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27/01/2022 | FRANCE | N°21NC01434

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 27 janvier 2022, 21NC01434


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2100039 du 14 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête

, enregistrée le 17 mai 2021, Mme D..., représentée par Me Reich Pinto, demande à la cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2100039 du 14 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mai 2021, Mme D..., représentée par Me Reich Pinto, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 janvier 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 8 janvier 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer un titre de séjour provisoire sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation dès lors que le préfet ne relève pas les risques qu'elle encourt en cas de retour dans son pays d'origine ; cette décision a été prise par une autorité incompétente ; elle est entachée d'un défaut d'examen individuel et complet de sa situation ; elle méconnaît le droit d'être entendu car elle n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement ; elle est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle est mineure et a été confiée à l'aide sociale à l'enfance ; elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision désignant le pays de renvoi est entachée d'un défaut de motivation ; elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour est insuffisamment motivée dans la mesure où le préfet ne fait pas référence à tous les critères prévus par les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'indique pas les raisons pour lesquelles il n'a pas fait usage des circonstances humanitaires pour s'abstenir d'adopter cette décision ; elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mai 2021.

Par une ordonnance du 17 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 15 octobre 2021.

Un mémoire présenté pour le préfet de l'Yonne a été enregistré le 14 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., de nationalité congolaise, déclare être née le 26 avril 2004 et être entrée en France le 30 décembre 2020 en provenance de Grèce. Le 4 janvier 2021, elle s'est présentée auprès des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du département de l'Yonne qui ont conclu à sa majorité. Le 8 janvier 2021, elle est interpelée et placée en garde vue pour des faits de fausse déclaration ou d'identité incomplète en vue d'obtenir sa prise en charge auprès des services du département. Par un arrêté du même jour, le préfet de l'Yonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner en France pendant une durée d'un an. Mme D... relève appel du jugement du 14 janvier 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 8 janvier 2021.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, Mme D... reprenant en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à juste titre par le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 14 janvier 2021.

3. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux comporte de manière suffisante et non stéréotypée l'indication des considérations de droit et de fait sur lesquelles l'autorité préfectorale s'est fondée afin de prendre à l'encontre de Mme D... l'obligation de quitter le territoire français contestée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation sera écarté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait entaché sa décision d'une défaut d'examen sérieux et approfondi de la situation de Mme D....

4. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal d'audition dressé le 8 janvier 2021 que Mme D... a été interrogée sur les conditions de son entrée et de son séjour en France. Elle a, à cette occasion, détaillé les étapes de son parcours migratoire. Informée de ce que le préfet était susceptible d'adopter une décision d'éloignement à son encontre, elle a indiqué ne pas savoir où aller et souhaiter rester en France et aller à l'école. Ce faisant, elle a été mise à même de présenter, de manière utile et effective, ses observations sur les conditions de son séjour, sur sa situation personnelle et familiale et sur la perspective de son éloignement à destination de son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle aurait été privée de son droit d'être entendue doit être écarté comme manquant en fait.

5. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

6. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

7. Les dispositions citées au point précédent posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

8. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de sa minorité, Mme D... a présenté un jugement supplétif du tribunal pour enfants E... B... en date du 1er décembre 2020, ainsi qu'un acte de naissance en date du 2 décembre suivant. Toutefois, l'officier de police judiciaire formé à la fraude documentaire a émis un avis défavorable quant à l'authenticité de ces documents. Dans son procès-verbal d'investigation du 8 janvier 2021, il relève que les deux actes présentés ont été établis à la demande et en présence de M. C..., père de la requérante, alors que cette dernière a soutenu que ses parents étaient tous deux décédés dans un accident de la circulation en février 2018. Par ailleurs, l'officier de police judiciaire souligne que le président du tribunal n'a pas signé le jugement supplétif qui a été édité sur un papier ordinaire à l'aide d'une imprimante toner. S'agissant de l'acte de naissance, si le support semble authentique, il relève que le délai de retranscription n'a pas été respecté et que la numérotation du document a été imprimée alors qu'il aurait dû être dactylographiée. De plus, le service de l'ASE a émis, à l'issue de son évaluation de la situation de Mme D..., des doutes quant à l'authenticité des actes d'état civil produits et a conclu, compte tenu de l'incohérence de certains éléments de son parcours migratoire, de son apparence et de sa maturité, que cette dernière était majeure. En outre, lors de l'enquête, les forces de police ont confirmé que la morphologie, l'apparence et le comportement de Mme D... s'apparentent à ceux d'une femme majeure. Enfin, il n'est pas contesté que la requérante a refusé de se soumettre à un examen osseux en vue de confirmer sa minorité. Dans ces conditions, nonobstant son placement auprès de l'ASE de la Moselle en application d'un jugement en assistance éducative du 12 avril 2021, et au regard de l'absence de force probante des documents produits par l'intéressée et des autres éléments soumis au contradictoire, la minorité de la requérante à la date de l'arrêté litigieux n'est pas établie. Par suite, Mme D... ne démontre pas que le préfet de l'Yonne, en l'estimant majeure, aurait commis une erreur de fait ou une erreur d'appréciation au regard du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes raisons, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet a méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

9. En premier lieu, l'arrêté contesté vise l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que l'intéressée n'établit pas être exposée à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. La décision fixant le pays de renvoi est par suite suffisamment motivée en fait et en droit.

10. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi.

11. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. Si Mme D... soutient qu'elle craint pour sa vie et sa sécurité en cas de retour au Congo, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, et alors qu'au demeurant, lors de son audition par les forces de police le 8 janvier 2021, la requérante n'a pas fait état de telles craintes en cas de retour dans son pays d'origine, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./ (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée [au] premier [alinéa ), (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "

14. Pour prononcer, à l'encontre de Mme D..., une interdiction de retour, le préfet de l'Yonne a cité, dans son arrêté, le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionné que l'intéressée, entrée très récemment sur le territoire français, y est dépourvue de toute attache familiale et que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée de l'interdiction ne porte pas atteinte au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, cette décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, bien que le préfet de l'Yonne n'ait pas motivé son choix de ne pas faire application de circonstances humanitaires, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

15. En second lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Yonne.

2

N° 21NC01434


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01434
Date de la décision : 27/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : REICH-PINTO

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-01-27;21nc01434 ?
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