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26/12/2018 | FRANCE | N°18NT01838

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 26 décembre 2018, 18NT01838


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...D..., agissant en son nom propre et pour le compte de la jeune A...C..., et Mme E...C...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires en République démocratique du Congo du 5 février 2015 refusant la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France à Blaisine C...et A...C....

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n jugement n° 1505092 du 6 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...D..., agissant en son nom propre et pour le compte de la jeune A...C..., et Mme E...C...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires en République démocratique du Congo du 5 février 2015 refusant la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France à Blaisine C...et A...C....

Par un jugement n° 1505092 du 6 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de délivrer les visas sollicités.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mai 2018 et le 12 juillet 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance.

Il soutient que :

- les documents d'état civil produits ne permettent pas d'établir le lien de filiation entre Mme D... G...et ses filles alléguées. Il existe, par ailleurs, un doute sérieux, quant à l'identité du père de celles-ci ;

- aucun élément de possession d'état n'a été présenté ;

- les démarches entreprises par les intéressées en vue de la réunification familiale n'ont pas été effectuées dans un délai raisonnable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2018, Mme G...D..., Mme E... C...et Mme A...C..., représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu :

- l'arrêt n° 18NT01840 du 14 septembre 2018 statuant sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bougrine été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 6 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme D...G..., bénéficiaire de la qualité de réfugiée, la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre la décision du 5 février 2015 des autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo refusant la délivrance, au titre du rapprochement familial, de visas d'entrée et de long séjour en France à Blaisine C...et A...C..., que Mme D... G...présente comme ses filles, nées, respectivement, le 3 juillet 1994 et le 1er janvier 1998. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la décision contestée :

2. En premier lieu, le principe d'unité de la famille, principe général du droit applicable aux réfugiés résultant notamment des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, impose, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ou qui avait alors avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former une famille, ainsi qu'aux enfants mineurs de ce réfugié. En conséquence, le conjoint et les enfants mineurs d'un bénéficiaire de la qualité de réfugié sont en droit de se voir délivrer des visas de long séjour à l'effet de le rejoindre en France pour pouvoir mener avec lui une vie familiale normale. De tels visas ne peuvent être refusés que pour un motif d'ordre public. Figurent au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir le lien de filiation entre le demandeur du visa et le membre de famille qu'il projette de rejoindre sur le territoire français ainsi que le caractère frauduleux des actes d'état civil produits.

3. Il ressort des pièces du dossier que pour établir le lien de filiation entre Mme D... G...et les jeunes A...et BlaisineC..., les intéressées ont présenté, à l'appui de leurs demandes de visa, deux actes de naissance établis le 5 juin 2010 sur le fondement d'un jugement supplétif rendu le 2 décembre 2009 par le tribunal de grande instance de Kinshasa Kalamu et du certificat de non appel délivré le 18 mai 2010 par la Cour d'appel de Kinshasa Gambe. Des copies intégrales de ces actes de naissance, certifiées conformes et délivrées le 14 novembre 2016, ont par ailleurs été versées à l'instance.

4. D'une part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Ni le fait que le jugement supplétif d'acte de naissance mentionné au point précédent soit intervenu seulement en 2009 alors qu'il constate des naissances survenues en 1994 et 1998 et que Mme D...G...a été admise au statut de réfugiée en 2003, ni la circonstance, en l'admettant avérée, que la demande de jugement supplétif ait été formée en vue des demandes de visa en litige ne sont, en eux-mêmes, de nature à caractériser une fraude. Si le ministre fait valoir que ce jugement est fondé sur de simples déclarations et des certificats de naissance délivrés par l'hôpital en 2009, cette circonstance ne démontre pas davantage que cette décision juridictionnelle, dont l'administration ne peut utilement contester le bien-fondé, procède d'une démarche frauduleuse. Par ailleurs, si l'article 99 de la loi congolaise n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant dispose que le tribunal pour enfants est le seul compétent pour connaître des matières se rapportant à l'identité et la filiation, il ressort des articles 199 et 200 de cette même loi que les tribunaux pour enfants qu'elle crée devront fonctionner dans les deux années qui suivent sa promulgation et que, dans l'attente, les tribunaux de paix et les tribunaux de grande instance resteront compétents pour connaître des affaires relevant en vertu de cette loi des tribunaux pour enfants. Ainsi, faute d'établir que le tribunal pour enfants, dans le ressort duquel les actes de naissance des jeunes Blaisine et A...auraient dû être dressés, avait été installé à la date du jugement supplétif, rendu le 2 décembre 2009, le ministre n'est pas fondé à se prévaloir, pour établir la fraude, de ce que celui-ci émane du tribunal de grande instance de Kinshasa Kalamu. De même, l'article 106 du code de la famille de la République démocratique du Congo prévoit que le défaut d'acte d'état civil peut être suppléé par jugement rendu par le tribunal de paix ou le tribunal pour enfants sur simple requête présentée par " toute personne intéressée ". Le jugement considéré identifie la requérante, Mme B...H...J..., comme la grand-mère des jeunes Blaisine et A...et lui reconnaît un " intérêt [à ce] que les naissances de ses petites filles soient régulièrement inscrites au registre de l'état civil ". Le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a délivré à Mme D...G...un certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil faisant foi jusqu'à inscription en faux et dont il ressort qu'elle est la fille de M. G... et de MmeB.... Au surplus, alors que le ministre n'apporte aucun élément de nature à mettre en doute le lien de filiation entre Mme B...H...J...et Mme D...G..., il ressort de la fiche familiale de référence remplie le 31 octobre 2000 par Mme D... G...dans le cadre de sa demande d'asile que celle-ci avait indiqué avoir pour mère Mme B...H.... Cette indication figure également dans le formulaire de la demande de titre de séjour qu'elle a formée le 20 juin 2011 et dont le ministre verse une copie aux débats. Enfin, le ministre ne précise pas la règle au regard de laquelle le jugement supplétif ne pourrait être regardé comme authentique faute pour le père des jeunes Blaisine et A...de s'être associé à la requête.

