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21/05/2021 | FRANCE | N°20NT02338

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 21 mai 2021, 20NT02338


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet du Finistère a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit d'office, et lui a fait obligation de remettre son passeport et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest.

Par un jugement n° 2001207 du 29 juin 2020, le tribunal admin

istratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet du Finistère a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit d'office, et lui a fait obligation de remettre son passeport et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest.

Par un jugement n° 2001207 du 29 juin 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2020 M. D..., représenté par

Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 juin 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 6 novembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'avis du 1er juillet 2019 du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) est irrégulier ;

- le préfet du Finistère a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 et celles de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la mesure d'éloignement prise à son encontre a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision désignant le pays de destination est privée de base légale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- la décision l'obligeant à remettre son passeport et à se présenter deux fois par semaine au commissariat de police de Brest est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2020 le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

On été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me A..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant djiboutien né le 9 décembre 1980, est entré en France le 31 août 2012 sous couvert d'un visa de court séjour. A compter du 11 janvier 2013, il a été autorisé à séjourner en France en raison de son état de santé. Le 19 novembre 2018, il a demandé le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle ou la délivrance d'une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " sur le fondement des dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 6 novembre 2019, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office et lui a fait obligation de remettre son passeport et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest. M. D... relève appel du jugement du 29 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité du refus de délivrance d'un titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. ". Il appartient au préfet, lorsqu'il statue sur une demande de carte de séjour, de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par ces textes.

3. Le préfet du Finistère a pris l'arrêté contesté en s'appuyant sur un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du

1er juillet 2019 selon lequel l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à Djibouti et est en état de voyager vers ce pays.

4. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis du 1er juillet 2019 du collège de médecins du service médical de l'OFII par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffre d'une maladie mentale grave pour laquelle il a été hospitalisé à six reprises entre septembre 2012 et mars 2013 au centre hospitalier universitaire de Brest et qu'il bénéficie d'un suivi médical régulier et d'un traitement médicamenteux quotidien. S'il ressort également des pièces du dossier, en particulier d'un certificat médical établi le 2 décembre 2019 par le médecin psychiatre qui le suit au CHU de Brest, que l'encadrement familial dont il jouit favorise la stabilisation de son état, cette indication ne suffit pas établir qu'il ne pourrait bénéficier effectivement des soins dont il a besoin à Djibouti. Par conséquent, le préfet du Finistère n'a pas méconnu les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rappelées au point 2 en refusant de renouveler son titre de séjour.

6. Aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable, issue de la loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 : " Une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " est délivrée de plein droit à l'étranger qui justifie : 1° D'une résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France au titre de l'une des cartes de séjour temporaires ou pluriannuelles ou de l'une des cartes de résident prévues au présent code (...) 2° De ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins. (...) La condition prévue au présent 2° n'est pas applicable lorsque la personne qui demande la carte de résident est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ; 3° D'une assurance maladie. (...) ". L'article

L. 314-10 du même code dispose : " Dans tous les cas prévus dans la présente sous-section, la décision d'accorder la carte de résident ou la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " est subordonnée au respect des conditions prévues à l'article L. 314-2. ". Selon cet article : " Lorsque des dispositions législatives du présent code le prévoient, la délivrance d'une première carte de résident est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance de la langue française, qui doit être au moins égale à un niveau défini par décret en Conseil d'Etat.(...). " Enfin, selon l'article R. 314-1 du même code : " Pour l'application des dispositions des articles L. 314-8, L. 314-8-1, L. 314-8-2 et L. 314-9, l'étranger présente à l'appui de sa demande de carte de résident ou de carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " (...) les pièces suivantes : (...) 5° Pour l'appréciation de la condition d'intégration prévue à l'article L. 314-2 : a) Une déclaration sur l'honneur par laquelle il s'engage à respecter les principes qui régissent la République française ; b) Les diplômes ou certifications permettant d'attester de sa maîtrise du français à un niveau égal ou supérieur au niveau A2 du cadre européen commun de référence pour les langues du Conseil de l'Europe tel qu'adopté par le comité des ministres du Conseil de l'Europe dans sa recommandation CM/ Rec (2008) 7 du 2 juillet 2008, dont la liste est définie par un arrêté du ministre chargé de l'accueil et de l'intégration (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... n'a pas produit, au soutien de sa demande de carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ", la déclaration sur l'honneur et le justificatif de maîtrise de la langue française exigés par les dispositions de l'article R. 314-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rappelées au point précédent. Par suite, et pour ce seul motif, le préfet du Finistère a pu légalement lui refuser le titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement de l'article L. 314-8 de ce code.

Sur la légalité de la mesure d'éloignement :

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il est constant que M. D... résidait en France depuis près de sept ans en situation régulière à la date de la décision contestée, d'abord sous couvert d'autorisations provisoires de séjour valables du 11 janvier 2013 au 1er janvier 2014, puis de cartes de séjour temporaire pour la période allant du 2 janvier 2014 au 13 janvier 2017, et enfin d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 13 janvier 2019. Il ressort aussi des pièces du dossier que, depuis son entrée en France, M. D... vit chez ses parents, son père possédant la nationalité française et sa mère étant titulaire d'une carte de résident, et qu'au moins quatre de ses frères et soeurs vivent en France en situation régulière. Il est enfin établi que

M. D... bénéficie de l'allocation aux adultes handicapés, ce qui lui assure un revenu mensuel d'environ 900 euros. Dans ces circonstances particulières, et eu égard au fait, rappelé au point 5, que M. D... souffre d'une grave pathologie mentale dont la stabilisation est favorisée par l'encadrement familial dont il bénéficie en France, la mesure d'éloignement contestée a porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, contraire aux stipulations rappelées au point précédent, et doit, pour ce motif, être annulée.

Sur la légalité des autres décisions contestées :

10. Les décisions du 6 novembre 2019 par lesquelles le préfet du Finistère a fixé le pays à destination duquel M. D... pourra être reconduit d'office et lui a fait obligation de remettre son passeport et de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement prise à son encontre.

11. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes en tant qu'elles étaient dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le pays de destination et les mesures d'astreinte prises à son encontre.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique seulement, en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il soit enjoint au préfet du Finistère de munir immédiatement M. D... d'une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur son droit au séjour dans un délai de deux mois. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par le requérant.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001207 du tribunal administratif de Rennes du 29 juin 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D... tendant à l'annulation des décisions du préfet du Finistère du 6 novembre 2019 l'obligeant à quitter le territoire français, fixant le pays de destination de sa reconduite et prononçant à son encontre diverses mesures d'astreinte. L'arrêté du 9 novembre 2019 du préfet du Finistère est également annulé dans cette mesure.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Finistère de munir immédiatement M. D... d'une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur son droit au séjour dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.

Le rapporteur

E. B...Le président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02338


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02338
Date de la décision : 21/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SAGLIO

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-21;20nt02338 ?
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