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17/12/2021 | FRANCE | N°21NT00379

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 21NT00379


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 mars 2020 du préfet du Finistère lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine devant les services de police de Brest et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2003131 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 février 2021, M. A..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 mars 2020 du préfet du Finistère lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine devant les services de police de Brest et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2003131 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 février 2021, M. A..., représenté par Me Saglio, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 octobre 2020 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 4 mars 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ou "salarié" ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, le tout dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant refus de tire de séjour a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du même code ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée en conséquence de l'annulation de l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

- il s'en rapporte à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens dirigés contre les décisions l'obligeant à quitter le territoire français, à remettre son passeport à se présenter une fois par semaine devant les services de police de Brest.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2021, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que l'intéressé ne justifie pas d'un état civil authentique et s'en rapporte pour le surplus à ses écritures de première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 21 avril 2001, est entré irrégulièrement en France le 13 juillet 2017, selon ses déclarations. Après avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Finistère en qualité de mineur isolé à compter du 5 décembre 2017, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour le 5 mars 2019. Par arrêté du 4 mars 2020, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine auprès des services de police de Brest et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 15 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société (...) ". Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

5. Il résulte de ces dernières dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., pour justifier de son identité, a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un extrait d'acte de naissance et un passeport ivoirien. En dépit du refus de l'intéressé de déposer les originaux de ses documents en préfecture en vue de leur expertise, les vérifications effectuées à la demande du préfet du Finistère par le conseiller sûreté immigration de l'ambassade de France en Côte-d'Ivoire ont permis d'établir que l'acte n° 198 dont se prévalait le requérant correspondait, dans le registre d'état civil de la commune de Kolia à un acte dressé au nom d'une tierce personne et à une date différente de celle figurant sur le document présenté par l'intéressé. Devant les premiers juges, M. A... a produit un extrait d'un jugement du 16 mars 2020 du président du tribunal de première instance de Boundiali ordonnant le rétablissement de l'acte de naissance de l'intéressé, déclaré né le 21 avril 2001, un extrait de cet acte de naissance établi par transcription, le 17 mars 2020, de ce jugement, une copie dactylographie de cet acte, une photocopie du feuillet correspondant du registre et un courrier du 9 juin 2020 du premier adjoint au maire de la commune de Kolia faisant état du rétablissement de l'acte de naissance de M. A..., de la perte de la page du registre d'état civil où se trouvait le numéro de l'acte de naissance initial de l'intéressé et de la probable erreur commise par l'agent de l'état civil de l'époque pour expliquer les discordances précitées concernant l'acte numéroté 198. En appel, le requérant produit de nouvelles éditions de ces documents qui comportent une certification, par les services du ministère ivoirien de l'administration, du territoire et de la décentralisation, de la signature du premier adjoint précité, qui en est l'auteur. En outre, dans son jugement en assistance éducative du 8 janvier 2018, le juge des enfants près le tribunal de grande instance de Brest a relevé que les éléments recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance et notamment le fait que le requérant était scolarisé en première année de lycée lors de l'année scolaire 2016/2017 qui a précédé son entrée en France semblaient compatibles avec sa minorité déclarée. Dans ces circonstances particulières, au vu de l'ensemble des pièces au dossier, M. A... doit être regardé comme justifiant de son état-civil et de son âge.

7. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que M. A..., qui a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance dès le 5 décembre 2017, et a sollicité la délivrance d'un titre de séjour le 5 mars 2019, justifie remplir les conditions d'âge prévues par les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'intéressé a entamé au 3ème trimestre de l'année 2017/2018 un parcours de formation professionnelle, a obtenu un brevet d'étude professionnelles dans la spécialité métiers électricité et environnements connectés en juin 2019 et était scolarisé à la date de l'arrêté contesté en classe de terminale, à l'issue de laquelle il a obtenu, en juillet 2020, un bac professionnel par apprentissage dans la spécialité maintenance des équipements industriels. Le requérant bénéficie d'un avis favorable de la structure en charge de son suivi et de soutiens d'enseignants et encadrants. Il déclare que s'il a été envoyé en France pour y poursuivre des études, à l'initiative son frère aîné, qui devait assurer sa prise en charge et avec l'accord de ses parents, ses liens avec sa famille se sont ensuite distendus. Dans ces conditions, compte tenu de sa situation prise dans sa globalité, M. A... est fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Finistère a, dans les circonstances particulières de l'espèce, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, cette décision ainsi que, par voie de conséquence, les décisions obligeant l'intéressé à quitter le territoire dans un délai de trente jours, à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine auprès des services de police de Brest et fixant le pays de destination doivent être annulées.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. A... d'une carte de séjour temporaire l'autorisant à travailler. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Finistère, sous réserve d'un changement de circonstance de droit ou de fait, de délivrer ce titre à M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Saglio dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement n° 2003131 du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de Rennes et l'arrêté du 4 mars 2020 du préfet du Finistère pris à l'encontre de M. A... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire l'autorisant à travailler dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Saglio la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 17 décembre 2021.

La rapporteure,

C. Brisson

Le président,

D Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT003792


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00379
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SAGLIO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-17;21nt00379 ?
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