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15/10/2021 | FRANCE | N°20NT03102

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 15 octobre 2021, 20NT03102


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 29 janvier 2020 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle la préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000494 du 6 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1

er octobre 2020, M. A... B..., représenté par Me Le Bihan, demande à la cour :

1°) d'annuler le ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 29 janvier 2020 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle la préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000494 du 6 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2020, M. A... B..., représenté par Me Le Bihan, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000494 du tribunal administratif de Rennes du 6 février 2020 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 29 janvier 2020 par lesquelles la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes et l'a assigné à résidence ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 15 jours ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

. en ce qui concerne la décision portant transfert aux autorités italiennes :

- les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; auprès de la préfecture des Hauts-de-Seine, les brochures ne lui ont pas été remises en langue peule ; il n'est pas établi que les brochures lui ont été remises dans leur intégralité ; la remise en préfecture d'Ille-et-Vilaine ne peut régulariser la procédure viciée, les brochures lui ayant été remises après l'entretien du 3 septembre 2019 ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; l'identité de l'agent ayant mené l'entretien n'apparait pas, empêchant de vérifier sa qualification ;

- les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues, ainsi que les dispositions de l'article 2 du règlement d'exécution n° 118/2014 de la Commission du 20 janvier 2014 et celles de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; la préfète n'a pas justifié avoir saisi les autorités italiennes d'une requête aux fins de reprise en charge, en outre dans le délai de deux mois prévu par l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; si une demande de prise en charge a été émise, elle a été adressée avant qu'il se voit notifier les informations ;

- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnues ; les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il existe des défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile et les conditions d'accueils des demandeurs d'asile ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

. en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant transfert auprès des autorités italiennes ;

- il n'y a pas eu d'examen particulier de sa situation ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il ne dispose pas de passeport et est dépourvu de tout document d'identité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le délai de transfert de M. B... vers l'Italie est reporté au 6 août 2021 ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... B..., ressortissant guinéen né en janvier 1988, est entré en France en août 2019. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 3 septembre 2019. Par une décision du 29 janvier 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, et par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. M. B... relève appel du jugement du 6 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 29 janvier 2020.

Sur l'étendue du litige :

2. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en œuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en œuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen (...) ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 96 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, a été notifié à l'administration, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. La requête de M. B... devant le tribunal administratif de Rennes a interrompu le délai de six mois fixé par l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Italie. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à la préfète d'Ille-et-Vilaine du jugement de ce tribunal administratif et n'a pas été interrompu par l'appel de M. B.... Il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif de Nantes a été notifié à l'administration le 7 février 2020 et que, M. B... ayant été déclaré en fuite, le délai de six mois a été prolongé jusqu'à dix-huit mois. Toutefois, ce délai d'exécution de la décision de transfert a ainsi expiré le 7 août 2021. Dès lors, à la date de lecture du présent arrêt, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection de M. B.... Les conclusions de l'intéressé tendant à l'annulation de la décision du 29 janvier 2020 portant transfert auprès des autorités italiennes sont donc privées d'objet. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

6. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de transfert auprès des autorités italiennes :

7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 3 septembre 2019, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture des Hauts-de-Seine, et à l'occasion de l'entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue française. Si M. B... a déclaré ne comprendre que la langue peule guinéenne, il ressort des pièces du dossier, notamment de la mention manuscrite apposée sur la page de garde des deux brochures sous laquelle l'intéressé a signé, que les brochures ont été traduites en peul guinéen par un interprète de la société AFTCom interprétariat. Une telle information apportée lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en langue comprise par l'intéressé grâce à un interprète, ne peut être regardée comme tardive. Si M. B... soutient que seules les pages de garde des brochures lui ont été remises, il ressort d'une part du compte-rendu d'entretien sur lequel il a apposé sa signature que les informations sur les règlements communautaires lui ont été remises et d'autre part que l'intéressé n'a pas signalé une remise incomplète des informations. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

11. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. B... qu'il a bénéficié auprès des services de la préfecture des Hauts-de-Seine, le 3 septembre 2019, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue peul, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec le concours par téléphone d'un interprète, dont l'identité est portée sur le compte rendu d'entretien, intervenant pour le compte de la société AFTcom Interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur. Il n'est pas établi que M. B... n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. En outre, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien n'a pas privé l'intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

12. En troisième lieu, les articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ces articles déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile.

13. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en œuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé.

14. Par ailleurs, l'article 23 du même règlement " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsqu'une nouvelle demande a été introduite dans l'État membre requérant " est applicable à la situation de M. B... qui a déposé une demande d'asile en France, à l'exclusion des dispositions de l'article 24 du même règlement applicables lorsqu'aucune nouvelle demande n'a été introduite dans l'Etat membre requérant. L'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013 (...) ". Par ailleurs, l'article 2 du règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, " Établissement d'une requête aux fins de reprise en charge ", dispose que : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs de la requête et les dispositions du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil sur lesquelles elle se fonde (...) ".

