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06/04/2022 | FRANCE | N°21NC02829

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 06 avril 2022, 21NC02829


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement numéro 2101453 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 28 octobre 2021, Mme B..., représentée par Me Monconduit, demande à la cour :

1°) d'annuler c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement numéro 2101453 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2021, Mme B..., représentée par Me Monconduit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;

3°) d'enjoindre à l'autorité préfectorale compétente de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt, sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus de séjour : est insuffisamment motivé ; n'a pas été précédé d'un examen complet de sa situation ; méconnaît l'article 47 du code civil et le décret n° 2015-1470 du 24 décembre 2015 en ce que le préfet aurait dû saisir les autorités congolaises de la question de l'authenticité de ses documents d'état civil et d'identité alors qu'en l'espèce un passeport lui avait été délivré par ces mêmes autorités et que l'administration n'a pas établi le caractère frauduleux de ses documents ; méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle remplit toutes conditions notamment en terme de formation et alors que sa date de naissance est justifiée ; porte atteinte de manière disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ; repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;

- l'obligation de quitter le territoire : est insuffisamment motivée ; n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation ; méconnaît l'article 47 du code civil et le décret n° 2015-1470 du 24 décembre 2015 en ce que le préfet aurait dû saisir les autorités congolaises de la question de l'authenticité de ses documents d'état civil et d'identité alors qu'en l'espèce un passeport lui avait été délivré par ces mêmes autorités et que l'administration n'a pas établi le caractère frauduleux de ses documents ; méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle remplit toutes conditions notamment en terme de formation et alors que sa date de naissance est justifiée ; porte atteinte de manière disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ; repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord conclu le 31 juillet 1993 entre la France et la république du Congo ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice ;

- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2015-1470 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Agnel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante congolaise affirmant être née le 3 octobre 2002, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, au cours de l'année 2013. Elle a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance le 21 octobre 2019. Le 10 septembre 2020, elle a saisi le préfet de l'Aube d'une demande de titre de séjour en qualité d'étrangère mineure confiée à l'aide sociale à l'enfance après l'âge de seize ans. Par un arrêté du 27 mai 2021, le préfet de l'Aube a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 28 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ". En vertu de l'article L. 111-6 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 ci-dessus visé : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet./ Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".

3. D'autre part, le II de l'article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ci-dessus visée dispose que : " II. - Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ". Aux termes de l'article 3 du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère : " I. - L'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français peut légaliser : 1° Les actes publics émis par les autorités de son Etat de résidence, légalisés le cas échéant par l'autorité compétente de cet Etat ;(...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Par dérogation au 1° du I de l'article 3, peuvent être produits en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français :1° Les actes publics émis par les autorités de l'Etat de résidence dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d'en assurer la légalisation, sous réserve que ces actes aient été légalisés par l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire de cet Etat en résidence en France. Le ministre des affaires étrangères rend publique la liste des Etats concerné ".

4. Les dispositions citées au point précédent posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents. En outre, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'afin de justifier de son identité, notamment de sa date de naissance, la requérante a produit un acte de naissance du 29 septembre 2014 de la commune de Ponte-Noire au Congo mentionnant avoir été établi sur une réquisition du parquet du tribunal de grande instance de la même ville, complété par un passeport régulièrement délivré par les autorités congolaises. Le rapport d'analyse documentaire de la police aux frontières se borne à constater que l'acte de naissance est reproduit par des procédés ne permettant pas d'en garantir l'authenticité et que les tampons des agents ne paraissent pas réguliers. Il estime ne pas pouvoir apprécier l'authenticité et l'exactitude de l'acte de naissance en l'absence de production des réquisitions du parquet du 4 novembre 2020 dès lors que l'acte d'authentification des réquisitions du parquet est, quant à lui, affecté de nombreuses anomalies. Ce rapport conclut, en présence d'un doute, à la nécessité de procéder à des vérifications auprès des autorités congolaises. L'administration a saisi les autorités congolaises d'une demande d'éclaircissements par lettre du 4 février 2021, laquelle est demeurée sans réponse. Dans ces conditions, par ces seuls éléments, lesquels ne sont pas suffisants pour remettre en cause l'authenticité et l'exactitude de l'acte de naissance du 29 septembre 2014, dont les mentions ne se trouvent pas en contradictions avec le parcours de l'intéressée, l'administration, laquelle ne conteste pas l'authenticité du passeport, n'établit pas le caractère frauduleux des documents d'état civil présentés par Mme B... à l'appui de sa demande de titre de séjour. Par suite, c'est en faisant une inexacte application des règles ci-dessus rappelées qu'afin de refuser à Mme B... le titre de séjour sollicité le préfet de l'Aube s'est fondé sur le motif qu'elle ne justifiait pas de son identité et notamment de sa date de naissance.

7. Aux termes de l'article L. 435-3 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

8. Afin de refuser le titre de séjour sollicité par Mme B... le préfet de l'Aube s'est fondé sur le seul motif qu'elle ne justifiait pas de sa date de naissance. Il résulte toutefois de ce qui précède que Mme B... a suffisamment justifié de sa date de naissance et avoir été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. Mme B... justifie être présente en France de manière continue au moins depuis la rentrée scolaire de septembre 2014 au cours de laquelle elle a été admise en classe de cinquième. Hébergée chez un ami de sa famille dans un premier temps, puis accueillie en foyer départemental de l'enfance lorsqu'elle s'est retrouvée isolée, elle a suivi depuis cette date avec succès une scolarité régulière et continue qui lui a permis d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle " métiers de la mode ". Elle a poursuivi ses études par l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " emplois de la vente " et préparait à la date de la décision attaquée un baccalauréat professionnel. Les rapports des structures d'accueil sont élogieux. Par suite, en dépit des liens familiaux que l'intéressée conserve dans son pays d'origine, le refus de titre de séjour qui lui a été opposé repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation. Par voie de conséquence, les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination se trouvent également privées de base légale. Dès lors, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. Mme B... n'étant plus dans l'année de son dix-huitième anniversaire, l'annulation ci-dessus prononcée implique seulement que l'administration réexamine la situation de Mme B... au regard de son séjour en France. Par suite, il y a lieu d'enjoindre l'administration de procéder à ce réexamen selon les modalités figurant au dispositif du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... C... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 2101453 du 28 septembre 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Aube du 27 mai 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à l'administration préfectorale compétente de réexaminer le droit au séjour de Mme B... en France dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt et sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler qui lui sera délivrée dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président de chambre,

M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2022.

Le président rapporteur,

Signé : M. AGNELL'assesseur le plus ancien,

Signé : J. F. GOUJON-FISCHER

La greffière,

Signé : C. SCHRAMM

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. SCHRAMM

N° 21NC02829 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02829
Date de la décision : 06/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : MONCONDUIT SELARL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-04-06;21nc02829 ?
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