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22/06/2021 | FRANCE | N°20NT01705

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 22 juin 2021, 20NT01705


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 janvier 2012 par laquelle le préfet de la Mayenne a constaté la perte du droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au moulin de l'Ermitage, situé en bordure de la rivière de la Jouanne, sur le territoire de la commune d'Argentré.

Par un jugement no 1203381 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un arrêt no 16NT03067 du 9 novembre 2018, la cour administrative d

'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. B... C..., venant aux droits de M. E......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 janvier 2012 par laquelle le préfet de la Mayenne a constaté la perte du droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au moulin de l'Ermitage, situé en bordure de la rivière de la Jouanne, sur le territoire de la commune d'Argentré.

Par un jugement no 1203381 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un arrêt no 16NT03067 du 9 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. B... C..., venant aux droits de M. E... en qualité de nouveau propriétaire du moulin de l'Ermitage, contre ce jugement.

Par une décision no 426887 du 17 juin 2020, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire, qui porte désormais le no 20NT01705.

Procédure devant la cour :

Avant cassation :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 septembre 2016, 17 octobre 2018 et le 25 octobre 2018, M. B... C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juin 2016 ;

2°) de constater le droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au " Moulin de l'Ermitage " ;

3°) de fixer la consistance légale du droit fondé en titre de cet ouvrage hydroélectrique à 11 kW ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier faute de viser le dernier mémoire produit par le requérant ;

- le moulin de l'Ermitage, établi antérieurement à la Révolution française, bénéficie d'un droit fondé en titre à l'usage de l'eau de la Jouanne ;

- ce droit fondé en titre ne s'est pas éteint du fait d'un prétendu état de ruine des ouvrages essentiels à 1'utilisation de 1' énergie hydraulique ;

- la consistance légale de ce droit doit être fixée à 11 kW.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2017, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la consistance légale du moulin de l'Ermitage soit fixée à 6,85 kW.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête d'appel est irrecevable pour être tardive ;

- à titre subsidiaire, aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé ;

- en tout état de cause, la consistance légale du droit fondé en titre attaché à ce moulin s'élevait à 6,85 kW.

Par une lettre du 17 juillet 2018, les parties ont été informées de ce qu'en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité de la requête d'appel dès lors que M. C..., qui n'est pas l'héritier de M. E..., ne pouvait reprendre, suite au décès de ce dernier, l'instance qu'il avait introduite devant le tribunal administratif et ne peut, par suite, être regardé comme une partie de première instance.

Par des observations, enregistrées le 31 juillet et le 7 août 2018, M. B... C... a répondu au moyen d'ordre public susceptible d'être relevé d'office.

Après cassation :

Par un mémoire, enregistré le 7 décembre 2020, M. C..., représenté par Me A..., conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et demande, en outre, à la cour d'annuler la décision du 27 janvier 2012 par laquelle le préfet de la Mayenne a constaté la perte du droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au " moulin de l'Ermitage ".

Il soutient que :

- sa requête d'appel est recevable dès lors qu'il était partie en première instance et qu'elle n'est pas tardive ;

- le jugement attaqué est irrégulier faute de viser son dernier mémoire du 22 février 2016 ;

- le moulin de l'Ermitage, établi antérieurement à la Révolution française, bénéficie d'un droit fondé en titre à l'usage de l'eau de la Jouanne ;

- ce droit fondé en titre ne s'est pas éteint du fait d'un prétendu état de ruine des ouvrages essentiels à 1'utilisation de 1'énergie hydraulique ni d'un changement d'affectation ;

- la consistance légale de ce droit d'usage de l'eau doit être fixée à 11 kW.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G...,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant M. C....

