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24/09/2021 | FRANCE | N°20NT01414

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 24 septembre 2021, 20NT01414


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Koj Tshimwang a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision par laquelle l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a refusé de délivrer les visas de long séjour demandés au titre de la réunification familiale par Mme Chantal Q... et les jeunes U... AA..., AG... AC... AA..., AD... AE... AA... et Jemima KON-A-MUNYU, qu'il présente comme sa compagne et ses enfants et, d'autre part, la décision par laquelle la commission de recours contre les déci

sions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Koj Tshimwang a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision par laquelle l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a refusé de délivrer les visas de long séjour demandés au titre de la réunification familiale par Mme Chantal Q... et les jeunes U... AA..., AG... AC... AA..., AD... AE... AA... et Jemima KON-A-MUNYU, qu'il présente comme sa compagne et ses enfants et, d'autre part, la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé le 27 février 2019 contre cette décision.

Par un jugement n° 197078 du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle maintenait les refus de visa opposés aux jeunes U... AA..., AG... AC... AA... et AD... AE... AA..., enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à ces derniers un visa de long séjour et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er mai 2020 et le 10 mars 2021, M. Koj Tshimwang, Mme Q... et Mme Kon-A-Munyiu, représentés par Me Vérité, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 novembre 2019 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dirigées contre les refus de visa opposés à Mme R... et à Mme Kon-A-Munyiu ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle maintient implicitement les refus de visa opposés à Mme R... et à Mme Kon-A-Munyiu ;

3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer des visas de long séjour à Mme R... et à Mme Kon-A-Munyiu, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Vérité d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- en leur laissant un délai insuffisant pour répondre au mémoire en défense, le tribunal a méconnu le principe du contradictoire ;

- ils établissent l'identité de Mme R... et la vie commune, stable et continue qu'elle partage avec M. Koj Tshimwang, auquel elle est liée par un mariage coutumier ;

- l'identité de Mme Kon-A-Munyiu et son lien de filiation avec M. Koj Tshimwang sont établis tant par les documents d'état civil produits que par la possession d'état ;

- M. Koj Tshimwang ne peut être regardé comme ayant constitué une nouvelle cellule familiale en France ;

- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

M. Koj Tshimwang a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bougrine,

- et les observations de Me Vérité, représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. Koj Tshimwang, ressortissant congolais entré en France en 2015, est titulaire du statut de réfugié. L'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a opposé un refus aux demandes de visa de long séjour formées au titre de la réunification familiale par Mme Q... et les jeunes U... AA..., AG... AC... AA..., AD... AE... AA... et AL... Kon-A-Munyiu, ressortissants congolais se présentant comme la compagne et les enfants de M. Koj Tshimwang. Le recours formé le 27 février 2019 contre ces refus de visa a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par un jugement du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a, notamment, annulé la décision implicite de la commission en tant qu'elle maintenait les refus de visa opposés aux jeunes U... AA..., AG... AC... AA... et AD... AE... AA.... M. Koj Tshimwang, Mme Q... et Mme Kon-A-Munyiu relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dirigées contre les refus de visa opposés à Mme Q... et à Mme Kon-A-Munyiu.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".

3. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur de première instance que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée, d'une part, sur le caractère apocryphe des documents d'état civil produits et l'absence de possession d'état et, d'autre part, sur la constitution par M. Koj Tshimwang d'une nouvelle cellule familiale en France.

4. En premier lieu, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

5. D'une part, par un jugement n° RC 226/G/2016 du 3 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Kinshasa/N'Djili a ordonné à l'officier d'état civil de la commune de N'Djili de transcrire sur les registres la naissance, le 14 décembre 1971, de AI... Q... dont le père et la mère sont, respectivement, M. B... P... et Mme I... L.... Ce jugement a été transcrit le 7 décembre 2016 dans l'acte de naissance n° 3188/2016 dont les requérants produisent la copie intégrale délivrée le 13 décembre suivant. La circonstance que Mme Q... dispose, par ailleurs, d'un acte de notoriété homologué par une ordonnance du tribunal de paix de Lubumbashi du 17 février 2017 ne démontre pas, en elle-même, le caractère frauduleux de ce jugement qui lui est antérieur et dont le contenu concorde d'ailleurs avec celui de l'acte de notoriété. La circonstance que ces pièces ont été délivrées plus de quarante ans après la naissance sur laquelle elles portent, postérieurement à la reconnaissance de la qualité de réfugié de M. Koj Tshimwang, ne caractérisent pas davantage l'existence d'une manœuvre frauduleuse dont procèderait le jugement du 3 novembre 2016. Il s'ensuit qu'en estimant que les documents présentés par Mme Q... étaient apocryphes et ne permettaient pas d'établir l'identité de l'intéressée, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

