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25/02/2022 | FRANCE | N°21NT02633

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 25 février 2022, 21NT02633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2021 du préfet d'Ille-et-Vilaine l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination ainsi que la décision implicite par laquelle le préfet aurait rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 2104129 du 15 septembre 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de r

éexaminer sa situation dans un délai de trente jours et de lui délivrer une autorisat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2021 du préfet d'Ille-et-Vilaine l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination ainsi que la décision implicite par laquelle le préfet aurait rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 2104129 du 15 septembre 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au bénéfice de son conseil et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 septembre 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Rennes du 15 septembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A....

Il soutient que le premier juge a estimé à tort que la décision portant obligation de quitter le territoire français était entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intimée, alors que cette dernière n'avait ni formé de demande d'admission exceptionnelle au séjour ni communiqué d'informations sur sa situation personnelle.

Par des mémoires en défense enregistrés les 5 décembre 2021 et 6 janvier 2022,

Mme D... A..., représentée par Me Semlali, conclut au rejet de la requête et, demande en outre à la cour d'annuler, par la voie de l'appel incident, la décision implicite de refus de titre de séjour que lui a opposée le préfet d'Ille-et-Vilaine, d'enjoindre à ce dernier, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " travailleur temporaire " dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer dans l'attente un récépissé l'autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- le préfet n'est pas fondé à contester le motif d'annulation de l'arrêté du 28 juillet 2021 retenu par le premier juge ;

- c'est à tort que le premier juge a estimé qu'elle n'avait pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que, par suite, le préfet ne lui avait pas opposé de décision implicite de refus de titre de séjour ;

- les décisions que comporte l'arrêté contesté sont entachées d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ;

- ces décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne née le 16 février 2002, est entrée irrégulièrement en France le 1er août 2018, selon ses déclarations. Après un placement provisoire en qualité de mineure isolée ordonné le 9 octobre 2018 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes, l'intéressée a été confiée au service de l'aide sociale à l'enfance du département d'Ille-et-Vilaine par un jugement du 18 octobre 2018 du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Rennes. Sa tutelle a été confiée à ce même service par une ordonnance du 16 décembre 2019 du juge des tutelles des mineurs près ce même tribunal. Mme A... a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 14 janvier 2020. Le bénéfice de l'asile lui a été refusé par décision du 3 décembre 2020 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 2 juin 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 28 juillet 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine a obligé Mme A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 15 septembre 2021 par lequel le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté. Par la voie de l'appel incident, Mme A... doit être regardée comme demandant l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait rejeté sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne l'arrêté du 28 juillet 2021 :

S'agissant du motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Pour annuler l'arrêté litigieux du 28 juillet 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a relevé que le préfet d'Ille-et-Vilaine avait fait une appréciation manifestement erronée des conséquences des décisions obligeant Mme A... à quitter le territoire français sur sa situation personnelle dès lors que cette décision avait pour effet d'interrompre le cursus de formation engagé par Mme A... en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle. Toutefois, la seule circonstance que l'intéressée est engagée, depuis septembre 2020, dans une formation destinée à l'obtention, au terme prévisible d'un cursus de deux ans, d'un certificat d'aptitude professionnelle, n'est pas à elle seule de nature à caractériser une telle erreur manifeste d'appréciation. Par suite, c'est à tort que le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté contesté obligeant l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi pour le motif précité.

3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance et en appel.

S'agissant des autres moyens invoqués par Mme A... à l'encontre de l'arrêté du 28 juillet 2021 :

4. Par un arrêté du 5 mai 2021, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet d'Ille-et-Vilaine a donné délégation à M. C... B..., directeur adjoint des étrangers en France, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement du directeur, notamment les décisions relatives à l'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.

5. L'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant à trente jours le délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi. Par suite, ces décisions sont suffisamment motivées.

6. Il ne ressort pas de la motivation des décisions que contient l'arrêté contesté, lequel fait état des principaux éléments caractérisant la situation personnelle, familiale et administrative de Mme A..., que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.