Une note en délibéré, présentée par M. C..., a été enregistrée le 21 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 27 janvier 2012, le préfet de la Mayenne a constaté la perte du droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au moulin de l'Ermitage, situé en bordure de la rivière la Jouanne sur le territoire de la commune d'Argentré. Son propriétaire d'alors, M. E..., a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande d'annulation de cette décision et de reconnaissance du caractère fondé en titre du droit d'eau afférent à cet ouvrage, rejetée par un jugement du 23 juin 2016. M. C..., nouveau propriétaire du moulin acquis le 29 décembre 2015 auprès de la succession de M. E..., décédé le 28 avril 2015, a relevé appel du jugement du 23 juin 2016. Par un arrêt du 9 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté comme irrecevable l'appel formé contre ce jugement par M. C.... Par une décision du 17 juin 2020, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article 1675 du code civil : " L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel. ". Le droit à l'usage de l'eau attaché à un moulin fondé en titre étant un droit réel immobilier, il résulte de ces dispositions que, lorsque le moulin auquel est attaché le droit est vendu, ce droit est, sauf clause contraire, transmis à l'acquéreur et celui-ci est en conséquence fondé à reprendre l'instance introduite par le vendeur relative à l'existence de ce droit. Le cas échéant, en cas de décès du propriétaire initial ayant introduit l'instance, la reprise de celle-ci par le nouveau propriétaire est par ailleurs conditionnée à la notification prévue par l'article R. 634-1 du code de justice administrative.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance ".

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le décès de M. E..., intervenu en cours d'instance, a été régulièrement notifié par l'enregistrement, au greffe du tribunal administratif de Nantes, d'un mémoire au nom de la succession de M. E... et de M. C..., nouveau propriétaire du moulin, par lequel ils déclaraient reprendre l'instance tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Mayenne. Ainsi qu'il est dit au point 2, M. C... était fondé, en sa qualité de nouveau propriétaire du moulin, à reprendre en son nom et à son profit l'instance introduite par M. E..., relative au droit à l'usage de l'eau attaché à ce bien. Il avait, par suite, la qualité de partie à l'instance devant le tribunal administratif. Il peut, en conséquence, interjeter appel contre le jugement attaqué du 23 juin 2016.

5. En second lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4 (...). "

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a reçu notification du jugement attaqué le 9 juillet 2016. Sa requête a été enregistrée au greffe de la cour le 6 septembre 2016, soit avant l'expiration du délai de deux mois imparti par les dispositions citées au point précédent. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la transition écologique et tirée de la tardiveté de la requête doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le recours en interprétation :

7. Aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants. " Selon le II de l'article L. 214-6 du même code : " Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre ". Aux termes de l'article L. 214-10 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 : " Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues aux articles L. 181-17 à L. 181-18 ". En vertu de l'article L. 181-17 du même code, ces décisions sont soumises à un contentieux de pleine juridiction.

8. Il appartient au juge de plein contentieux de se prononcer tant sur l'existence du droit d'usage de l'eau fondé en titre que sur le maintien de ce droit.

S'agissant de l'existence du droit d'usage de l'eau fondé en titre :

9. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux le 4 août 1789. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle.

10. Il est constant que le " moulin de l'Ermitage ", ancienne tannerie qui figure notamment sur la carte de Cassini, existait matériellement sur le cours d'eau non domanial de la Jouanne avant l'abolition des droits féodaux.

S'agissant de l'extinction du droit d'usage de l'eau fondé en titre :

11. Le droit d'eau fondé en titre ne se perd pas par l'absence d'exercice du droit d'usage. Sa disparition ne peut résulter que de la constatation que la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau. En revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L'état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ont disparu ou qu'il n'en reste que de simples vestiges, de sorte qu'elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète.

12. D'une part, il résulte de l'instruction que le moulin de l'Ermitage fonctionnait grâce à un barrage de prise d'eau, constitué d'un clapet amovible et de deux déversoirs maçonnés formant le début du canal d'amenée, assorti d'un canal de fuite et d'un canal de décharge actionné par une vanne de décharge. La chute se déversait sur une roue, ultérieurement remplacée par une turbine située au fond d'une chambre d'eau, avant de rejoindre le canal de fuite par une ouverture située sous la paroi terminale de la chambre d'eau.

13. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment du constat réalisé le 24 mai 2011 par les services de la direction départementale des territoires de la Mayenne, en présence de l'ancien propriétaire du terrain, M. E..., des photographies de l'ouvrage versées au dossier et du constat d'huissier réalisé le 8 octobre 2018, que le barrage de prise d'eau ainsi que le canal de décharge et sa vanne sont en bon état de fonctionnement. Le canal de fuite enherbé, qui reste marqué depuis le moulin jusqu'au point de restitution, communique avec le fond de la chambre d'eau par une entrée empierrée, et non, comme le soutient à tort la ministre, obstrué par un mur de pierre. Par ailleurs, il est constant que, si la première partie du canal d'amenée, configuré en entonnoir, subsiste en bon état jusqu'à la vanne de décharge, la seconde partie de ce canal, qui menait l'eau jusqu'à l'ancien moulin, a été comblée de terre dans les années 1970 sur une longueur d'environ 25 mètres, nivelée et engazonnée. Cependant, M. C... soutient que ce comblement a été réalisé par l'ancien propriétaire, de manière réversible, pour des raisons de sécurité à la suite de la chute d'un enfant dans ce canal, ce que confirme un courrier de M. E... du 7 juin 2012. Des travaux de déblaiement, réalisés au cours de l'été 2018 par une entreprise mandatée par le requérant sur la douzaine de mètres de l'extrémité du canal d'amenée, pour un coût fort modique de 264 euros, ont en outre révélé le maintien en bon état général des parois empierrées du canal ainsi que de la chambre d'eau. Dans ces conditions, alors même que la reconstitution totale du canal d'amenée nécessiterait un décaissement de terre et la reprise du modelage de la berge suite à son modeste enrochement, de tels travaux, portant sur une partie limitée d'un des éléments essentiels de l'ouvrage, et au demeurant de faible ampleur, ne peuvent être regardés comme une reconstruction complète de l'ouvrage. Ainsi, les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ne sont pas à l'état de ruine.

14. Enfin, la ministre de la transition écologique fait valoir que les ouvrages essentiels du moulin ont subi un changement d'affectation, à des fins d'agrément, dès lors que le comblement du canal d'amenée a permis au requérant d'agrandir son jardin et que la demande de M. E... en 2008 pour curer le bief et restaurer la vanne de décharge était motivée par la volonté de permettre la " restitution du fonctionnement d'agrément " du bief. Néanmoins, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que le comblement du canal d'amenée a été réalisé de façon réversible pour assurer la sécurité des enfants de l'ancien propriétaire de l'ouvrage. Dès lors, ce canal d'amenée et les autres ouvrages essentiels du moulin, bien qu'ils n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ne peuvent être regardés comme ayant subi un changement d'affectation.

15. Il résulte de ce qui précède que la force motrice du cours d'eau est toujours susceptible d'être utilisée par le détenteur de l'ouvrage et que, dès lors, le droit fondé en titre n'est pas éteint.

16. Il y a lieu, par suite, de déclarer M. C... titulaire d'un droit d'usage de l'eau de la Jouanne fondé en titre attaché au moulin de l'Ermitage.

S'agissant de la consistance légale du droit d'usage de l'eau fondé en titre :

17. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'énergie : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 511-4, nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'État. / (...) ". Aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre : / 1° Les usines ayant une existence légale ; (...) ". Aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " Sont placées sous le régime de la concession les installations hydrauliques dont la puissance excède 4 500 kilowatts. / Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1. / La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. "

18. Un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine. À défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer. Si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur.

19. M. C... soutient que la consistance actuelle de son droit fondé en titre est de 11 kW, au regard d'un rapport réalisé le 23 mars 2012 par une société d'hydro-énergie retenant une capacité de 1,40 mètres de chute et une estimation de débit de 800 litres par seconde.

