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07/01/2022 | FRANCE | N°21NT01633

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 janvier 2022, 21NT01633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 11 mai 2021 en tant qu'il l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement no 2102429 du 14 mai 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 11 mai 2021 en tant qu'il a oblig

é Mme A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 11 mai 2021 en tant qu'il l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement no 2102429 du 14 mai 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 11 mai 2021 en tant qu'il a obligé Mme A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juin 2021, le préfet du Nord demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 mai 2021 du tribunal administratif de Rennes et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'arrêté contesté était entaché d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée ;

Les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er septembre 2021, Mme D... A..., représentée par Me Semlali, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève ;

- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Catroux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 27 novembre 1995, est entrée irrégulièrement en France en juillet 2017. Sa demande d'asile, déposée le 5 septembre 2017 auprès des services de la préfecture du Nord, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 décembre 2017, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 21 novembre 2018. L'intéressée a alors fait l'objet, le 16 juillet 2019, d'une obligation de quitter le territoire français. Contrôlée le 11 mai 2021 à la gare de Lille et n'ayant pu justifier de son droit au séjour, le préfet du Nord, par un arrêté du même jour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays d'origine ou tout autre pays où elle justifiera être légalement admissible comme pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et l'a placée en rétention administrative à Rennes. Par un jugement du 22 décembre 2020, dont le préfet du Nord relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes, a annulé l'arrêté du 11 mai 2021, en tant qu'il a obligé Mme A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la motivation de la décision contestée que le préfet du Nord a procédé à un examen particulier de la situation de Mme A....

A cet égard, la circonstance que le préfet ait relevé que l'intéressée est célibataire n'entache pas cette décision d'un défaut d'examen particulier de sa situation, alors qu'il ressort du procès-verbal d'audition de l'intéressée par les services de police du 10 mai 2021 que celle-ci s'était bien déclarée comme telle. Par suite, et alors même qu'il n'a pas mentionné dans l'arrêté du

11 mai 2021, que Mme A... participait aux activités de l'association Emmaüs, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté au motif qu'il était entaché d'un défaut d'examen particulier de la situation de Mme A....

3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A....

Sur les autres moyens soulevés contre l'arrêté contesté :

4. En premier lieu, par un arrêté du 24 mars 2021, publié le même jour au recueil spécial n° 72 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme C... B..., adjointe à la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l'arrêté contesté énonce les circonstances de fait et de droit qui le fonde. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. A la date de l'arrêté contesté, Mme A... ne séjournait que depuis moins de quatre ans en France, où elle était entrée sous couvert d'une identité frauduleuse. Elle y est restée principalement pour y former une demande d'asile, qui a fait l'objet d'un rejet définitif en 2019. Elle avait déjà fait l'objet, à la date de l'arrêté contesté, d'une première obligation de quitter le territoire français en juillet 2019 qu'elle n'avait pas exécutée. Si elle s'est mariée religieusement en 2019 avec un autre ressortissant guinéen, qui s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié, et avec lequel elle soutient avoir un projet de mariage civil, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette relation, récente à la date de l'arrêté contesté, ait impliqué une vie commune, les intéressés ayant vécu souvent éloignés l'un de l'autre. Enfin, la participation de l'intéressée aux activités de plusieurs associations et notamment, depuis plus de deux ans, à celles de la communauté d'Emmaüs ne permet pas de justifier de l'existence de liens personnels d'une particulière intensité en France ou une réelle insertion dans ce pays. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance par l'arrêté attaqué des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation de Mme A... doivent être écartés.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ". L'arrêté contesté, obligeant Mme A... à quitter le territoire français et lui interdisant d'y revenir pendant deux ans n'a ni pour objet ni pour effet d'empêcher le projet de mariage de l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de stipulation précitées doit être écarté.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " et aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... encourrait des risques personnels et actuels en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en conséquence, être écarté.

11. En dernier lieu, Mme A..., qui s'est vue définitivement refuser la qualité de réfugié, ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève ou des dispositions de l'article 2 d) de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 visée ci-dessus.

12. Il résulte de tout de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 11 mai 2021.

13. L'État n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées pour Mme A... sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement no 2102429 du 14 mai 2021 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées pour Mme A... sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2022.

Le rapporteur,

X. CATROUX

Le président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT016332


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01633
Date de la décision : 07/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SEMLALI NAWAL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-07;21nt01633 ?
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