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05/05/2023 | FRANCE | N°22NT02666

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 05 mai 2023, 22NT02666


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le Nigéria ou tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible comme pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.

Par un jugement n° 2203206 du 4 août 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 7 juin 2022 et enjoint au préfet d'Ille-

et-Vilaine de procéder au réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai de tre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le Nigéria ou tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible comme pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.

Par un jugement n° 2203206 du 4 août 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 7 juin 2022 et enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de procéder au réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai de trente jours en munissant l'intéressée, dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 août 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 4 août 2022 et de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal.

Il soutient que :

- la mesure d'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de Mme D... n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise ;

- les autres moyens invoqués par Mme D... en première instance, tirés de l'incompétence du signataire, de la méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 542-1, L. 542-2, L. 531-24 et L. 611-1, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que celui tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2023,

Mme A... D..., représentée par Me Le Bihan, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 septembre 2022, maintenue par décision du 13 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante nigériane née le 8 décembre 1996, déclare être entrée en France en mars 2018, afin d'y solliciter l'asile. A la suite du rejet définitif de sa demande de protection internationale par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 15 janvier 2020, le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination du Nigéria ou de tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible par un arrêté du 7 juin 2022. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 4 août 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., qui déclare être entrée en France en mars 2018, a donné naissance le 2 octobre 2018 à Rennes à une fille, qu'elle a eu avec un compatriote dont la demande d'asile a été définitivement rejetée. Par ordonnance du 5 novembre 2019, la juge des enfants du tribunal de grande instance de Rennes a ordonné une mesure d'investigation éducative en raison d'un conflit majeur, empreint de violences régulières, entre les parents et des fragilités propres à chacun d'eux afin d'évaluer leurs répercussions sur leur fille. Mme D... a déclaré dans le cadre de son audition par les services de police du 8 juin 2022 qu'elle était célibataire et qu'elle avait la charge de sa fille scolarisée en petite section à l'école maternelle, sans faire aucune mention du père de celle-ci. Elle déclare dans son mémoire que depuis sa séparation avec le père de son enfant, le juge de enfants a procédé à la mainlevée de la mesure de placement à domicile et a clos le dossier d'assistance éducative. La décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français à la suite du rejet définitif de sa demande d'asile, prise sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont aucune pièce du dossier ne permet de considérer qu'elle aurait pour effet de séparer la requérante de sa fille mineure, ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les autres moyens invoqués par Mme D... :

4. L'adjointe au chef de bureau de lutte contre l'immigration irrégulière de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, signataire de l'arrêté attaqué, bénéficiait à cet effet d'une délégation de signature par arrêté du 13 mai 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit donc être écarté.

5. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; "

6. Il ressort des pièces du dossier que par application de l'article L. 542-1 et 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le droit de Mme D... de se maintenir en France avait pris fin le 15 janvier 2020, date à laquelle lui avait été notifiée la décision du 30 décembre 2019 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile avait rejeté son recours formé contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 mars 2019 portant rejet de sa demande d'asile. Dès lors, l'intéressée relevait bien de l'hypothèse visée par les dispositions citées au point précédent du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans laquelle l'autorité administrative peut obliger un ressortissant étranger à quitter le territoire français. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 542-1, L. 542-2 et L. 611-1, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

7. Enfin, si Mme D... fait valoir qu'elle s'est séparée du père de son enfant en raison de violences conjugales subies durant leur vie commune en France et qu'en cas de retour au Nigéria, elle craint que son fils lui soit enlevé de force par son ancien compagnon sans qu'elle ne puisse bénéficier à cet égard de la protection des autorités nigérianes, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses déclarations. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ou son enfant seraient exposés en cas de retour dans leur pays d'origine à des risques de traitements inhumains et dégradants. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 7 juin 2022 portant obligation de quitter le territoire français de Mme D... dans un délai de trente jours à destination du Nigéria et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressée.

9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par

Mme D... en faveur de son avocate au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 4 août 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... D....

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.

La rapporteure,

J. Lellouch

Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02666


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02666
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LE BIHAN

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-05-05;22nt02666 ?
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