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23/03/2021 | FRANCE | N°19NT03635

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 mars 2021, 19NT03635


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Maine-et-Loire a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, le 12 mai 1987, d'autre part, d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, le 12 mai 1987, enfin de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et le versement d'une somme de 3000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 d

e la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1609476 du 11 juillet 2019, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Maine-et-Loire a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, le 12 mai 1987, d'autre part, d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, le 12 mai 1987, enfin de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et le versement d'une somme de 3000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1609476 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 10 septembre 2019 et le 25 février 2021, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juillet 2019 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Maine-et-Loire a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, le 12 mai 1987.

3°) d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 12 mai 1987 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté d'expulsion du 12 mai 1987 ainsi que la décision du préfet de Maine et Loire contestée sont entachées d'incompétence ;

- la décision contestée du préfet de Maine-et-Loire méconnait l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne présente pas une menace grave pour l'ordre public ; l'arrêté d'expulsion est intervenu le 15 septembre 2006, soit il y a plus de 12 ans désormais ; son casier judiciaire est vierge ; en tant que ressortissant communautaire, son droit d'entrée et de libre séjour sur le territoire de l'un des Etats membres ne saurait être limité que " pour des raisons impérieuses de santé publique ". Son droit au séjour en France ne représente aucune menace réelle et actuelle avérée.

- il est chargé de famille, ayant deux enfants mineurs et un troisième dont il assure la tutelle ; il souhaite pouvoir séjourner ponctuellement sur le territoire français pour des motifs de loisir et dans la perspective d'éventuelles opportunités professionnelles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2019, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant tunisien né le 18 septembre 1962, est entré régulièrement en France, le 11 mai 1968, au titre de l'autorisation de regroupement familial accordée à son père, résidant en France. Le 24 mai 1985, il a été condamné par le tribunal correctionnel d'Angers à une peine de 18 mois d'emprisonnement pour vols et escroqueries perpétrés en 1978, 1979, 1981 et 1984. Le 12 mai 1987, l'intéressé a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion du territoire français, lequel a été exécuté, le 13 août 1987. Le 13 octobre 1988, M. D... est revenu irrégulièrement en France et s'est maintenu, depuis lors, sur le territoire. Le 7 juillet 1995, il a sollicité l'abrogation de la mesure d'expulsion. Cette demande a été rejetée au motif qu'il avait été condamné le 12 septembre 1995 à une peine de 2 ans d'emprisonnement dont 1 an et 6 mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de 3 ans. Le 27 janvier 2016, l'intéressé a présenté au ministre de l'intérieur une demande tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 12 mai 1987, demande transmise au préfet territorialement compétent conformément au décret du 13 janvier 1997 relatif à la déconcentration partielle des décisions d'expulsion, codifié à l'article R. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

2. Le 13 juillet 2016, M. D... a saisi le préfet de Maine-et-Loire d'une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, laquelle a été implicitement rejetée. Il relève appel du jugement du 11 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision contestée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion vaut décision de rejet ". Si M. D... soutient que l'auteur de la décision contestée était incompétent faute pour lui de justifier d'une délégation de signature régulière, un tel moyen est inopérant s'agissant d'une décision intervenue implicitement du fait du silence gardé par le préfet de Maine-et-Loire pendant plus de quatre mois sur la demande tendant à l'abrogation de l'arrêté ministériel du 12 mai 1987 que l'intéressé lui avait adressée. Si le requérant invoque également l'incompétence de l'auteur de l'arrêté d'expulsion du 12 mai 1987 dont l'abrogation est sollicitée, un tel moyen dirigé contre une décision ministérielle devenue définitive du fait de l'expiration des délais de recours contentieux ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter. ". Aux termes de l'article L. 524-2 du même code : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 521-4, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. / (...) / A défaut de notification à l'intéressé d'une décision explicite d'abrogation dans un délai de deux mois, ce réexamen est réputé avoir conduit à une décision implicite de ne pas abroger. Cette décision est susceptible de recours (...) ". Aux termes de l'article L. 524-3 du même code : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cet arrêté que si le ressortissant étranger réside hors de France. Toutefois, cette condition ne s'applique pas : 1° Pour la mise en oeuvre de l'article L. 524-2 ; 2° Pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine d'emprisonnement ferme ; 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence pris en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 523-5 ".

