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25/02/2021 | FRANCE | N°19NC01854

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 25 février 2021, 19NC01854


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC01854 le 12 juin 2019, complétée par un mémoire enregistré le 14 octobre 2020, la société La Baumoise de Distribution, représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, l'arrêté du 23 mai 2019 par lequel le maire de L'Isle sur le Doubs a accordé à la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, pour la réalisation, avenue Foch, d'un ensemble c

ommercial comportant un supermarché à l'enseigne Intermarché d'une surface de vent...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC01854 le 12 juin 2019, complétée par un mémoire enregistré le 14 octobre 2020, la société La Baumoise de Distribution, représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, l'arrêté du 23 mai 2019 par lequel le maire de L'Isle sur le Doubs a accordé à la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, pour la réalisation, avenue Foch, d'un ensemble commercial comportant un supermarché à l'enseigne Intermarché d'une surface de vente de 4 300 m², une galerie marchande d'une surface de vente totale de 2 550 m², un drive de six pistes d'une surface de 251 m², un magasin BIO de 850 m² et deux cellules de 850 m² chacune, sur l'emprise d'un bâtiment industriel en friche et de l'actuel magasin Intermarché ;

2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'instruire la demande de la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires et d'émettre un avis sur le projet de celle-ci dans un délai maximum de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la CNAC une somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est recevable à demander l'annulation du permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale : la régularité et le bien-fondé d'un acte de la CNAC sont susceptibles d'être critiqués au soutien d'un recours contre le permis de construire ultérieurement délivré, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale ; la requête d'appel a été enregistrée dans le délai de recours contentieux ;

- il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D..., signataire de l'arrêté litigieux en sa qualité d'adjoint au maire, aurait bénéficié à cet effet d'une délégation de signature régulièrement publiée ; l'arrêté de délégation du 9 avril 2018 est rédigé dans des termes trop imprécis et généraux, et il n'est pas justifié des formalités de publicité de cet arrêté ;

- les articles R. 752-34 et R. 752-36 du code du commerce ont été méconnus, car elle n'a pas été convoquée à la séance du 4 avril 2019 au cours de laquelle la CNAC a jugé de la recevabilité de son recours et a donc été empêchée de débattre de la pertinence de la délimitation de la zone de chalandise ainsi que de l'impact du projet litigieux sur son activité ; elle a été ainsi privée d'une garantie ;

- c'est à tort que la CNAC a estimé qu'elle n'avait pas un intérêt à agir ; les deux motifs d'irrecevabilité du recours retenus par la CNAC sont erronés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2019, la commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la requête est partiellement irrecevable : dès lors qu'elle exerce son recours contre l'arrêté du maire de L'Isle-sur-le-Doubs du 23 mai 2019, la requérante n'est pas recevable à formuler quelque prétention que ce soit, en particulier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, contre la CNAC, qui n'est pas partie à l'instance ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2019, la commune de L'Isle sur le Doubs, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société La Baumoise de Distribution sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir : la société La Baumoise de Distribution n'exerce pas son activité dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, et elle n'est pas susceptible d'être affectée par le projet ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 janvier et 27 octobre 2020, la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société La Baumoise de Distribution sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir : la société La Baumoise de Distribution n'exerce pas son activité dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, et elle n'est pas susceptible d'être affectée par le projet ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Un mémoire présenté pour la société La Baumoise de Distribution tendant aux mêmes fins que ses écritures précédentes par les mêmes moyens, a été enregistré le 13 novembre 2020, avant clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Par ordonnance du 29 octobre 2020, la clôture d'instruction a été reportée du 29 octobre 2020 au 13 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., pour la société La Baumoise de Distribution, celles de Me C..., pour la commune de L'Isle sur le Doubs, ainsi que celles de Me A..., pour la société L'immobilière européenne des Mousquetaires.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 novembre 2018, la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires et la société Jovimaric ont déposé auprès de la commune de L'Isle sur le Doubs une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, pour la réalisation, avenue Foch, d'un ensemble commercial comportant un supermarché à l'enseigne Intermarché d'une surface de vente de 4 300 m², une galerie marchande d'une surface de vente totale de 2 550 m², un drive de six pistes d'une surface de 251 m², un magasin BIO de 850 m² et deux cellules de 850 m² chacune, sur l'emprise d'un bâtiment industriel en friche et de l'actuel magasin Intermarché. La commission départementale d'aménagement commercial du Doubs a émis le 14 décembre 2018 un avis favorable au projet. La société La Baumoise de Distribution, qui exploite un hypermarché à l'enseigne Super U à Baume-les-Dames, a formé un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC). Cette dernière a considéré, lors de sa séance du 4 avril 2019, que ce recours était irrecevable, au motif que la société La Baumoise de Distribution, d'une part, n'exerce pas d'activité dans la zone de chalandise et, d'autre part, ne démontre pas que le projet serait susceptible d'avoir une incidence significative sur sa propre activité. Le maire de L'Isle sur le Doubs a alors accordé le permis de construire sollicité, par un arrêté du 23 mai 2019. La société La Baumoise de Distribution demande à la cour d'annuler ce permis de construire, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de L'Isle sur le Doubs et la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires :

2. Aux termes de l'article L. 752-17 du code du commerce : " I.- Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial (...) A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ".