15. Il ressort des pièces du dossier, notamment des accusés de réception générés par l'application DubliNet, que contrairement à ce que soutient M. B..., les autorités italiennes ont bien été saisies d'une demande de reprise en charge de l'intéressé formulée par les autorités françaises le 16 octobre 2019, postérieurement à la remise à M. B... de l'information requise par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et postérieurement à l'entretien exigé par les dispositions de l'article 5 du même règlement. Cette demande de reprise en charge a en outre été adressée aux autorités italiennes dans le délai prévu par les dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, seul applicable ainsi qu'il a été précisé au point précédent, à la situation de M. B... qui a déposé une demande d'asile en France après en avoir déposé une auprès des autorités italiennes. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que la constatation de leur accord implicite a été notifié aux autorités italiennes le 6 novembre suivant. Il suit de là que M. B... n'est pas fondé à invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni de son article 23, ni des dispositions de l'article 2 du règlement d'exécution de la Commission du 30 janvier 2014.

16. En quatrième lieu, l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, inclus dans le chapitre III " critères de détermination de l'Etat membre responsable " dispose que : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre (...) ". Par ailleurs, l'article 18 du règlement, inclus dans le chapitre " obligations de l'Etat membre responsable ", dispose que : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ". Les critères prévus à l'article 10 du règlement ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres. En particulier, les dispositions de cet article ne s'appliquent pas lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un Etat membre après avoir déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, que cette dernière ait été rejetée ou soit encore en cours d'instruction.

17. Il n'est pas contesté que M. B... a déposé une demande d'asile auprès des autorités italiennes qui ont enregistré sa demande d'asile le 20 janvier 2018 et ont enregistré l'intéressé sous le numéro IT 1 BG04XF7. Il ressort également des pièces du dossier que les autorités italiennes, sollicitées sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont accepté implicitement le transfert de l'intéressé. M. B... ayant dès lors fait l'objet d'une procédure de reprise en charge et non d'une procédure de prise en charge, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est inopérant à l'encontre de la décision de transfert du 29 janvier 2020.

18. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2 (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

19. M. B... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, mais ses affirmations générales ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, il ne démontre pas davantage qu'il serait exposé au risque de subir en Italie des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

20. En sixième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

21. Si M. B... soutient qu'en raison de son état de santé, la préfète d'Ille-et-Vilaine aurait dû mettre en œuvre la possibilité prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 d'examiner en France sa demande d'asile, il ne produit pas de documents médicaux qui permettent de démontrer que son état de santé le placerait dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France ni ne précise même les pathologies dont il souffrirait. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la préfète d'Ille-et-Vilaine aurait entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.

22. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à invoquer, à l'encontre de la décision portant assignation à résidence, l'illégalité de la décision du même jour portant transfert auprès des autorités italiennes.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés contre la décision portant assignation à résidence :

23. L'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile disposait, dans sa rédaction applicable, que : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) / Les huit derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois pour les cas relevant des 1° et 2° à 7° du présent I, ou trois fois pour les cas relevant du 1° bis (...) ". Par ailleurs, l'article R. 561-2 du même code disposait que : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application des articles L. 561-1, L. 561-2, L. 744-9-1 ou L. 571-4 ou d'une des mesures prévues aux articles L. 523-3, L. 523-4 et L. 523-5 est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ".

24. En premier lieu, il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté du 29 janvier 2020 portant assignation à résidence de M. B... à son adresse à Guipavas et lui interdisant de quitter sans autorisation le département du Finistère, ni des autres pièces du dossier que la préfète d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé avant de l'assigner à résidence.

25. En second lieu, l'obligation de présentation et l'obligation de remise de l'original de son passeport ou de tout autre document d'identité ou de voyage, auxquelles un étranger est susceptible d'être astreint sur le fondement des articles R. 561-2 et R. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pour objet de concourir à la mise en œuvre de l'assignation à résidence. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposer établie, que M. B... serait dépourvu de passeport et ne pourrait donc remettre ce dernier contre un récépissé lors de sa première présentation auprès de la gendarmerie de Guipavas est sans incidence sur la légalité de l'assignation à résidence elle-même. Par ailleurs, si la mesure d'assignation à résidence a eu pour effet de contraindre M. B... à résider dans le département du Finistère et à se rendre deux fois par semaine, à l'exception des jours fériés et chômés, à la gendarmerie de Guipavas, l'intéressé se borne à soutenir que cette décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation sans apporter aucune précision particulière. Ainsi, l'arrêté contesté, qui se fonde sur le fait qu'il justifiait des garanties de représentation suffisantes, apparait adapté, nécessaire et proportionné à la finalité qu'il poursuivait.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 janvier 2020 portant assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

27. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. B..., le présent arrêt n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

28. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... aux fins d'annulation de la décision du 29 janvier 2020 portant transfert auprès des autorités italiennes.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... B..., à Me Le Bihan et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2021.

La rapporteure,

M. BERIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 20NT03102


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03102
Date de la décision : 15/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : LE BIHAN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-10-15;20nt03102 ?
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