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23/04/2021 | FRANCE | N°20NT01891

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 23 avril 2021, 20NT01891


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision par laquelle le préfet du Finistère a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que l'arrêté du 8 avril 2019 par lequel le même préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit d'office et lui a fait obligation de remettre son pas

seport aux services de police et de se présenter une fois par semaine au commissari...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision par laquelle le préfet du Finistère a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que l'arrêté du 8 avril 2019 par lequel le même préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit d'office et lui a fait obligation de remettre son passeport aux services de police et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest.

Par un jugement nos 1900795,1904820 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2020 M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère du

8 avril 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 8 avril 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que son identité n'était pas établie ; il a produit un acte de naissance dont le préfet ne conteste pas l'authenticité ; les données figurant dans le fichier " Visabio ", si elles prouvent qu'il a sollicité en 2014 un visa sous la fausse identité de B... Djibril né en 1987, ne prouvent en revanche pas que son identité est falsifiée ; l'enquête initiée à ce sujet a été classée sans suite par le parquet le 28 novembre 2018 ; s'il avait eu effectivement une trentaine d'années lors de son entrée en France, il n'aurait pas pu prétendre être mineur et n'aurait pas été pris en charge par les services éducatifs ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il a déposé sa demande alors qu'il allait avoir 18 ans, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) alors qu'il était âgé de 15 ans, suit une formation de manière régulière et sérieuse, il n'a plus aucun lien avec sa famille et la structure qui l'accueille a émis un avis favorable quant à son insertion ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; un enfant est né de sa relation avec une ressortissante française avec laquelle il vit ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- s'agissant de la décision portant refus de titre de séjour, de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de la décision l'obligeant à remettre son passeport et à se présenter au commissariat de police, il s'en rapporte à ses écritures de première instance et entend invoquer les mêmes moyens de légalité externe ou interne que devant les premiers juges.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 novembre 2020 le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

2 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- vu l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant malien né le 25 octobre 1999, déclare être entré irrégulièrement en France le 8 juin 2015. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du Finistère par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 20 février 2017. Le 11 octobre 2017, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 8 avril 2019, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office et lui a fait obligation de remettre son passeport aux services de police et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du

5 décembre 2019 en tant seulement qu'il a rejeté son recours tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ; (...) ". Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.

3. D'autre part, l'article L. 111-6 du même code prévoit que la vérification de tout acte civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. Enfin, selon l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 " (...) sont admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République du Mali les documents suivants établies par les autorités administratives (...) de chacun des deux Etats : les expéditions des actes de l'état civil (...). Les documents énumérés ci-dessus devront être revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, être certifiées conformes à l'original par ladite autorité (...) " et aux termes de l'article 25 de la convention consulaire entre la France et le Mali signée le 3 février 1962 : " L'Etat de résidence devra admettre, sans légalisation, les signatures apposées par les consuls sur les documents (...) dont ils certifient l'expédition conforme à l'original délivré par l'autorité compétente lorsque ces documents seront revêtus de leur sceau officiel et établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité. ".

5. Le préfet du Finistère a refusé de délivrer à M. B... le titre de séjour qu'il demandait sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux motifs qu'il a frauduleusement déclaré être né le

25 octobre 1999 alors qu'il est enregistré sous une autre identité et une autre date de naissance (le 10 juin 1987) dans le fichier VISABIO, qu'il était majeur lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du Finistère, qu'il ne justifie pas du caractère réel et sérieux de ses études et qu'il n'établit pas ne pas avoir conservé de liens avec sa famille au Mali.

6. En premier lieu, à l'appui de sa demande de titre de séjour M. B... a produit les copies d'un passeport délivré le 5 avril 2019 par le consul général du Mali en France et d'un extrait d'acte de naissance délivré le 14 février 2018 par l'officier de l'état civil de Kayes (Mali), ce dernier document étant certifié conforme à l'original par cette dernière autorité administrative. Par application des stipulations rappelées au point 4, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, ces actes, dont l'authenticité n'est pas sérieusement contestée, doivent être regardés comme produisant leur plein effet en France, sans obligation de les faire légaliser. Dans ces conditions, et alors au surplus que la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel de Rennes a estimé dans son arrêt du 20 février 2017, que M B..., " actuellement âgé de 17 ans pour être né le 25 octobre 1999 ", justifiait de sa minorité, c'est à tort que le préfet du Finistère a considéré que le requérant avait entaché de fraude sa demande de titre de séjour en se prévalant d'une fausse date de naissance et qu'il ne remplissait pas les conditions d'âge imposées par les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., dont le préfet reconnaît lui-même dans ses écritures de première instance le caractère réel et sérieux des études durant les années scolaires 2015-2016 et 2016-2017, a été scolarisé en classe de troisième au collège Anna Marly de Brest puis en CAP et BEP au lycée de l'Elorn de Landerneau, et qu'il a obtenu dans ce cadre un CAP ébéniste le 12 juillet 2018 puis un BEP en juin 2019 et a poursuivi ses études en classe de terminale professionnelle pour l'année 2019-2020 dans le même lycée. Il justifie ainsi d'une progression constante et d'un cursus régulièrement couronné de succès. Il ne ressort par ailleurs d'aucune des pièces du dossier que M. B..., qui n'est pas retourné dans son pays d'origine depuis son installation en France, aurait maintenu une relation étroite avec sa famille au Mali. Enfin, selon un avis de l'éducatrice référente de la structure d'accueil à laquelle il a été confié, d'ailleurs confirmé par plusieurs témoignages, M. B... est bien inséré dans la société française. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Finistère a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère du 8 avril 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. Pour l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, l'annulation prononcée par le présent arrêt, eu égard au motif qui la fonde, implique que, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, le préfet du Finistère délivre à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'adresser au préfet une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 1 500 euros à payer à Me A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 112 du décret du 28 décembre 2020.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1900795,1904820 du tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 2019 et l'arrêté du préfet du Finistère du 8 avril 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme totale de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 112 du décret du 28 décembre 2020.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2021.

Le rapporteur

M. D...Le président

C. Brisson

Le greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01891


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01891
Date de la décision : 23/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SAGLIO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-23;20nt01891 ?
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