6. D'autre part, il ressort du jugement supplétif d'acte de naissance n° RC 2728/I du tribunal pour enfants de Kinshasa / Ngaliema du 25 janvier 2017 que l'enfant Jemima Kon-A-Munyiu est née le 28 décembre 2001 à Kinshasa de l'union libre de Mme O... F... et de M. A... Koj Tshimwang. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté que l'intéressée disposait pourtant, à la date de la saisine de la juridiction, d'un acte de naissance n° 7861 dressé le 24 novembre 2016 par l'officier d'état civil du bureau principal de l'état civil de Ngaliema sur le fondement d'un jugement supplétif d'acte de naissance du tribunal de grande instance de Kinshasa / Gombe du 18 octobre 2016. Toutefois, alors que l'acte de naissance n° 7861 et le jugement supplétif d'acte de naissance n° RC 2728/I sont concordants, les requérants expliquent avoir saisi le tribunal pour enfants consécutivement à une réforme législative ayant entraîné une nouvelle répartition des compétences juridictionnelles en République démocratique du Congo. Ainsi, l'existence d'un acte de naissance antérieur au jugement supplétif du 25 janvier 2017 ne permet pas, en l'espèce, de regarder celui-ci comme frauduleux. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur allègue, sans le démontrer, que l'établissement du passeport de l'intéressée le 9 septembre 2016 nécessitait la présentation d'un acte de naissance, il ressort du formulaire de demande de passeport versé aux débats par les requérants qu'un tel document ne figure pas au nombre de ceux devant être joints à une demande de passeport. La détention d'un passeport par Mme Kon-A-Munyiu en 2016 ne saurait ainsi démontrer une fraude dont serait entaché le jugement supplétif d'acte de naissance n° RC 2728/I du tribunal pour enfants de Kinshasa / Ngaliema du 25 janvier 2017, lequel établit l'identité et la filiation de l'intéressée. Les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées sur ce point.

7. En second lieu, il est constant que M. Koj Tshimwang est le père de la jeune E... J... née à Amiens le 30 août 2008 et dont la mère, de nationalité congolaise, séjourne régulièrement en France. Toutefois, cette seule circonstance ne permet pas de le regarder comme ayant rompu la cellule familiale qu'il constituait, avant son départ pour la France en 2015, avec Mme Q..., qu'il a épousée de manière coutumière, et leurs trois enfants. Dès lors, est entaché d'illégalité le motif tiré de ce que M. Koj Tshimwang ayant constitué en France une nouvelle cellule familiale, les membres de sa famille demeurés en République démocratique du Congo n'auraient pas le droit au bénéfice de la réunification familiale.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les deux motifs sur lesquels s'est fondée la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, selon les écritures du ministre de l'intérieur en première instance, sont entachés d'illégalité. Les requérants sont ainsi fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a maintenu les refus de visa opposés à Mme Q... et Mme Kon-A-Munyiu.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

9. D'une part, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, la délivrance au titre de la réunification familiale d'un visa de long séjour à Mme Kon-A-Munyiu, dont la majorité rend sans objet l'obligation de justifier d'une décision juridictionnelle la confiant au titre de l'exercice de l'autorité parentale à son parent qu'elle entend rejoindre en France. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

10. D'autre part, le ministre de l'intérieur conteste l'existence d'une vie commune suffisamment stable et continue entre M. Koj Tshimwang et Mme Q... à la date à laquelle le premier a sollicité l'asile en France. Il résulte toutefois de l'instruction que les intéressés, unis par un mariage coutumier célébré le 16 décembre 2000, ont eu trois enfants nés en 2000, 2003 et 2008. M. Koj Tshimwang a désigné Mme Q... comme sa concubine dans la fiche familiale de référence destinée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Les courriels échangés notamment en juillet 2015 et versés au débat suggèrent également le maintien de la communauté de vie à la date de la demande d'asile de M. Koj Tshimwang. Dans ces conditions, et eu égard aux motifs sur lesquels il est fondé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance d'un visa de long séjour à Mme Q.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

11. M. Koj Tshimwang a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Vérité.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle a maintenu les refus de visa opposés à Mme Q... et à Mme Kon-A-Munyiu.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme Q... et à Mme Kon-A-Munyiu un visa de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Vérité la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Koj Tshimwang, Mme Chantal R... et Mme Jemimam Kon-A-Munyiu et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2021.

La rapporteure,

K. BOUGRINE

Le président,

A. PEREZLa greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 20NT01414


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01414
Date de la décision : 24/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : VERITE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-09-24;20nt01414 ?
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