20. Cependant, d'une part, ce rapport du 23 mars 2012 se fonde sur des estimations peu étayées. Ainsi, il relève que " le débit n'étant pas très élevé, la hauteur de votre retenue n'a pu être mesurée, elle est seulement estimée. Nos mesures de hauteur entre l'amont et l'aval (...) donnent 0,40 m de dénivelés. Il est possible de monter le niveau de la retenue d'eau à 1 m (à vérifier) auquel s'ajoute la hauteur de 0,40 m ", ce qui " donne une capacité de 1,40 m de chute ". Quant à l'estimation du débit du cours d'eau, elle a été faite " après observation de la rivière " le 31 janvier 2012 et ce débit n'a pu être apprécié au niveau du vannage d'entrée dans l'usine, en aval du canal d'amenée, dès lors que ce dernier était alors comblé sur sa dernière partie.

21. D'autre part, pour établir la consistance légale de l'ouvrage à son origine, la ministre de la transition écologique se fonde sur un état statistique dont elle soutient qu'il a été établi par l'administration en 1862 à la suite d'un recensement des ouvrages sur les cours d'eau organisé par une circulaire ministérielle du 30 juillet 1860. S'il est vrai que cet état statistique ne mentionne pas, parmi les moulins recensés sur la Jouanne, un quelconque " moulin de l'Ermitage ", le ministre fait valoir que ce dernier moulin était alors désigné sous l'appellation " moulin de la Corbinière ". Or il ressort des plans cadastraux napoléoniens des communes d'Argentré et de Louvigné, versés au dossier par l'administration en première instance et en appel, ainsi que de leur comparaison avec l'actuel plan cadastral, que le seul moulin qui existait à l'époque à l'emplacement de l'actuel moulin de l'Ermitage était dénommé " moulin de la petite Corbinière ". En outre, alors qu'il ressort du rapport de visite de la direction départementale des territoires de la préfecture de la Mayenne du 24 mai 2011 que le moulin de l'Ermitage était originellement une " tannerie ", l'état statistique fait état de ce que le " moulin de la Corbinière " était un " moulin à tan ", tandis que les autres moulins recensés étaient tous des moulins à blé. Dans ces conditions, le moulin " de la Corbinière " désigné dans cet état statistique doit être regardé comme correspondant à l'actuel moulin de l'Ermitage. Ce même document mentionne que le " volume des eaux motrices ", qui doit être regardé comme correspondant au débit d'eau au niveau du vannage d'entrée dans l'usine en aval du canal d'amenée, était de 0,624, soit 624 litres par seconde, et que la " chute en eaux ordinaire ", qui doit être regardée comme correspondant à la hauteur de la chute d'eau, était de 1,12 mètre, et donc que la " force brute en chevaux-vapeur " était de 9,32 chevaux-vapeur. Selon la conversion non contestée opérée par la ministre de la transition écologique, cette force brute équivaut à 6,85 kW. L'état statistique mentionne enfin 4,64 comme " force utilisée en chevaux-vapeur " par le moulin d'alors. Dans ces conditions, les données figurant dans cet état statistique de 1862 doivent être regardées comme établissant la consistance légale du droit fondé en titre à l'origine.

22. Il s'ensuit que la puissance maximale brute de l'ouvrage fondé en titre de M. C... est de 6,85 kW.

En ce qui concerne la demande d'annulation de la décision du 27 janvier 2012 :

23. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 16 que la décision du 27 janvier 2012, par laquelle le préfet de la Mayenne a constaté la perte du droit fondé en titre à l'usage de l'eau attaché au moulin de l'Ermitage, doit être annulée.

24. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen d'irrégularité du jugement attaqué, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juin 2016 et la décision du préfet de la Mayenne du 27 janvier 2012 sont annulés.

Article 2 : M. C... est déclaré titulaire d'un droit d'usage de l'eau de la Jouanne fondé en titre attaché au moulin de l'Ermitage.

Article 3 : La consistance légale du droit fondé en titre pour l'usage de l'eau de la Jouanne attaché au moulin de l'Ermitage est fixée à 6,85 kW.

Article 4 : L'État versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. G..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2021.

Le rapporteur,

F.-X. G...Le président,

T. Célérier

La greffière,

C. Popsé

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 20NT01705


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01705
Date de la décision : 22/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : CABINET JEAN-FRANCOIS REMY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-22;20nt01705 ?
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