3. Pour l'application de l'article L. 752-17 du code de commerce, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise d'un projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, a intérêt à former un recours devant la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) contre l'autorisation donnée à ce projet par la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) puis, en cas d'autorisation à nouveau donnée par la CNAC, un recours contentieux. S'il en va ainsi lorsque le professionnel requérant est implanté dans la zone de chalandise du projet, un tel intérêt peut également résulter de ce que, alors même que le professionnel requérant n'est pas implanté dans la zone de chalandise du projet, ce dernier est susceptible, en raison du chevauchement de sa zone de chalandise et de celle de l'activité commerciale du requérant, d'avoir sur cette activité une incidence significative.

4. D'une part, l'article R. 752-3 du code de commerce définit la zone de chalandise comme " l'aire géographique au sein de laquelle " l'équipement faisant l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale " exerce une attraction sur la clientèle. Elle est délimitée en tenant compte notamment de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, des temps de déplacement nécessaires pour y accéder, de la présence d'éventuelles barrières géographiques ou psychologiques et de la localisation et du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants ".

5. Il ressort des pièces du dossier de demande d'autorisation que la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires et la société Jovimaric ont défini une zone de chalandise regroupant soixante-sept communes des départements du Doubs et de la Haute-Saône. La détermination de cette zone de chalandise, qui fait partie d'un territoire à dominante rurale s'inscrivant entre deux grandes agglomérations, de Besançon à l'Ouest et de Belfort à l'Est, s'est faite par référence à un temps de trajet maximum en voiture de 20 minutes, qui ne paraît pas insuffisant, contrairement à ce que soutient la société La Baumoise de Distribution, compte tenu de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, d'une surface totale de vente de 7398 m². Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que la méthode retenue pour la délimitation de la zone de chalandise constitue une manoeuvre destinée à exclure la requérante de cette zone. En outre, la zone de chalandise du projet contesté a été délimitée en tenant compte de l'implantation de la concurrence et des habitudes de consommation de la clientèle des communes retenues, ainsi que des barrières géographiques ou psychologiques et, enfin, du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants, notamment ceux du pôle commercial du Pays de Clerval, situé à 10 km du projet, pour un temps de trajet en voiture évalué à 10 minutes.

6. La société La Baumoise de Distribution, qui exploite un magasin à l'enseigne Super U d'une surface de vente de 3 800 m², à Baume-les-Dames, commune située à 27 kilomètres et à 26 minutes de trajet en voiture du projet litigieux, hors de la zone de chalandise définie par le pétitionnaire, ne démontre par aucun élément probant le caractère irrégulier de la délimitation ainsi opérée, dont la validité n'a pas été remise en cause par les services instructeurs. A cet égard, la direction départementale des territoires du Doubs souligne dans son rapport que le projet " n'aura aucun impact sur les équilibres généraux du grand territoire, notamment par rapport aux autres pôles (Baume-les-Dames et Montbéliard) ", compte tenu de sa dimension de proximité, puisqu'il a pour objectif l'" adaptation de l'offre au marché [qui] est indispensable pour conserver sa clientèle locale ".

7. D'autre part, ainsi qu'il a été dit plus haut, le magasin exploité par la société La Baumoise de Distribution se trouve à Baume-les-Dames, commune située à 27 kilomètres et à 26 minutes de trajet en voiture du projet litigieux, alors, en premier lieu, que le projet contesté ne consiste qu'à agrandir un ensemble commercial déjà existant, actuellement composé d'un hypermarché à l'enseigne Intermarché de 2 695 m² de surface de vente et d'une galerie marchande de trois boutiques sur 177 m², ainsi que d'une cafétéria et d'un " drive " de deux pistes et, en deuxième lieu, qu'il existe déjà plusieurs grandes enseignes sur le territoire de la commune de Baume-les-Dames, notamment un hypermarché à l'enseigne Intermarché couplé à un drive et à une station essence. A cet égard, l'étude complémentaire réalisée par le cabinet POLYGONE au cours du second trimestre 2019 à la demande de la société requérante indique que le projet litigieux entrainerait une perte limitée à 2 à 3 % du chiffre d'affaire du magasin Super U de Baume-les-Dames. Dans ces conditions, s'il ressort des pièces du dossier qu'elle exerce son activité dans une zone de chalandise chevauchant celle du projet litigieux, la société La Baumoise de Distribution n'est, nonobstant la circonstance que le magasin Super U de Baume-les-Dames intègre la commune de L'Isle sur le Doubs dans sa zone de chalandise, pas fondée à soutenir que le projet contesté aura une incidence significative sur son activité.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Baumoise de Distribution ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir en vertu de l'article L. 752-17 précité du code de commerce. Par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la CNAC, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée doivent être rejetées, ainsi que par voie de conséquences celles tendant au prononcé d'une injonction.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge la CNAC, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société La Baumoise de Distribution demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la CNAC, les conclusions en ce sens de la requérante doivent être rejetées.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Baumoise de Distribution deux sommes de 1 500 euros à verser, d'une part, à la commune de L'Isle sur le Doubs et, d'autre part, à la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société La Baumoise de Distribution est rejetée.

Article 2 : La société La Baumoise de Distribution versera à la commune de L'Isle sur le Doubs et à la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires une somme de 1 500 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié la société La Baumoise de Distribution, à la commune de L'Isle sur le Doubs, à la Commission nationale d'aménagement commercial et à la société L'Immobilière européenne des Mousquetaires.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

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N° 19NC01854


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