposée dans les mêmes proportions que les intimés, cette circonstance n'est, en tout état de cause, pas de nature à atténuer la gravité de l'atteinte portée à la tranquillité publique par ces sonneries. La commune ne peut pas non plus utilement faire valoir que les intimés ont commis une imprudence en choisissant de s'établir impasse de l'église alors que la pratique de ces sonneries était connue.

18. Dans ces conditions, compte tenu de leur intensité et de leur fréquence, les sonneries horaires et demi-horaires, en période nocturne de 22 heures à 7 heures, sont de nature à porter atteinte à la tranquillité publique. Il en va de même, à plus forte raison, compte tenu de sa durée et de son intensité aggravée par l'usage de la volée de cloche, de la sonnerie de l'angélus à 6 heures 03.

19. Dès lors, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé partiellement les décisions attaquées au motif que le maire a méconnu l'étendue de sa compétence en refusant d'user de ses pouvoirs de police pour faire cesser ces atteintes à la tranquillité publique pendant la période nocturne de 22 heures à 7 heures. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation des jugements attaqués et de rejet des demandes des intimés ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les appels incidents :

20. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du tableau des sonneries des cloches de l'église établi par la commune, qu'en période diurne, de 7 heures à 22 heures, outre les sonneries des demi-heures et des heures, les cloches de l'église sonnent quotidiennement l'angélus à la volée à 10 heures 03 et 19 heures 03 ; les jours de culte, soit un dimanche sur deux en moyenne, 240 à 300 coups à partir de 8 heures 30, 1 heure avant le culte, à nouveau 240 à 300 coups une demi-heure avant le culte, puis de manière ininterrompue 10 minutes avant le début du culte et jusqu'à fermeture des portes ; enfin, par volées de deux cloches de 5 minutes à 20 heures 03 le 7 mai et le 13 juillet, à 19 heures 03 le 10 novembre, et par volées de deux cloches d'une minute à 8 heures 03 les 8 mai, 14 juillet et 11 novembre.

21. S'il est constant que le bruit de ces différentes sonneries émerge globalement du niveau de bruit résiduel en période diurne, le rapport d'expertise déposé le 14 avril 2014 ne permet pas d'apprécier l'importance de cette émergence, faute de l'avoir mesurée. Le niveau de cette émergence ne saurait être déduit des relevés effectués par la société SAdB pendant la période nocturne ni apprécié sur la base des témoignages produits. En l'absence d'élément probant, il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que, par sa seule intensité, le bruit de ces différentes sonneries porte une atteinte suffisamment grave à la tranquillité publique, alors même que leur émergence globale excéderait les limites fixées par l'article R. 1334-33 précité, pour imposer que le maire fasse usage de ses pouvoirs de police.

22. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la commune, que M. et MmeF..., la SARL Feufollet et M. et Mme G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de leurs demandes. Dès lors, leurs conclusions à fin d'annulation et, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions de M. et Mme F...et de la SARL Feufollet relatives à la charge des frais d'expertise :

23. Il résulte de l'instruction que le tribunal a fait une inexacte appréciation de la répartition des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 094,22 euros, en n'en mettant qu'un tiers à la charge de la commune, alors que M. et Mme F...et la SARL Feufollet ont supporté seuls la charge de l'expertise réalisée par la société SAdB, qui a été utile. Il sera fait une juste appréciation de cette répartition en mettant à la charge de la commune les trois quarts des frais d'expertise, soit 5 320,66 euros, et en ne laissant que le surplus à la charge de M. et Mme F...et la SARL Feufollet. Il y a lieu de réformer le jugement attaqué dans cette mesure.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

25. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. et MmeF..., la SARL Feufollet, et M. et MmeG..., qui ne sont pas les parties perdantes aux présentes instances. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Asswiller une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme F...et la SARL Feufollet, et une somme identique à verser à M. et MmeG..., en application de ces dispositions.

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes nos 17NC00829 et 17NC00838 présentées par la commune d'Asswiller sont rejetées.

Article 2 : Une somme de 5 320,66 euros (cinq mille trois-cent-vingt euros et soixante-six centimes) est mise à la charge de la commune d'Asswiller au titre des frais d'expertise exposés par M. et Mme F...et la SARL Feufollet.

Article 3 : Le jugement no 1405548 du 8 février 2017 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : La commune d'Asswiller versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. I...F..., Mme E...F...et la SARL Feufollet et une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. H...G...et Mme D...A...épouse G...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. I...F..., Mme E...F..., la SARL Feufollet, M. H...G...et Mme D...A...épouse G...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Asswiller, M. I...F..., Mme E...F..., la SARL Feufollet, M. H...G...et Mme D...A...épouseG....

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N° 17NC00829 et 17NC00838


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC00829;17NC00838
Date de la décision : 17/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

135-02-03-02-06 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Police. Police de la tranquillité.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : SELARL SOLER-COUTEAUX / LLORENS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-05-17;17nc00829 ?
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