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25/03/2022 | FRANCE | N°22NT00069

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 25 mars 2022, 22NT00069


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2112298 du 15 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a

rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 jan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2112298 du 15 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Arnal, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 novembre 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler les arrêtés du 27 octobre 2021 du préfet de Maine-et-Loire ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation d'asile en procédure normale ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, dans le délai de soixante-douze heures à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

en ce qui concerne la décision de transfert aux autorités espagnoles :

- la décision contestée est insuffisamment motivée en l'absence de mention du fondement juridique exact permettant de désigner les autorités espagnoles comme responsables de sa demande d'asile au regard de sa situation particulière ;

- la décision est entachée d'un défaut d'examen au regard de sa situation personnelle et de l'Etat de transfert ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'a pas été interrogé lors de l'entretien en préfecture sur ses craintes en cas de retour en Espagne ni sur les risques qu'il encourt par ricochet en cas de renvoi vers son pays d'origine ;

en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision est entachée d'illégalité en raison de celle de la décision de transfert aux autorités espagnoles ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dans l'application des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les seuls critères légaux étant l'impossibilité pour l'étranger de quitter immédiatement le territoire français et la perspective raisonnable présentée par la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guéguen, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C... A..., ressortissant guinéen né le 24 avril 1989, est selon ses déclarations entré irrégulièrement sur le territoire français le 9 août 2021. Le 27 septembre 2021, sa demande d'asile a été enregistrée à la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Espagne le 16 mai 2019, le préfet de Maine-et-Loire a saisi les autorités espagnoles, le 29 septembre 2021, d'une demande de reprise en charge de M. A... qui a été explicitement acceptée par ces autorités le 11 octobre 2021. Par deux arrêtés du 27 octobre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de l'intéressé aux autorités espagnoles, responsables de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement du 15 novembre 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 27 octobre 2021 du préfet de Maine-et-Loire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 3, 4 et 9 du jugement attaqué, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision contestée et du défaut d'examen particulier de la situation personnelle de M. A..., moyens que le requérant réitère en appel avec les mêmes arguments à peine modifiés, sans apporter de précisions nouvelles.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. M. A... soutient que sa demande d'asile ayant été rejetée par les autorités espagnoles, il risque, en cas de transfert en Espagne, un renvoi " par ricochet " dans son pays d'origine où il craint pour sa vie. Toutefois, le requérant, qui se borne à faire valoir qu'il n'a pas été interrogé lors de l'entretien du 27 septembre 2021 sur ses craintes en cas de retour en Espagne, ne caractérise pas ainsi les risques actuels et personnels auxquels il serait exposé en cas de transfert aux autorités espagnoles ni davantage en cas de renvoi en Guinée et ne produit aucun élément de nature à établir le bien-fondé de ses craintes à cet égard. Par ailleurs, l'arrêté en litige n'a pas pour objet de le reconduire dans son pays d'origine mais de le remettre aux autorités espagnoles, responsables du traitement de sa demande d'asile. Dans ces conditions, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Espagne, qui est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors qu'il ne fait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il risque d'être soumis en Espagne à des traitements inhumains ou dégradants, M. A... ne peut être regardé comme renversant la présomption mentionnée au point précédent et le moyen tiré de la violation des stipulations et dispositions qui y sont citées doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. M. A... invoque sa vulnérabilité résultant de sa qualité de demandeur d'asile et de l'absence de prise en charge médicale en Espagne alors qu'il est atteint d'une hépatite B et qu'il souffre de palpitations cardiaques. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment des résultats produits portant sur la sérologie bactérienne de maladies infectieuses réalisée en octobre 2021 par le laboratoire de bactériologie du CHU de Nantes et indiquant que le requérant est porteur du virus de l'hépatite B tout en étant immunisé, que M. A... ne justifie pas d'une situation de vulnérabilité exceptionnelle, notamment d'une pathologie grave ou d'un état de santé préoccupant, justifiant qu'il soit admis à déposer sa demande d'asile en France en application de la clause discrétionnaire susmentionnée. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire aurait, au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, entaché la décision en litige d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :

7. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge au point 15 du jugement attaqué, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée, moyen que le requérant réitère en appel avec les mêmes arguments, sans apporter de précisions nouvelles.

8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été exposé aux points 2 à 6 que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision de transfert au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...). ".

10. Il ressort des termes de la décision contestée que l'autorité administrative a pris une mesure d'assignation à résidence en relevant en particulier qu'il était nécessaire de s'assurer de la disponibilité de M. A... pour répondre aux convocations réalisées dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de transfert vers l'Etat membre requis, que l'intéressé justifiait d'une domiciliation à Nantes et qu'il remplissait les conditions de l'article L. 573-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel renvoie notamment pour son application à celles de l'article L. 751-2 du même code fixant les conditions nécessaires à l'édiction d'une mesure d'assignation à résidence. Il s'ensuit que le préfet de Maine-et-Loire, en prenant cette décision, a nécessairement entendu se fonder sur la double circonstance que l'intéressé ne pouvait quitter immédiatement le territoire français mais que son éloignement demeurait une perspective raisonnable, justifiant l'édiction d'une mesure d'assignation, mesure alternative à la rétention administrative applicable aux étrangers présentant des garanties de représentation, ceci afin d'organiser son transfert aux autorités espagnoles, lesquelles avaient explicitement accepté la reprise en charge de M. A... le 11 octobre 2021, soit seulement seize jours avant la date de l'arrêté portant assignation à résidence. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence serait entachée d'une erreur de droit dans l'application des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. A...(/nom)(ano)X(/ano), n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation d'asile en procédure normale ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A..., à Me Arnal et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- M. Guéguen, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.

Le rapporteur,

J.-Y. GUÉGUEN Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00069


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00069
Date de la décision : 25/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Jean-Yves GUEGUEN
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : ARNAL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-25;22nt00069 ?
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