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14/02/2023 | FRANCE | N°21NT03036

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 14 février 2023, 21NT03036


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... D... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 10 mars 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du consulat général de France à Abidjan (Côte-d'Ivoire) du 6 octobre 2020 refusant de délivrer à Mme F... B... D... un visa de long séjour en qualité d'enfant étranger d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 2104722 du 25

octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 10 mars ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... D... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 10 mars 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du consulat général de France à Abidjan (Côte-d'Ivoire) du 6 octobre 2020 refusant de délivrer à Mme F... B... D... un visa de long séjour en qualité d'enfant étranger d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 2104722 du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 10 mars 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme F... B... D... et Mme C... B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient qu'il convient de substituer au motif erroné fondant la décision de la commission ceux tirés du fait que l'adoption simple de l'enfant n'ouvre pas les mêmes droits qu'un lien de filiation et du fait qu'il n'est pas de l'intérêt de l'adoptée de rejoindre Mme B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2022, Mme F... B... D..., représentée par Me Tchiakpe, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal de première instance de Daola (Côte-d'Ivoire) a prononcé l'adoption simple de Mme F... D..., ressortissante ivoirienne née le 3 avril 2003, par Mme C... B..., ressortissante française née le 26 mai 1969, et a jugé que l'enfant porterait désormais comme patronyme B... D.... La demande de visa de long séjour présentée en qualité d'enfant de ressortissante française au consulat général de France à Abidjan pour Mme E... B... D... a été rejetée par une décision du 6 octobre 2020. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 10 mars 2021. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 25 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mmes B... D... et B..., cette décision du 10 mars 2021.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour fonder sa décision du 10 mars 2021 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que le dossier communiqué ne permettait pas, alors qu'il s'agit d'une adoption intrafamiliale, de s'assurer que la procédure d'adoption internationale avait respecté les dispositions de la convention internationale du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

3. Ce motif ne permet pas d'établir les raisons pour lesquelles les stipulations de la convention internationale du 29 mai 1993 auraient été méconnus en l'espèce. Tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour le ministre de l'intérieur n'a procédé à aucun éclaircissement en indiquant qu'il admettait que ce motif était erroné. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le jugement d'adoption simple ivoirien du 30 janvier 2020 a été déclaré exécutoire en France par un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 25 novembre 2020, qui l'a notamment jugé conforme à l'ordre public international français, et que la transcription de son dispositif a été réalisée par l'officier de l'état civil du service central d'état civil du ministère des affaires étrangères le 6 avril 2021. Dans ces conditions, ce motif ne pouvait fonder légalement la décision contestée.

4. Toutefois l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

5. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur invoque, dans sa requête d'appel communiquée à Mme B..., de nouveaux motifs, fondés sur le fait que l'adoption simple de l'enfant n'ouvre pas les mêmes droits à un visa qu'un lien de filiation et qu'il n'est pas de l'intérêt de l'enfant adoptée de rejoindre Mme B....

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : (...) 2° A l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française si cet enfant (...) est à la charge de ses parents (...) sous réserve qu'ils produisent un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois. (...) L'enfant visé aux 2°, 8° et 9° du présent article s'entend de l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté, en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger. (...) ".

7. Si les dispositions citées de l'article L. 314-11 n'ont ni pour objet, ni pour effet, de conférer à l'étranger susceptible de bénéficier de plein droit d'une carte de résident, et

notamment à l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française ayant une filiation, y

compris adoptive, légalement établie si cet enfant est à la charge de ses parents, le droit

d'obtenir un visa de long séjour, la commission ne pouvait toutefois, sans erreur de droit,

fonder le refus opposé à l'intéressée de lui délivrer un visa de long séjour sur la seule

circonstance que son adoption par une ressortissante française, à la charge de laquelle elle se trouvait depuis au moins cette adoption, avait le caractère d'une adoption simple.

8. En second lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. L'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France ou un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de l'adoptant, contraires à son intérêt.

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est fonctionnaire territoriale depuis 2001 et qu'elle percevait en 2020 des revenus mensuels de l'ordre de 2 200 euros. Mère de deux enfants mineurs à sa charge, elle est locataire d'un logement à Paris. Pour sa part, sa fille adoptive, Mme B... D... est handicapée et orpheline de mère, alors que son père est indisponible ainsi qu'il ressort des motifs fondant le jugement ivoirien d'adoption de 2020. Par suite, et eu égard au jugement d'adoption simple de Mme F... D... par Mme C... B... intervenu le 30 janvier 2020, la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est intervenue en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

11. Aucun des deux motifs invoqués par le ministre n'étant de nature à fonder légalement la décision contestée, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de substitution de motif qu'il sollicite.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 10 mars 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour Mme B... D....

Sur les frais d'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 800 euros au titre des frais exposés pour l'instance par Mme B....

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... D... la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme C... B... et à Mme F... B... D....

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2023.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03036


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03036
Date de la décision : 14/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : TCHIAKPE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-02-14;21nt03036 ?
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