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16/10/2020 | FRANCE | N°19NT04649

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 16 octobre 2020, 19NT04649


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2018 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902494 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4

décembre 2019 et 30 mars 2020 Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2018 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902494 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 décembre 2019 et 30 mars 2020 Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 juillet 2019 ;

2°) d'annuler les décisions du 26 septembre 2018 par lesquelles le préfet des Côtes d'Armor a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet des Côtes d'Armor de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est entaché de divers vices de procédure qui l'ont privé des garanties procédurales prévues par la loi et par les dispositions des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle n'a pas bénéficié d'une nouvelle saisine du collège de médecins de l'OFII dans le cadre du réexamen de sa demande ; l'avis du collège de médecins de l'OFII rendu en février 2018 est incomplet en ce qu'il ne comporte aucune croix dans les rubriques 3 et 4 ; il n'est établi ni que le médecin qui a établi le rapport n'a pas siégé au sein du collège de médecins qui a rendu l'avis transmis au préfet, ni que l'avis rendu par le collège de médecins revêt bien un caractère collégial ;

- la décision portant refus de titre de séjour procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant refus de titre de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français procèdent d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle ;

- compte tenu de son état de grossesse, de son suivi psychiatrique et de la reconnaissance anticipée de paternité souscrite par le père de l'enfant qu'elle porte, la décision portant obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; étant seule et souffrant de troubles psychiatriques, elle est particulièrement vulnérable et serait exposée dans son pays d'origine à des traitements inhumains et dégradants.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2020, le préfet des Côtes d'Armor conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un courrier du 17 septembre 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi, le préfet des Côtes d'Armor ayant fait à tort application des dispositions des articles L. 511-4 10° et R. 511-1 du CESEDA relatifs à la "protection contre l'éloignement'' alors qu'il était saisi d'une demande de titre de séjour.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 31322, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... est une ressortissante tanzanienne née le 5 mai 1990. Elle est entrée en France en 2015 et sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 janvier 2016, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 28 février 2017. Le préfet des Côtes d'Armor a alors pris à son encontre, le 19 avril 2017, une décision portant obligation de quitter le territoire français qu'elle a contestée en vain devant le tribunal administratif de Rennes. S'étant maintenue sur le territoire français, elle a ultérieurement sollicité, le 10 janvier 2018, la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé, aux termes d'un avis rendu le 21 février suivant, d'une part, que si l'état de santé de Mme A... nécessitait une prise en charge, l'absence d'une telle prise en charge ne devrait en revanche pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, d'autre part, que l'intéressée pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine et y bénéficier d'un traitement adapté. Par un arrêté du 2 mars 2018, le préfet des Côtes d'Armor a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Par un jugement n°1801618 du 27 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme A.... A l'issue de ce réexamen, le préfet des Côtes d'Armor a pris un nouvel arrêté du 26 septembre 2018 portant de nouveau refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 11 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours contre cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Selon l'article R. 313-23 de ce code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins / (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté. ". Et l'article 6 de cet arrêté énonce que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...) ".

3. Il résulte des dispositions citées au point précédent que l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII dans le cadre de l'instruction d'une demande de titre de séjour fondée sur les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est rendu au vu notamment d'un rapport médical établi par un médecin de l'office qui peut, le cas échéant, ainsi qu'il est énoncé à l'article R. 313-23 précité du même code, engager des démarches pour recueillir tous éléments sur l'état de santé du demandeur. L'établissement de ce rapport constitue une garantie pour l'étranger sollicitant un titre de séjour pour raisons médicales.

4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des termes mêmes de l'arrêté contesté comme des écritures produites en défense, tant en première instance qu'en appel, que le préfet des Côtes d'Armor a regardé la demande de Mme A... comme tendant à la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales notamment. Dans ces conditions et quand bien même l'intéressée avait fait l'objet, le 19 avril 2017, d'une précédente mesure d'éloignement, l'instruction de la nouvelle demande de titre de séjour présentée par l'intéressée le 10 janvier 2018 relevait de la procédure prévue pour l'application du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telle que rappelée au point 2, et non de la procédure prévue pour l'application du 10° de l'article L. 511-4 du même code, laquelle ne requiert pas l'établissement d'un rapport médical par le médecin de l'OFII.

5. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, notamment des écritures et des pièces produites en appel par le préfet des Côtes d'Armor, que l'avis rendu le 21 février 2018 par le collège de médecins de l'OFII, au vu duquel la demande de titre de séjour pour raisons médicales présentée par Mme A... a été rejetée, a été émis sans qu'au préalable eût été établi le rapport d'un médecin de l'office prévu et défini aux articles R. 313-22 et R 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'absence de ce rapport doit être regardée comme ayant privé la requérante d'une garantie et constitue, dès lors, un vice susceptible d'avoir exercé une influence sur la teneur de l'avis du collège de médecins et, par suite, sur la décision de refus de titre de séjour qui a été opposée à l'intéressé. L'arrêté contesté du préfet des Côtes d'Armor du 26 septembre 2018 doit, pour ce motif, être annulé.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement qu'il soit procédé au réexamen de la demande de Mme A.... Il y a lieu d'adresser au préfet des Côtes d'Armor une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette mesure d'exécution de l'astreinte demandée par la requérante.

Sur les frais d'instance :

8. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me B... au titre des frais d'instance, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement n° 1902494 du tribunal administratif de Rennes du 11 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet des Côtes d'Armor du 26 septembre 2018 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Côtes d'Armor de réexaminer la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme A... et de sa requête est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... A....

Une copie sera transmise au préfet des Côtes d'Armor.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 octobre 2020.

Le rapporteur,

M. C...

Le président,

C. Brisson

Le greffier,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19NT046492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04649
Date de la décision : 16/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SEMLALI NAWAL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-16;19nt04649 ?
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