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17/12/2021 | FRANCE | N°20NT02775

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 20NT02775


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 480 180 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de sa vaccination contre la grippe causée par le virus A (H1N1).

Par un jugement n°1503071 du 8 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... une indemnité d'un montan

t de 557 918 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 17 304 euros.

Procédu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 480 180 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de sa vaccination contre la grippe causée par le virus A (H1N1).

Par un jugement n°1503071 du 8 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... une indemnité d'un montant de 557 918 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 17 304 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 septembre 2020 et 17 mars 2021, l'ONIAM, représenté par Me Birot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme A... les sommes de 20 000 euros au titre du préjudice d'anxiété, de 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 209 780 et de 22 639 euros au titre du besoin en assistance par tierce personne et en tant qu'il l'a condamné à verser des sommes supérieures à 1 800 et 4 500 euros au titre, respectivement, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice esthétique permanent ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme A... par la voie de l'appel incident ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a fait une juste ou une exacte appréciation des préjudices de Mme A... au titre des déficits fonctionnels temporaire et permanent, des souffrances endurées, du préjudice scolaire et de l'assistance par tierce personne à compter du 9 juillet 2020 ;

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes de Mme A... au titre du préjudice d'établissement, et des dépenses de santé actuelles et futures ;

- les demandes de Mme A... de l'assistance par tierce personne jusqu'au 9 juillet 2020 devront être rejetées, faute de production de justificatifs de perception ou de non perception de l'allocation pour l'éducation d'enfants handicapés (AEEH) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH) par l'intéressée ;

- les montants alloués devront être ramenés aux sommes de 1 800 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et de 4 500 euros au titre du préjudice esthétique définitif ;

- le préjudice d'anxiété et l'incidence professionnelle ne sont pas établis.

Par des mémoires, enregistrés les 4 décembre 2020 et 3 mai 2021, Mme B... A..., représentée par Me Béguin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a limité à 557 918 euros et à une rente annuelle viagère de 17 304 euros la condamnation de l'ONIAM à réparer ses préjudices ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 1 784 285 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de condamner l'ONIAM aux dépens ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle et ses parents ne perçoivent ou n'ont pas perçu de prestations de la part de la maison départementale de l'autonomie : ni la prestation de compensation du handicap ni l'allocation pour l'éducation d'enfants handicapés ;

- l'indemnisation des souffrances endurées, qui ont été sous-évaluées par l'expert, doit être portée à la somme de 15 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire qui s'est déroulé sur une période de 9 ans doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être portée à la somme de 155 436 euros, qui est la moyenne des sommes correspondantes dans le référentiel des tribunaux judiciaires et le référentiel de l'ONIAM ;

- dès lors qu'elle ne peut plus se baigner et doit limiter sa pratique du ski alpin, elle justifie subir un important préjudice d'agrément, qui doit être réparé par l'allocation d'une somme de 25 000 euros ;

- elle subit un préjudice d'établissement qui doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 20 000 euros, car une grossesse sera rendue difficile par son état de santé ;

- l'indemnisation du préjudice d'anxiété doit être portée à la somme de 50 000 euros ;

- les besoins en assistance de tierce personne pour l'avenir doivent être indemnisés sous la forme d'un capital pour un montant de 1 042 963 euros ;

- les indemnisations de l'incidence professionnelle et du préjudice scolaire et universitaire doivent être portées aux sommes respectives de 100 000 euros et de 15 000 euros ;

- les montants alloués par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice esthétique permanent et des besoins d'assistance par une tierce personne antérieurs à la consolidation de son état de santé, doivent être confirmés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Lamballais, représentant l'ONIAM, et de Me Béguin, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., née le 20 novembre 1996, a été vaccinée contre la grippe A (H1N1) par Pandemrix, le 4 décembre 2009, dans le cadre de la campagne de vaccination organisée par l'arrêté du ministre de la santé et des sports du 4 novembre 2009, pris sur le fondement des dispositions des articles L. 3131-1 et L. 3131-8 du code de la santé publique. Souffrant de narcolepsie - cataplexie, dont les premiers symptômes sont apparus en février 2010, elle a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité d'un montant de 1 480 180 euros en réparation de ses préjudices, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. Par un jugement du 3 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... une somme de 557 918 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 17 304 euros en réparation de ses préjudices. L'ONIAM, qui ne conteste pas le lien de causalité entre la narcolepsie dont souffre Mme A... et la vaccination dont elle a bénéficié le 4 décembre 2009, relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il porte sur certains chefs de préjudice. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande la réformation du jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction.

Sur les préjudices patrimoniaux :

En ce qui concerne l'assistance par tierce personne :

2. Il résulte de l'instruction qu'avant sa consolidation, l'état de santé de Mme A... nécessitait, selon les conclusions de l'expertise diligentée sur le dommage en litige, une assistance par tierce personne de quatre heures par jour et que ce besoin a été ramené à trois heures par jour depuis la date de consolidation, fixée au 19 mars 2019. Cette évaluation n'est pas contestée par l'ONIAM. Mme A... justifie, de plus, ne pas avoir perçu l'allocation pour l'éducation d'enfants handicapés et ne pas percevoir la prestation de compensation du handicap en produisant une attestation de la maison départementale des personnes handicapées de

Maine-et-Loire. Par suite, en se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 14 euros et d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du besoin en assistance par tierce personne de Mme A..., pour la période antérieure à la consolidation de son état de santé, en l'évaluant à la somme de 209 780 euros.