7. Si Mme A... soutient qu'elle avait, contrairement à ce qu'a indiqué le préfet dans son arrêté, communiqué à ce dernier des informations complémentaires sur sa situation et notamment un certificat de scolarité et une note éducative, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à entacher d'illégalité la décision portant obligation de quitter le territoire français, fondée sur le rejet définitif de la demande d'asile présentée par l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'une erreur de fait doit être écarté.

8. Il ressort des pièces du dossier que la présence en France de l'intéressée, alors qu'elle déclare y être entrée irrégulièrement le 1er août 2018, est récente. Si Mme A... a bénéficié d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance postérieurement à ses seize ans et s'est investie dans sa formation en première année de préparation d'un certificat d'aptitude professionnelle " métier du pressing ", elle ne justifie pas, par ailleurs, d'une particulière intégration. En outre, Mme A..., célibataire et sans enfant, ne justifie ni avoir noué des liens intenses sur le territoire français ni être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine, où elle a vécu l'essentiel de son existence et où résident notamment sa mère et sa fratrie, les instances de l'asile ayant par ailleurs estimé insuffisamment établies les motifs familiaux qui avancés pour expliquer son départ de Côte-d'Ivoire. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

9. Compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme A... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui octroyant un délai de départ volontaire de trente jours.

10. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".

11. Si Mme A... fait valoir que l'arrêté contesté est intervenu en période estivale, alors qu'elle était prise en charge par l'aide sociale à l'enfance et présente en France depuis près de trois ans, ces circonstances ne sont pas de nature à établir qu'en ne lui octroyant pas un délai de départ volontaire d'une durée supérieure à trente jours, le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée.

12. En l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme A... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision fixant le pays de renvoi.

13. Mme A..., qui fait valoir qu'elle a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, ayant quitté son pays mineure pour les motifs exposés dans le récit joint à sa demande d'asile, doit être regardée comme se prévalant des mauvais traitements qu'elle soutient avoir subis de la part de son beau-père en Côte-d'Ivoire. Toutefois, l'intéressée, qui ne produit aucun élément probant à l'appui de ses déclarations, n'établit pas, alors que les instances en charge de l'asile ont estimé que ses déclarations insuffisamment circonstanciées ne permettaient pas de tenir pour avérés les faits allégués et les craintes énoncées et, par suite, l'existence d'un risque grave et actuel auquel elle serait personnellement exposée en cas de retour dans son pays d'origine. Par conséquent, le moyen tiré de que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux point 2 et 13, les moyens tirés de ce que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

Sur l'appel incident de Mme A... :

En ce qui concerne une décision implicite de refus de titre de séjour :

15. Mme A... soutient qu'elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifiées à l'article L. 435-3. Toutefois, alors que le préfet d'Ille-et-Vilaine conteste avoir été saisi d'une telle demande, les justificatifs produits par l'intéressée, qui avait sollicité son admission au séjour au titre de l'asile en janvier 2020, et notamment les déclarations de tiers et l'accusé de réception d'un courrier reçu en préfecture le 20 avril 2020 non assorti d'élément probant quant à son contenu, ne suffisent pas à établir qu'elle aurait effectivement formé une demande assortie de l'ensemble des pièces requises de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, les conclusions d'appel incident de Mme A... dirigées contre une prétendue décision implicite de rejet de sa demande doivent être écartées.

16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 28 juillet 2021 et, d'autre part, que les conclusions d'appel incident présentées par Mme A... tendant à l'annulation d'une décision implicite de refus de titre de séjour ne peuvent, qu'être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions présentées tant en première instance qu'en appel par Mme A... à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n°2104129 du 15 septembre 2021 du président du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... A....

Copie en sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. L'hirondel, premier conseiller ;

- M. Frank, premier conseiller

Rendu public par mise à disposition du greffe le 25 février 2022.

Le conseiller le plus ancien,

M. L'hirondel

La présidente-rapporteure,

C. Brisson

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT026332


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02633
Date de la décision : 25/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SEMLALI NAWAL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-25;21nt02633 ?
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