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21/05/2021 | FRANCE | N°20NT03519

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 21 mai 2021, 20NT03519


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... E... a, en son nom propre et pour le compte des enfants mineurs C... I..., Emma E... Suga, Venant Roland Suga Suga et G... D..., demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Douala rejetant les demandes de visa de long séjour formées pour ces quatre enfants qu'elle présente

comme ses fils.

Par un jugement n° 2000302 du 19 juin 2020, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... E... a, en son nom propre et pour le compte des enfants mineurs C... I..., Emma E... Suga, Venant Roland Suga Suga et G... D..., demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Douala rejetant les demandes de visa de long séjour formées pour ces quatre enfants qu'elle présente comme ses fils.

Par un jugement n° 2000302 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2020, Mme E..., agissant en son nom propre et pour le compte des enfants mineurs C... I..., Emma E... Suga, Venant Roland Suga Suga et G... D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le motif de refus qui lui a été opposé n'est pas de ceux permettant, sur le fondement de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de refuser la délivrance d'un visa au titre de la réunification familiale ;

- les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les observations de Me A..., substituant Me B... et représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante camerounaise, a obtenu le statut de réfugié par une décision du Directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 janvier 2018. Le 8 janvier 2019, des visas de long séjour, au titre de la réunification familiale ont été sollicités pour les enfants C... I..., Emma E... Suga, Venant Roland Suga Suga et G... D... que Mme E... présente comme ses fils. Le recours préalable formé contre les refus de visa opposés le 27 juin 2019 par les autorités consulaires françaises en poste à Douala a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme E..., agissant en son nom personnel et pour le compte des quatre enfants, relève appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la commission.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si le réfugié (...) est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

4. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".

5. La décision implicite en litige doit être regardée comme fondée sur le même motif que celui opposé par les autorités consulaires françaises et tiré de la fraude entachant les demandes de visa. Le ministre de l'intérieur précise, dans ses écritures, que les documents produits à l'appui de ces demandes de même que les contradictions entachant les déclarations de Mme E... caractérisent la fraude.

En ce qui concerne les jeunes Irwin, Emma et Venant Roland :

6. Il ressort des actes de naissance n° 71/2004, n° 87/2006 et n° 85/2008, dressés respectivement le 18 août 2004, le 17 mars 2006 et le 11 septembre 2008, que les jeunes Irwin I..., Emma E... Suga et Venant Roland Suga Suga, nés le 9 août 2004, le 3 mars 2006 et le 31 août 2008, sont les fils de Mme H... J... E..., née le 8 septembre 1983.

7. Pour démontrer le caractère frauduleux de ces actes de naissance et écarter les liens de filiation revendiqués, le ministre de l'intérieur fait, d'abord, valoir que les feuillets ne comportent pas de ligne destinée à renseigner la date de naissance du père. Toutefois, il n'apporte aucun élément de nature à établir que ces feuillets ne correspondent pas à ceux effectivement utilisés par les services d'état civil camerounais. En outre, alors que l'officier d'état civil a, comme il y était tenu, mentionné sur les actes de naissance critiqués l'année de naissance du père, la circonstance que cette information soit inscrite sur la même ligne que celle sur laquelle figure son lieu de naissance ne permet pas de regarder ces documents comme frauduleux. Ensuite, l'article 14 de l'ordonnance camerounaise n° 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil et diverses dispositions relatives à l'état des personnes physiques prévoit que les actes de naissance sont conjointement signés par l'officier d'état civil et par le secrétaire du centre au vu d'une déclaration du père, de la mère, du chef de l'établissement hospitalier où a eu lieu la naissance ou encore de toute personne ayant eu connaissance de l'événement. Il prescrit de mentionner sur l'acte la qualité du déclarant. Les actes de naissance considérés indiquent qu'ils ont été dressés sur les déclarations de naissance émanant du centre médical d'arrondissement de Bakou où sont nés les enfants, lesquelles sont numérotées. Aucun élément au dossier ne permet d'établir que le nom ou la qualité du chef de centre médical d'arrondissement de Bakou auraient dû, selon le droit et les usages locaux, être apposés sur les actes. Enfin, les légères contradictions relatives aux dates de naissance relevées dans les déclarations de Mme E... dans un formulaire administratif rempli à son arrivée en France et dans un courrier produit à l'appui de sa demande d'asile ne sont, par elles-mêmes, pas de nature à faire regarder les actes dressés en 2004, 2006 et 2008 comme frauduleux.

En ce qui concerne le jeune G... :

8. A l'appui de la demande de visa formée pour le jeune G... D..., seul un certificat de conformité d'acte de naissance n° 38/2011 et d'existence de souche au centre d'état civil de Ngwele a été produit. Alors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 2 du présent arrêt, que le demandeur d'un visa au titre de la réunification familiale justifie de son identité et de son lien familial avec le réfugié qu'il entend rejoindre en France par la production d'un acte d'état civil ou, en l'absence d'un tel acte, par des éléments de possession d'état, le fait de produire un tel document, dont l'authenticité n'est d'ailleurs aucunement mise en cause, sans l'accompagner de l'acte de naissance ne saurait constituer une manoeuvre frauduleuse.

9. Au surplus, il ressort des pièces du dossier et notamment des justificatifs de transferts d'argent, d'envois de colis de vêtements pour enfants et de fournitures scolaires, des séjours au Congo ainsi que des nombreuses attestations émanant tant de personnes ayant connu Mme E... au Cameroun que des personnes l'ayant accompagnée en France que la requérante a eu quatre enfants. Elle en a de manière constante fait état auprès des autorités françaises en déclarant que le plus jeune se nommait G... D.... Le certificat mentionné au point précédent indique que Mme H... J... E... née le 8 septembre 1983 est la mère de l'enfant G... D... né le 19 septembre 2011. Des photographies sont versées au dossier de même que le passeport du jeune G... sur lequel est apposée sa photographie d'identité. L'ensemble de ces éléments permet de tenir pour établi par possession d'état le lien de filiation revendiqué.

10. L'identité des jeunes Irwin I..., Emma E... Suga, Venant Roland Suga Suga et G... D... et leur lien de filiation de Mme E... étant établis, le motif des refus de visa litigieux tenant à la fraude est entaché d'illégalité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

12. Eu égard aux motifs sur lesquels le présent arrêt se fonde et alors que le ministre de l'intérieur fait valoir qu'il n'est pas justifié du consentement du père des enfants à leur départ pour la France, son exécution implique seulement d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer, à la lumière des motifs du présent arrêt, les demandes de visa, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

13. Il appartiendra au ministre de l'intérieur, dans le cadre de ce réexamen, d'apprécier la situation particulière des enfants en veillant à ce que sa décision soit conforme à leur intérêt supérieur.

Sur les frais liés au litige :

14. Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 100 euros à Me B....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juin 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen des demandes de visas de long séjour, dans le délai de deux mois compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 100 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 27 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente assesseur,

- Mme F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2021.

Le rapporteur,

K. F...

Le président,

A. PEREZLe greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT03519


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03519
Date de la décision : 21/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : COLAS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-05-21;20nt03519 ?
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