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31/01/2023 | FRANCE | N°21NT02601

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 31 janvier 2023, 21NT02601


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme D... C... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 juin 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Khartoum refusant de délivrer à Mme D... C... E... un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2101889 du 19 juillet 2021, le tribuna

l administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme D... C... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 juin 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Khartoum refusant de délivrer à Mme D... C... E... un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2101889 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... C... E... le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 septembre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... B... et Mme D... C... E... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le motif tiré du défaut d'établissement de l'identité du demandeur de visa ainsi que le lien familial avec le réfugié est effectivement erroné ; toutefois, la décision contestée peut être légalement fondée sur le motif tiré de ce que Mme D... C... E... n'entre pas dans le champ d'application de la réunification familiale, en ce que le mariage avec M. C... B... a été célébré alors qu'elle n'avait que quinze ans, ce qui n'est pas conforme à la conception française de l'ordre public international, et que le lien de concubinage n'est pas établi ;

- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2021, M. C... B... et Mme D... C... E..., représentés par Me Bourgeois, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

M. C... B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., ressortissant soudanais né le 1er janvier 1990, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 12 février 2018. Son épouse alléguée, Mme D... C... E..., ressortissante soudanaise née le 1er janvier 1997, a sollicité un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de membre de famille de réfugié. Par une décision du 10 décembre 2019, l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) a refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision du 24 juin 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... C... E... le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de la demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue. ; / (...) II.- (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa au motif que l'identité de Mme D... C... E... et le lien familial à l'égard de M. C... B... n'étaient pas établis.

5. Pour justifier de l'identité de Mme D... C... E..., ont été produits la traduction d'un acte de naissance délivré par la direction générale du registre de l'Etat civil de la République du Soudan le 6 septembre 2018, ainsi qu'un passeport. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que l'acte de naissance produit n'est pas conforme au Registry Act issu de la loi de réforme de l'état civil soudanais en 2010. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme D... C... E... est née le 1er janvier 1997, antérieurement à l'entrée à vigueur de cette loi. Par ailleurs, la circonstance que l'acte de naissance aurait été établi de manière tardive, postérieurement à l'établissement du passeport, n'est pas de nature à retirer à cet acte sa valeur probante, à défaut notamment pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. Dans ces conditions, et ainsi que l'admet d'ailleurs le ministre dans ses écritures d'appel, en estimant que l'identité de la demanderesse de visa, et partant le lien familial à l'égard de M. C... B..., n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.

6. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, dans sa requête d'appel, communiquée par la cour à M. C... B... et à Mme D... C... E..., un autre motif tiré de ce de ce que la demanderesse de visa n'entrait pas dans le champ d'application de la réunification familiale, le mariage avec M. C... B... ayant été célébré alors qu'elle n'avait que quinze ans, ce qui n'est pas conforme à la conception française de l'ordre public international, et que le lien de concubinage n'est pas établi.

8. En l'espèce, la célébration du mariage religieux unissant M. C... B... et Mme D... C... E... est intervenue alors que cette dernière était âgée de quinze ans, en contrariété avec la conception française de l'ordre public international. Toutefois, la qualité de concubine de M. C... B..., âgée de plus de dix-huit ans à la date de la décision attaquée, dont se prévalent les intéressés, ouvre le droit, pour la personne réfugiée en France, au bénéfice du droit à être rejoint au titre de la réunification familiale en application des dispositions citées au point 2. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. C... B... a indiqué avoir épousé Mme D... C... E... dans son formulaire de demande d'asile, et a mentionné avoir quitté son village et vécu avec son épouse pendant plus d'un an, dans un camp au Darfour, avant son départ pour l'Europe. Par ailleurs, la relation de concubinage a été enregistrée par l'OFPRA le 21 juin 2018, en raison de l'impossibilité pour l'organisme de tenir compte du mariage. Enfin, M. C... B... et Mme D... C... E... produisent de nombreux justificatifs d'échanges par messagerie électronique, comportant notamment des photographies. Ces éléments sont de nature à établir l'existence d'une vie commune suffisamment stable et continue avant l'introduction de la demande d'asile formulée M. C... B....

9. Il suit de ce qui précède que la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. C... B... et Mme D... C... E..., la décision du 24 juin 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Khartoum refusant de délivrer à Mme D... C... E... un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de membre de famille de réfugié.

Sur les frais liés au litige :

11. M. C... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Bourgeois dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Bourgeois une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., Mme D... C... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 janvier 2023.

Le rapporteur,

A. A...Le président,

J. FRANCFORT

La greffière,

H. EL HAMIANI La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT02601


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02601
Date de la décision : 31/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : CABINET BOURGEOIS REZAC MIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-01-31;21nt02601 ?
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