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10/05/2023 | FRANCE | N°21NC00868

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 10 mai 2023, 21NC00868


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 20 septembre 2017 par laquelle le chef du bureau des militaires du rang a procédé à sa radiation de la liste du recrutement des sous-officiers issus des militaires du rang pour l'année 2017, la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre des armées a procédé à la nomination d'engagés volontaires de l'armée de terre au grade de sergent ou de maréchal des logis au titre de l'année 2017, ainsi que la décis

ion du 13 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 20 septembre 2017 par laquelle le chef du bureau des militaires du rang a procédé à sa radiation de la liste du recrutement des sous-officiers issus des militaires du rang pour l'année 2017, la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre des armées a procédé à la nomination d'engagés volontaires de l'armée de terre au grade de sergent ou de maréchal des logis au titre de l'année 2017, ainsi que la décision du 13 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire.

Par un jugement n° 1901394 du 21 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 mars 2021 et 26 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Viegas, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 20 septembre 2017 ;

3°) d'annuler la décision du 10 novembre 2017, procédant à la nomination d'engagés volontaires de l'armée de terre au grade de sergent ou de maréchal des logis au titre de l'année 2017, en tant qu'il n'y figure pas ou, à titre subsidiaire, d'annuler cette même décision dans son intégralité ;

4°) d'enjoindre à la ministre des armées, à titre principal, de le faire figurer sur la liste portant nomination au grade de sous-officier et, à titre subsidiaire, d'établir une nouvelle liste après avoir procédé à une comparaison de la valeur professionnelle de tous les agents réunissant les conditions pour être promus ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en l'absence de justification de la signature de la minute ;

- c'est à tort qu'il a été estimé qu'il avait manqué à son obligation de neutralité ; le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de fait et d'une erreur de droit en terme de charge de la preuve ;

- les mesures litigieuses sont entachées de détournement de pouvoir, le retrait de son nom de la liste des caporaux-chefs proposés au recrutement comme sous-officiers constitue une sanction déguisée, l'ayant privé de la possibilité de bénéficier des garanties liées à une procédure disciplinaire ; le jugement est entaché de contradiction interne à cet égard ;

- ses mérites justifiaient qu'il bénéficie de cette promotion.

Par un mémoire enregistré le 29 novembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par courrier du 27 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre la décision du 20 septembre 2017, ainsi que contre la décision du 10 novembre 2017 en tant que M. B... n'y figure pas, dès lors que la décision se prononçant sur son recours administratif préalable obligatoire, seule susceptible d'être contestée, s'y est substituée.

Par ordonnance du 30 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 13 janvier 2023.

Par un mémoire enregistré le 30 mars 2023, M. B... a présenté ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.

Il soutient qu'il doit être regardé comme demandant l'annulation de la décision prise sur son recours administratif préalable obligatoire en ce qu'elle confirme la décision du 20 septembre 2017 et la décision du 10 novembre 2017, en tant que la liste qu'elle arrête ne comporte pas son nom.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2008-961 du 12 septembre 2008 relatif aux militaires engagés ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Viegas, pour M. B....

Une note en délibéré, produite pour M. B..., a été enregistrée le 4 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., militaire du rang sous contrat, a présenté, le 18 janvier 2017, une demande de recrutement au choix pour l'accès au premier grade de sous-officier. Initialement mentionné sur la liste des candidats retenus pour ce recrutement par note-express du 27 juin 2017, il en a cependant été radié, par une seconde note-express du 20 septembre 2017 le concernant spécifiquement. Par une décision du 10 novembre 2017, la ministre des armées a fixé la liste des engagés volontaires de l'armée de terre nommés au grade de sergent ou de maréchal des logis au titre de l'année 2017, liste sur laquelle ne figure pas M. B.... Par un courrier du 19 juin 2018, M. B... a saisi la commission des recours des militaires afin d'obtenir, d'une part, l'annulation de la note-express du 20 septembre 2017 et, d'autre part, sa nomination au grade de sergent. Par une décision du 13 décembre 2018, la ministre des armées, s'estimant également saisie d'un recours contre la décision du 10 novembre 2017 en tant qu'elle ne mentionnait pas M. B..., a rejeté son recours administratif préalable obligatoire. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté, comme non fondées, ses conclusions dirigées contre les décisions des 20 septembre 2017, 10 novembre 2017 et 13 décembre 2018. Il doit être regardé comme sollicitant, au titre de l'appel, l'annulation de ces trois décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué a été signé par le président de la formation de jugement, la rapporteure et le greffier d'audience, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée au requérant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur la recevabilité des conclusions de première instance :

4. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d'un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l'être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable d'un an.

5. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 10 novembre 2017, dont le délai de recours a commencé à courir à l'égard de M. B... à compter de sa publication au bulletin officiel des armées du 7 décembre 2017, était devenue définitive lorsqu'il a formé son recours devant la commission de recours des militaires, et à plus forte raison lorsqu'il a saisi le tribunal administratif de Strasbourg. Les conclusions dirigées contre tout ou partie de cette décision étaient donc tardives et par suite irrecevables, ainsi que le fait valoir la ministre des armées dans ses écritures de première instance. En revanche, le requérant n'était pas tardif à contester la décision du 20 septembre 2017, qui le concerne spécifiquement, et qui ne lui a été notifiée qu'en février 2018, dès lors qu'il n'est pas justifié que cette notification comportait mention des voies et délais de recours, conformément à l'article R. 421-5 du code de justice administrative, et qu'il a saisi, en application des dispositions citées au point suivant, la commission des recours des militaires moins d'un an après cette notification.