5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public, sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée. Toutefois, si le ressortissant étranger réside en France et ne peut invoquer le bénéfice des exceptions définies par l'article L. 524-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale a compétence liée pour rejeter la demande d'abrogation présentée.

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée fait suite à la demande d'abrogation présentée aux services préfectoraux par M. D..., le 13 juillet 2016, à une échéance distincte du délai de réexamen d'office, fixée par la procédure prévue par les dispositions précitées de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est constant également que cette demande d'abrogation, pas plus que le recours introduit devant le tribunal administratif, ne tendaient à la contestation de la décision implicite précédemment intervenue le 12 juillet 2012 à la suite du réexamen quinquennal de la décision d'expulsion le concernant. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'à la date de la décision préfectorale contestée, M. D... résidait en France, sans, toutefois, faire l'objet d'une mesure d'emprisonnement ou d'assignation en résidence. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le préfet de Maine-et-Loire était tenu de rejeter la demande d'abrogation de l'intéressé et que les moyens tirés du défaut de consultation de la commission prévue à l'article L. 522-1 du code précité et de l'incompétence de l'auteur de la décision préfectorale contestée, écarté plus haut pour un autre motif, devaient être écartés comme inopérants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 524-2 du même code doivent être écartés.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. M. D... soutient vivre depuis plus de cinquante ans en France auprès de ses parents, ses frères et ses soeurs, qu'il y a suivi sa scolarité, y a fondé une famille et a eu un fils dont il est proche. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. D... vit séparé de sa compagne, depuis 2008. S'agissant de leur fils, B..., né le 10 octobre 1999, M. D... n'établit pas, par les seules attestations produites à l'instance, peu précises et insuffisamment circonstanciées, qu'il aurait contribué à l'entretien et l'éducation de l'enfant, notamment depuis que le requérant ne partage plus le même foyer. Il établit seulement avoir versé un mandat d'un montant de 150 euros à la mère de son fils au titre de l'année 2013. De surcroît, M. D... n'apporte aucun élément probant de nature à établir, à la date de la décision contestée, la réalité des liens qu'il entretiendrait avec Medhi, aujourd'hui majeur. De même, si les frères et soeurs de M. D... résident en France, l'intéressé ne justifie, toutefois pas, par les quelques attestations aux termes stéréotypés versées au dossier, entretenir des relations régulières avec ceux-ci. En outre, si M. D... a exercé différentes activités professionnelles en France, notamment en qualité de chef de chantier, lui permettant de cumuler, à la date de la décision contestée, 37 trimestres de cotisations au titre de la retraite, cette circonstance ne suffit, toutefois, pas à le regarder comme particulièrement intégré dans la société française, dès lors que certains trimestres de cotisations ont été acquis en raison d'emplois occupés durant ses périodes de détention en centre pénitentiaire. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. D... a fait l'objet de nombreuses condamnations pénales entre 1982 et 2013, notamment pour vol, escroquerie et conduite sous l'empire d'un état alcoolique, certaines de ces infractions ayant été commises en état de récidive, conduisant au prononcé à son encontre de peines allant d'un mois à un an et six mois d'emprisonnement, totalisant, ainsi, plus de quatre années d'incarcération. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire a pu refuser d'abroger l'arrêté d'expulsion sans porter au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis par cette décision. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 12 mai 1987 dont il a fait l'objet.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que demande M. D... à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. C..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.

Le rapporteur,

O. C...Le président,

O. GASPON

Le greffier,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19NT03635 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03635
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : AMARA-LEBRET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-23;19nt03635 ?
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