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18/10/2022 | FRANCE | N°21NT03006

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 18 octobre 2022, 21NT03006


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Tunis refusant de lui délivrer un visa long séjour, en qualité de travailleur salarié.

Par un jugement n° 2104087 du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de

recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au mini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Tunis refusant de lui délivrer un visa long séjour, en qualité de travailleur salarié.

Par un jugement n° 2104087 du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif Nantes.

Il soutient que :

- il y a inadéquation entre l'expérience professionnelle du requérant et l'emploi proposé ; la formation et l'expérience dont il se prévaut sont attestées par des documents frauduleux ;

- il s'agit d'un recrutement familial de complaisance ; il y a un risque d'utilisation abusive ou frauduleuse du visa sollicité ; l'extrait de casier judiciaire produit par le requérant est falsifié et les baux produits pour attester du logement futur du requérant en France sont frauduleux.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 juillet et 13 septembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Blandin, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer le visa sollicité, ou à défaut de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois suivant la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;

- la décision de l'autorité consulaire est dépourvue de motivation et celle implicite de la commission ne l'est pas davantage.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 1er janvier 1989, a sollicité de l'autorité consulaire française à Tunis la délivrance d'un visa de long séjour aux fins d'exercer en France une activité salariée. Un refus lui a été opposé. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie le 11 décembre 2020 par M. B... d'un recours administratif préalable obligatoire, a rejeté ce recours par une décision implicite. Par un jugement du 25 octobre 2021, dont le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision implicite et a enjoint à ce ministre de procéder au réexamen de la demande de M. B....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni (...) 3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une. ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 du même code dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. La durée de validité de ce visa ne peut être supérieure à un an. (...) ". Et aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ".

3. La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'un contrat de travail visé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ou d'une autorisation de travail, ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse son entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur tout motif d'intérêt général. Constitue un tel motif l'inadéquation entre l'expérience professionnelle et l'emploi sollicité et, par suite, le risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.

4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que pour rejeter la demande de visa long séjour aux fins d'exercer une activité professionnelle de pâtissier présentée par M. B... la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur l'inadéquation de l'expérience professionnelle de l'intéressé avec l'emploi proposé, le caractère complaisant du recrutement et le risque sérieux d'utilisation frauduleuse du visa sollicité.

5. M. B..., se prévalant d'une formation qualifiante de pâtissier acquise en Tunisie, a souhaité rejoindre la France afin de travailler aux côtés de son frère, installé en qualité de boulanger pâtissier à Argenteuil (Val-d'Oise). Toutefois, les pièces produites ne permettent pas même d'établir l'existence du " centre académique de formation de Tataouine " où M. B... se serait formé. Par voie de conséquence, l'authenticité du diplôme qui lui aurait été délivré le 25 septembre 2018 par ce centre, après avoir été " admis à l'épreuve en spécialité pâtissière orientale ", n'est pas établie. Il en va de même du " diplôme de confirmation d'aptitude professionnelle " qui lui aurait été délivré le 19 janvier 2022 par le directeur régional de l'emploi et de la formation professionnelle de Tataouine au terme d'un " procès de l'examen du 19 janvier 2022 ", dont ne sont établis ni les modalités ni la finalité au regard du document déjà produit. Les quelques bulletins de salaire qu'il a également versés au dossier au titre d'une activité de pâtissier qu'il aurait exercée en Tunisie après l'obtention de son diplôme ne présentent pas de caractère probant, notamment au regard du fait qu'ils comportent, sur leur partie pré remplie, une même faute d'orthographe alors qu'ils sont censés émaner d'entreprises différentes. " L'attestation d'expérience " du 19 juillet 2020 signée par l'un de ces employeurs allégués est également, dans ce contexte, insuffisante pour établir les dires de l'intéressé. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B..., âgé de 32 ans à la date de la décision contestée, dispose en dernier lieu d'une autorisation de travail du 4 août 2020, signée de la DIRECCTE du Val-d'Oise, pour un emploi de pâtissier oriental chez son frère, lequel indiquait dans sa demande d'autorisation souhaiter recruter un salarié disposant d'une ancienneté de douze mois, alors qu'il résulte de ce qui précède que ni la qualification ni l'expérience en la matière de M. B... ne sont établis. Dans ces conditions, en refusant de délivrer le visa sollicité, la commission n'a pas porté une inexacte appréciation sur l'adéquation de la qualification et de l'expérience professionnelle de l'intéressé à l'emploi proposé et, par suite, sur le risque de détournement de l'objet du visa sollicité. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision contestée, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce qu'elle était entachée d'une erreur d'appréciation.

6. Il appartient, toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.

7. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prise sur recours préalable obligatoire se substitue à la décision initiale de refus prise par les autorités consulaires. Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... doivent être regardées comme exclusivement dirigées contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de l'autorité consulaire, qui est inopérant à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours, doit, dès lors, être écarté.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas même allégué que M. B... aurait demandé la communication des motifs de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence de motivation de cette décision implicite ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours présenté par M. B... contre la décision de l'autorité consulaire française à Tunis refusant à celui-ci un visa d'entrée et de long séjour en qualité de travailleur salarié.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. B....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2104087 du tribunal administratif de Nantes du 25 octobre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel présentées aux fins d'injonction sous astreinte et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

Le rapporteur,

C. C...

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03006


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03006
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : BLANDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-18;21nt03006 ?
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