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I.- Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense (...) III. - Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes ou de décisions : 1° Concernant le recrutement du militaire ou l'exercice du pouvoir disciplinaire ; (...) ". Aux termes de l'article R. 4125-10 du même code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale (...) ".

7. La commission des recours des militaires était compétente pour se prononcer sur le recours de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 20 septembre 2017 portant retrait de son nom de la liste des candidatures retenues. La circonstance, alléguée par le requérant, selon laquelle la décision contestée serait une mesure disciplinaire déguisée est sans incidence sur la compétence de la commission. La décision de rejet prise par la ministre de la défense après avis de la commission s'est, dès lors, entièrement substituée à la décision du 20 septembre 2017, avant la saisine des premiers juges, de sorte que les conclusions dirigées contre la décision initiale sont irrecevables.

8. Il suit de là que M. B... est seulement recevable à demander l'annulation de la décision ministérielle du 13 décembre 2018, en tant qu'elle rejette son recours contre la décision du 20 septembre 2017.

Sur la légalité de la décision litigieuse :

9. Aux termes du deuxième alinéa de l'art. L. 4111-1 du code de la défense : " L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité (...) ". L'article L. 4121-2 du même code précise que : " Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte. (...) ". L'article L. 4132-1 de ce code dispose que : " Nul ne peut être militaire : (...) / 3° S'il ne présente les aptitudes exigées pour l'exercice de la fonction (...).

10. Par ailleurs, aux termes de l'article 6 du décret du 12 septembre 2008 relatif aux militaires engagés : " Le militaire engagé peut être recruté dans les conditions d'aptitude et, le cas échéant, d'âge et d'ancienneté, ainsi que selon les modalités fixées par arrêté du ministre de la défense, ou du ministre de l'intérieur pour les militaires engagés de la gendarmerie nationale : 1° Directement au premier grade de militaire du rang ; 2° Au premier grade de sous-officier ou d'officier marinier, soit directement, soit parmi les militaires du rang ".

11. Il ressort des pièces du dossier que le retrait de M. B... de la liste des militaires du rang admis à bénéficier du recrutement comme sous-officier, au titre du dispositif prévu par le 2° des dispositions citées au point précédent, est justifié par deux séries d'évènements qui ont amené l'administration à mettre en cause son sens du discernement et donc sa capacité à exercer les fonctions de sous-officier.

12. En premier lieu, l'administration se fonde sur une attitude du requérant intrusive et déplacée à l'égard de ses camarades, entre les 12 mars et 13 septembre 2016, alors qu'il se trouvait stationné au Liban, en voulant leur imposer une pratique plus rigoriste du culte musulman, ainsi que d'un manquement de respect envers sa chaîne hiérarchique en critiquant les chefs de groupe de la compagnie, ayant donné lieu à deux inscriptions au rapport hiérarchique par son chef de section, les 15 avril et 14 juin 2016. Si le requérant ne conteste pas les faits allégués relatifs à la critique des autres chefs de section, qui sont susceptibles de relever d'un manquement à l'obligation de loyauté, il soutient n'avoir commis aucun manquement à son obligation de neutralité et produit plusieurs témoignages émanant, notamment, de militaires qu'il a fréquentés à l'occasion de cette opération, et qui excluent les comportements reprochés. Au regard de la teneur des mentions portées au rapport hiérarchique et de l'ensemble des éléments du dossier, les faits relatifs à la pratique de la religion musulmane et au manquement à l'obligation de neutralité ne peuvent être regardés comme suffisamment établis.

13. En second lieu, il ressort d'un rapport consigné par le capitaine dirigeant la compagnie d'affectation de l'intéressé que M. B... a reproché, dans une salle de réunion du régiment, à une caporale-cheffe de ne pas respecter le jeune du ramadan, de boire et de fumer, la traitant de mécréante. Ce rapport porte la signature de la militaire concernée. Alors même que cette dernière en a relativisé la portée par la suite, sans toutefois nier leur matérialité, ni les présenter comme relevant d'une simple plaisanterie contrairement à ce suggère le requérant, ces faits doivent être regardés comme suffisamment établis.

14. Au regard des agissements ainsi caractérisés, la ministre des armées a pu, sans entacher sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que M. B... ne présentait pas les qualités attendues d'un sous-officier, en dépit des aptitudes professionnelles dont il avait pu faire preuve par ailleurs. Il résulte de l'instruction qu'elle aurait pris la même décision si elle ne s'était pas fondée sur les atteintes à la neutralité prétendument survenues au Liban, de sorte que l'erreur de fait commise à cet égard est sans incidence sur la légalité de l'acte litigieux.

15. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la ministre aurait entendu infliger une mesure de nature disciplinaire à M. B... en refusant sa promotion dans la catégorie des sous-officiers. Il résulte en revanche du point précédent qu'elle a uniquement entendu tirer les conséquences de son comportement en terme d'aptitude à exercer des fonctions supérieures. Les moyens tirés du détournement de pouvoir et de la privation des garanties conférées par la procédure disciplinaire, du fait d'une sanction déguisée, doivent être écartés.

16. Il résulte de ce qui précède, et sans que le requérant puisse utilement se prévaloir d'une erreur de droit qu'auraient commis les premiers juges, eu égard à l'office du juge d'appel, que M. B... n'est pas fondé à se plaindre du rejet de sa demande par les premiers juges. Sa requête doit donc être rejetée, dans toutes ses conclusions.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure,

Signé : A. C...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC00868


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00868
Date de la décision : 10/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : VIEGAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-05-10;21nc00868 ?
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