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19/09/2023 | FRANCE | N°21NC01782

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 19 septembre 2023, 21NC01782


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a suspendue de ses fonctions pour une durée de quatre mois et de lui enjoindre de lui verser les indemnités de sujétions spéciales dont elle a été privée durant la période en litige.

Par un jugement n° 1900579 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un

e requête et un mémoire, enregistrés les 20 juin 2021 et 29 juillet 2022, Mme B..., représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a suspendue de ses fonctions pour une durée de quatre mois et de lui enjoindre de lui verser les indemnités de sujétions spéciales dont elle a été privée durant la période en litige.

Par un jugement n° 1900579 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 juin 2021 et 29 juillet 2022, Mme B..., représentée par Me Galland, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté de la garde des sceaux, ministre de la justice du 23 novembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation ;

- la mesure de suspension repose sur des faits matériellement inexacts ;

- il n'existait pas, à la date à laquelle a été prise la décision litigieuse, de faits suffisamment graves et vraisemblables pour justifier une suspension ;

- la décision contestée constitue une sanction disciplinaire déguisée.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté édicté le 23 novembre 2018, la garde des sceaux a suspendu Mme B... de ses fonctions de surveillante pénitentiaire à la maison d'arrêt de Strasbourg pour une durée de quatre mois. Cette suspension a été prononcée en raison de la réaction de Mme B... lors de l'agression d'un détenu par l'un de ses collègues survenue en la présence de cette dernière, le 28 octobre 2018. A l'issue des investigations menées et notamment du visionnage des images de la caméra de vidéosurveillance, lequel a donné lieu à un procès-verbal établi le 16 novembre 2018, il a été conclu à l'absence fautive d'intervention de la requérante. Par la suite, Mme B... a été convoquée devant le conseil de discipline le 12 février 2020 et s'est vu infliger une sanction d'exclusion temporaire de dix jours avec sursis intégral, motivée par le fait qu'elle n'a pas rendu compte de manière complète de cet incident à sa hiérarchie. Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande d'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2018 présentée par Mme B..., laquelle relève appel de ce jugement, sans contester le rejet de ses conclusions relatives au versement des indemnités de sujétions spéciales.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (...) ".

3. En vertu de ces dispositions, il appartient à l'autorité compétente, lorsqu'elle estime que l'intérêt du service l'exige, d'écarter provisoirement de son emploi un agent, en attendant qu'il soit statué disciplinairement sur sa situation. Une telle suspension peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'agent des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave. Saisi d'un recours contre une telle mesure, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, qui exerce un contrôle normal sur la qualification juridique opérée par l'administration, de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision.

4. En l'espèce, Mme B... a été suspendue de ses fonctions au motif que, le 28 octobre 2018, alors qu'un de ses collègues surveillant agressait physiquement un détenu, elle se serait volontairement abstenue d'une part, d'alerter immédiatement ses collègues et d'autre part, d'intervenir pour porter assistance au détenu.

5. S'il apparaît, selon le procès-verbal de vidéosurveillance rédigé le 16 novembre 2018, que Mme B... ne s'est pas interposée entre son collègue et le détenu et qu'elle n'a pas utilisé la radio de son collègue, il ne peut être déduit de ce seul élément qu'elle s'est volontairement abstenue de donner l'alerte grâce à son propre équipement. En effet, alors que le procès-verbal fait mention de plusieurs sorties hors champ de la caméra des protagonistes, dont Mme B..., la chronologie relevée permet de constater qu'une équipe de surveillants est intervenue " en courant " près de trente secondes après les premiers actes de violence retranscrits. L'ensemble de ces éléments est cohérent avec les explications écrites fournies par Mme B... à sa hiérarchie le 1er novembre 2018, aux termes desquelles elle aurait donné l'alerte avec sa radio portative rapidement après le début de l'altercation, alors en particulier qu'il n'est pas établi ou même allégué que les surveillants s'étant rendus sur les lieux de l'incident seraient intervenus spontanément, ou en réponse à une alerte donnée par un autre agent que Mme B....

6. La ministre de la justice, qui se prévaut de ce seul procès-verbal, ne disposait donc pas, à la date à laquelle elle a pris la décision en litige, de suffisamment d'éléments pour établir la vraisemblance de la faute tirée de l'absence d'alerte. Dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu en particulier de ce qui a été dit s'agissant de l'alerte donnée aux autres collègues, le seul fait que Mme B... ne se soit pas opposée physiquement à son collègue, pour regrettable qu'il soit, n'est pas de nature à caractériser une faute présentant un caractère suffisant de gravité pour justifier le prononcé d'une suspension. Il suit de là que Mme B... est fondée à soutenir que la décision en litige est entachée d'une erreur d'appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande, en tant qu'elle tendait à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2018.

Sur les frais de l'instance :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1900579 du tribunal administratif de Strasbourg du 15 avril 2021 est annulé, en tant qu'il rejette les conclusions aux fins d'annulation de Mme B....

Article 2 : L'arrêté du 23 novembre 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé la suspension de fonction de Mme B... est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de la justice, garde des sceaux, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC01782


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01782
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : GALLAND YANNICK et KIEFFER EMMANUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-19;21nc01782 ?
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