3. Pour la période allant du 19 mars 2019 au 17 décembre 2021, date du présent arrêt, il y a lieu de calculer l'indemnité selon les modalités exposées au point 3, sur la base d'un taux horaire moyen de 14 euros, et de la fixer à 47 598 euros.

4. Enfin, pour la période postérieure à la date de lecture du présent arrêt, il y a lieu, eu égard à l'importance des sommes en jeu et à l'âge de la victime, de décider que la réparation de ce chef de préjudice doit prendre la forme d'une rente. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de confirmer le montant annuel de 17 304 euros fixé par les premiers juges. Cette rente sera versée sous déduction, le cas échéant, de la prestation de compensation du handicap et des aides de même nature, perçues qu'il appartiendra à l'intéressée de porter à la connaissance de l'ONIAM, et sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les autres préjudices patrimoniaux :

5. En premier lieu, compte tenu des contraintes qu'imposera la pathologie de

Mme A..., qui est diplômée de l'enseignement supérieur, sur ses possibilités d'accès à l'emploi et sur l'exercice d'une activité professionnelle, les premiers juges ont fait une juste évaluation de l'incidence ainsi établie de sa narcolepsie sur son activité professionnelle en lui allouant la somme de 50 000 euros.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... rencontre, du fait de sa narcolepsie, des difficultés pour suivre ses études qu'elle ne peut surmonter qu'avec un surcroît d'efforts. Il y a lieu, dès lors, de confirmer le montant de 5 000 euros alloué par le tribunal au titre du préjudice scolaire et universitaire.

Sur les préjudices extrapatrimoniaux :

7. En premier lieu, le tribunal a fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire de Mme A... le fixant à la somme de 36 500 euros, qui n'est plus contestée par les parties en appel.

8. En deuxième lieu, l'ensemble des souffrances endurées par Mme A..., qui sont liées notamment aux douleurs physiques, au retentissement psychologique modéré et à l'anxiété résultant de sa narcolepsie, a été justement évalué par un expert, dans son rapport du 24 mai 2019, à 4 sur une échelle allant de 1 à 7. Les premiers juges n'ont ainsi pas fait une insuffisante appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 15 000 euros non contestée par l'ONIAM.

9. En troisième lieu, les préjudices esthétiques temporaire et permanent de Mme A... ont été évalués chacun à 3,5 sur 7 par l'expert, dans son rapport du 24 mai 2019, et correspondent à une atteinte à l'image, à cause notamment des accès de cataplexie et à la prise de poids. Il y a lieu, de ramener les sommes allouées par le tribunal à ces deux titres à des montants respectifs de 5 000 et de 10 000 euros.

10. En quatrième lieu, compte tenu d'un déficit fonctionnel permanent, évalué à 45 %, de Mme A..., qui était âgée de vingt-deux ans à la date de consolidation de son état de santé, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 140 000 euros.

11. En cinquième lieu, les circonstances que Mme A... soit inquiète pour son avenir du fait de sa pathologie et prenne un traitement qui peut avoir des effets secondaires sérieux ne permettent pas d'établir qu'elle subit un préjudice d'anxiété distinct des chefs de préjudice déjà indemnisés au titre, en particulier, des souffrances endurées, notamment de la douleur morale liée au retentissement psychologique de son état de santé et de son déficit fonctionnel permanent. Par suite, sa demande au titre du préjudice d'anxiété doit être rejetée.

12. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que Mme A..., qui a contracté l'affection en litige à l'âge de 13 ans, pratiquait assidûment les activités sportives dans son enfance et pratiquait le ski alpin, sport qu'elle ne peut plus faire que de façon très limitée. Ainsi, il sera fait une juste réparation de son préjudice d'agrément en lui allouant, à ce titre, la somme de 5 000 euros.

13. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la pathologie de Mme A... entraînerait pour cette dernière une impossibilité de réaliser normalement un projet de vie familiale. Par suite, la demande de Mme A... au titre du préjudice d'établissement doit être rejetée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il le condamne à verser à Mme A... une indemnité supérieure à 523 878 euros, outre le versement d'une rente d'un montant annuel de 17 304 euros, à compter de la date de lecture du présent arrêt et dans les conditions définies à son point 4 tandis que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par Mme A... doivent être rejetées.

15. La somme de 523 878 euros mentionnée au point précédent portera intérêt au taux légal à compter du 10 avril 2015, date d'enregistrement de la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et les intérêts seront capitalisés à compter du 10 avril 2016, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêt, et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties des frais qu'elles ont exposés dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité que l'ONIAM a été condamnée à verser à Mme A... par l'article 1er du jugement du 8 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes est ramenée à 523 878 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 10 avril 2015 et les intérêts seront capitalisés à compter du 10 avril 2016 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Article 2 : Le jugement du 8 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Mme B... A...

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président de chambre,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe 17 décembre 2021.

Le rapporteur

X. CATROUXLe président

D. SALVI

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 20NT02775


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02775
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL BIROT MICHAUD RAVAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-17;20nt02775 ?
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