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13/10/2023 | FRANCE | N°23NT01087

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 13 octobre 2023, 23NT01087


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

21 novembre 2022 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement en cas d'exécution d'office.

Par un jugement n° 2206509 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de M. B... dans un délai

de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Procédure devant la cour :

Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

21 novembre 2022 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement en cas d'exécution d'office.

Par un jugement n° 2206509 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2023, le préfet du Morbihan demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mars 2023.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que M. B... entrait dans le champ d'application des stipulations de l'article 6 alinéa 5 de l'accord franco-algérien ;

- le tribunal a commis une erreur en annulant cette décision, en ce qu'elle permet un " détournement des règles applicables au regroupement familial " ;

- la promesse d'embauche sur un poste d'agent de maîtrise au sein d'une entreprise située en Seine-Saint-Denis ne saurait suffire à caractériser une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Beguin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre au préfet du Morbihan de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens invoqués par le préfet du Morbihan ne sont pas fondés ;

- l'arrêté litigieux est entaché de l'incompétence de son auteur ;

- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation et d'un défaut de motivation ;

- il est entaché d'un défaut de base légale, en ce qu'il aurait dû être fondé sur l'accord franco-algérien et non sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un courrier du 14 septembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étant pas applicables aux ressortissants algériens, il y a lieu de substituer à ces bases légales erronées celles tirées du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et celle tirée du pouvoir de régularisation dont dispose l'autorité préfectorale.

Par mémoire, enregistré le 20 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Beguin, a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public et maintient ses conclusions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., de nationalité algérienne, est entré en France le 12 juillet 2022 muni d'un visa de court séjour de type C valable du 15 décembre 2021 au 14 décembre 2022 afin d'y retrouver son épouse qui s'était vu délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " salarié " valable du 22 juillet 2022 au 21 juillet 2023 ainsi que ses deux enfants. Il a sollicité son admission au séjour le 20 septembre 2022 auprès des services de la préfecture du Morbihan, en se prévalant de ses liens personnels et familiaux en France. Par l'arrêté attaqué du 21 novembre 2022, le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a assorti d'une obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution d'office. Le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 21 novembre 2022.

2. L'accord du 27 décembre 1968 régit d'une manière complète et exclusive les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, ainsi que les règles concernant la nature et la durée de la validité des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés. Il s'ensuit que pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. B..., le préfet du Morbihan ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont pas applicables aux ressortissants algériens dont la situation est entièrement régie par les stipulations de l'accord du

27 décembre 1968. Il y a lieu, dès lors, de substituer à ces bases légales erronées celles tirées, d'une part, des stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et, d'autre part, du pouvoir dont dispose l'autorité administrative de régulariser ou non la situation d'un étranger, dès lors que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans sa mise en œuvre et que les parties ont été mises à même de présenter leurs observations sur ce point.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (..) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...)° 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France le 12 juillet 2022 muni d'un visa de court séjour à entrées multiples afin de retrouver son épouse qui y travaille depuis le 11 mai 2022 en qualité de responsable qualité/hygiène/sécurité/environnement dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et qui est titulaire d'un certificat de résidence algérien portant la mention " salarié " valable jusqu'au 21 juillet 2023 et de l'aider à s'installer en France avec ses deux enfants mineurs. Avant l'expiration du délai de validité de son visa de court séjour, M. B... a sollicité son admission au séjour en se prévalant de sa situation personnelle et familiale, notamment de celle de son épouse, de la présence en France des deux enfants du couple, âgés de trois et dix ans et scolarisés au titre de l'année scolaire 2022-2023 et de la promesse d'embauche qu'il a obtenue pour un poste d'agent de maîtrise. M. B..., en qualité d'époux d'une ressortissante étrangère titulaire d'un certificat de résidence algérien relève d'une des catégories d'étrangers éligibles au regroupement familial, sans qu'y fasse obstacle la circonstance selon laquelle son épouse ne remplissait pas la condition de durée de présence en France requise pour y prétendre. Si M. B... se prévaut de la difficulté pour son épouse de concilier son activité professionnelle et la garde de ses enfants, cette situation résulte du choix propre de la famille que Mme B... s'installe en France avec les deux enfants du couple pour y travailler. Dans ces conditions, et eu égard tant au caractère très récent de l'entrée en France de l'intéressé à la date de l'arrêté litigieux qu'aux règles applicables relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, le refus de délivrer à M. B... un certificat de résidence algérien au titre de la vie privée et familiale n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles 6 de l'accord-franco-algérien et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté préfectoral en litige. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... en première instance et en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

6. Par un arrêté du 29 août 2022, régulièrement publié le 31 août 2022 au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Morbihan a donné délégation à Mme D... C..., cheffe du bureau des étrangers et de la nationalité, à l'effet de signer les décisions relevant de son bureau, lesquelles comprennent notamment les refus de séjour, les obligations de quitter le territoire et les décisions fixant le pays de renvoi. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. L'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Morbihan s'est fondé pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. B... et lui faire obligation de quitter le territoire. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'une insuffisance de motivation doit être écarté.

8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des motifs de l'arrêté litigieux, que le préfet du Morbihan a procédé à un examen particulier de la situation de M. B... avant de prendre son arrêté.

9. Aux termes de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

10. Il ressort des pièces du dossier que l'épouse de M. B... s'est installée en France en mai 2022 pour l'exercice de son activité professionnelle après avoir obtenu une autorisation de travail et un certificat de résidence algérien en qualité de salariée. M. B... a pour sa part seulement sollicité un visa de court de séjour pour motif touristique à entrées multiples afin de l'aider à l'installation en France de son épouse et de leurs deux enfants. Alors que l'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leur mère, ni de faire obstacle à ce que M. B... puisse leur rendre visite régulièrement en France, la circonstance selon laquelle les horaires de travail de son épouse ne lui permettent pas de s'occuper de leurs deux enfants âgés de dix et trois ans qui ont été scolarisés en France à compter de l'année scolaire 2022-2023 n'est pas de nature à établir qu'en refusant l'admission au séjour de M. B..., le préfet du Morbihan aurait méconnu l'intérêt supérieur des enfants. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 4 et 10, l'arrêté litigieux n'est pas entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 21 novembre 2022. Par voie de conséquence, les conclusions présentées tant en première instance qu'en appel par M. B... à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2206509 du tribunal administrative de Rennes du 21 octobre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que les conclusions présentées par celui-ci devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.

La rapporteure,

J. Lellouch

La présidente,

C. Brisson

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01087


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01087
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BEGUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-13;23nt01087 ?
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