5. D'autre part, la circonstance que les actes de naissance dressés le 5 juin 2010 sur le fondement du jugement supplétif du 2 décembre 2009 mentionnent l'adresse des parents à la date des naissances qu'ils transcrivent et non à celle à laquelle ces derniers étaient domiciliés en 2010 et qu'ils comportent des informations ne figurant pas dans le jugement supplétif ne suffit pas à les priver de valeur probante. S'ils indiquent que M. I...C..., père des jeunes Blaisine etA..., est né le 3 octobre 1967 alors que l'intéressé a déclaré être né le 2 octobre 1967, cette discordance doit être regardée comme une simple erreur matérielle. Il ressort d'ailleurs des formulaires des demandes de visa que les autorités consulaires ont procédé à la vérification des actes de naissance et estimé qu'ils " étaient dressés dans les formes usitées en RDC ". En outre, les requérantes produisent une attestation, non contestée par le ministre, d'authentification de ces actes de naissance, délivrée par le bourgmestre et officier de l'état civil de la commune de Kalamu à Kinshasa.

6. Enfin, si le ministre fait valoir que deux personnes différentes sont identifiées, dans le fichier AGDREF, sous l'identité de I...C..., cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à faire douter de l'authenticité des documents d'état civil et du lien de filiation entre Mme D...G...et les jeunes Blaisine etA....

7. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'une possession d'état, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les liens de filiation entre Mme D...G...et les jeunes Blaisine et A...étaient établis.

8. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, les enfants de réfugié statutaire ont droit lorsqu'ils ont moins de dix-huit ans, sous réserve de motifs d'ordre public et à condition que leur lien de filiation soit établi, à un visa d'entrée et de long séjour en France en vue de venir rejoindre leur père ou leur mère réfugié en France. Eu égard à l'objet de la procédure permettant leur introduction en France, et en l'absence de toute disposition expresse contraire, l'âge des enfants pouvant bénéficier de ce rapprochement familial s'apprécie à la date à laquelle cette procédure est engagée. Il leur incombe néanmoins de satisfaire aux obligations qui leur sont imposées par l'administration dans le cadre de cette procédure, notamment pour le dépôt des demandes de visa, dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle ces obligations leur sont notifiées.

9. D'une part, le délai raisonnable évoqué au point précédent s'entend du délai dans lequel doivent être accomplies les démarches nécessaires en vue du rapprochement familial à compter de l'engagement de cette procédure. Par suite, le ministre ne peut utilement soutenir que le délai de neuf ans séparant l'obtention par Mme D...G...du statut de réfugié et ses premières démarches, entreprises en 2012, en vue d'être rejointe en France par ses deux filles ferait obstacle à la délivrance des visas sollicités.

10. D'autre part, il est constant qu'en juin 2012, Mme D...G...a saisi le bureau des familles de réfugiés du ministère de l'intérieur en vue de l'introduction de ses filles en France et que, le 5 juin 2012, des demandes de visa ont été déposées auprès des autorités consulaires. Le ministre conteste avoir reçu les documents que la requérante soutient lui avoir adressés en réponse à sa demande du 7 juin 2012 et fait valoir qu'elle ne s'est ensuite manifestée qu'en 2015, date à laquelle sa demande de rapprochement familial a été classée sans suite par le bureau des familles des réfugiés et les demandes de visa rejetées par les autorités consulaires. Toutefois, Mme D... G...indique avoir reçu un courrier l'orientant, pour toute information sur l'état d'avancement de sa demande, vers les autorités consulaires. Elle produit le témoignage d'un compatriote attestant s'être présenté à plusieurs reprises à l'ambassade de France à Kinshasa afin de s'enquérir de la suite donnée aux demandes de visa et certifiant qu'il ne lui a pas été signifié que les services du bureau des familles des réfugiés ne disposaient pas des documents nécessaires. Compte tenu de ces circonstances particulières, l'absence de délai raisonnable ne pouvait légalement justifier les refus opposés aux demandes de visa en litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérantes d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme D...G..., Mme E...C...et Mme A...C...la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, MmeD... G..., Mme E... C...et Mme A...C....

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.

Le rapporteur,

K. BOUGRINELe président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT01838


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01838
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : BATI-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-12-26;18nt01838 ?
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