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02/02/2016 | FRANCE | N°15PA01827

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 02 février 2016, 15PA01827


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2013 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 1310844/1 du 28 novembre 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 mai 2015, MmeA...,

représentée par Me Roques, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1310844/1 du 28 n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2013 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 1310844/1 du 28 novembre 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 mai 2015, MmeA..., représentée par Me Roques, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1310844/1 du 28 novembre 2014 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2013 contesté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa demande dans ce même délai, sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la décision de refus de titre de séjour :

- le préfet était tenu de saisir la commission du titre de séjour ;

- le préfet était tenu d'examiner si sa situation répondait à des considérations humanitaires ou se justifiait au regard de motifs exceptionnels et, à défaut, s'il pouvait envisager la délivrance d'une carte mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tel qu'interprété par la circulaire du 28 novembre 2012 ;

- la décision a été prise en méconnaissance des articles 6-5 de l'accord

franco-algérien et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle justifie d'une vie privée et familiale depuis plus de 13 ans en France et notamment qu'elle est l'épouse d'une personne en situation régulière, justifie d'une communauté de vie, a un enfant issu de cette union, scolarisé en France et naturalisé français, et que la répudiation obtenue par son mari en Algérie à son insu ne peut produire d'effet en France ;

- la décision a été prise en violation de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien ;

- la décision a été prise en violation de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision est fondée sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- la décision est fondée sur une décision de refus de titre de séjour et une décision portant obligation de quitter le territoire français illégales.

La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 27 mars 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mielnik-Meddah,

- et les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public.

1. Considérant que MmeA..., ressortissante algérienne, née le 24 juillet 1968 à Tifra, entrée en France en février 2000 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour le 7 juin 2011 sur le fondement des articles 6-1 et 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 15 novembre 2013, le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande et a assorti ce rejet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination ; que, par une requête enregistrée à la Cour le 6 mai 2015, Mme A...relève appel du jugement n° 1310844/1 du 28 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...s'est mariée avec M. C... D..., un compatriote en situation régulière en France, le 15 août 1993 en Algérie ; que de cette union est né un fils, Yanis, né le 24 septembre 2001 en France, scolarisé sur le territoire, à l'éducation et à l'entretien duquel ses deux parents participent et qui a, d'ailleurs, acquis la nationalité française en 2014, postérieurement à la décision attaquée ; que pour revenir sur sa décision accordant un titre de séjour à MmeA..., que l'intéressée devait retirer le 15 juin 2012 à la préfecture, et refuser à celle-ci, par l'arrêté attaqué, la délivrance du titre de séjour sollicité après avoir reçu une lettre de dénonciation anonyme, le préfet s'est fondé notamment sur la circonstance que l'intéressée a divorcé de son époux le 17 juin 2006 en Algérie ; que Mme A...fait valoir que le jugement rendu par la juridiction algérienne le 17 juin 2006, sans qu'elle en ait été alors informée, ne répond pas aux exigences de la régularité des jugements prononcés à l'étranger ; qu'elle relève, en particulier, que le jugement ayant été rendu à la seule initiative de son mari, cette décision doit être regardée comme une répudiation unilatérale, contraire à l'ordre public international ainsi qu'au principe d'égalité des époux ;

4. Considérant que les jugements rendus par un tribunal étranger relatifs à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes ; qu'il incombe à l'autorité administrative de tenir compte de tels jugements, dans l'exercice de ses prérogatives, tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une déclaration d'inopposabilité ; que, saisi dans son domaine de compétence d'un litige portant sur des questions relatives à l'état et la capacité des personnes, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opposabilité en France d'un jugement rendu en cette matière par un tribunal étranger ; que, si elles s'y croient fondées, les parties peuvent saisir le juge judiciaire qui est seul compétent pour se prononcer sur l'effet de plein droit de tels jugements ; qu'il appartient toutefois à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande en divorce a été unilatéralement introduite auprès de la juridiction algérienne par l'époux de Mme A...alors que celle-ci se trouvait en France et que la dissolution a été prononcée par jugement rendu le 24 décembre 2005 ; que Mme A...ayant fait opposition à ce jugement et demandé des dommages et intérêts pour divorce abusif, la juridiction algérienne a prononcé, selon les termes du jugement du 17 juin 2006, le divorce selon la volonté exclusive de l'époux, condamné celui-ci au versement de dommages et intérêts pour divorce abusif, d'une pension de retraite légale et d'une pension mensuelle au bénéfice de Mme A...et son fils et confié la garde de l'enfant à sa mère avec droit de visite accordé au père ;

6. Considérant, ainsi qu'il résulte du point précédent, que la dissolution du mariage a été prononcée à la suite d'une demande unilatérale et discrétionnaire présentée par M. C... D... devant le Tribunal de Sidi Aich en Algérie alors que son épouse était en France ; que le jugement du 17 juin 2006 prononçant cette dissolution par la seule volonté du mari est contraire à la conception française de l'ordre public international ; que, par suite, le préfet ne pouvait se fonder sur ce jugement pour estimer que, le mariage étant dissous, Mme A... n'était plus en droit de bénéficier des stipulations de l'article 6-5 de l'accord

franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ; qu'en outre, il ressort des pièces du dossier que Mme A...vit avec son fils et son époux chez la mère de ce dernier ; qu'elle établit en outre la poursuite de la communauté de vie depuis l'année 2006 par la production d'avis d'imposition au nom de M. D...C...ou Mme D...B...faisant apparaître pour certaines années le bénéfice de 2,5 parts fiscales ; que, dans ces conditions, l'arrêté attaqué a porté au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels il a été pris, alors surtout que le jugement du 17 juin 2006 confie à l'intéressée la garde de son fils mineur, né le 24 septembre 2001, qui a d'ailleurs acquis la nationalité française au cours de l'année 2014 ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 15 novembre 2013 ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à Mme A...un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Roques, avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Roques de la somme de 1 000 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1310844/1 du 28 novembre 2014 du Tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 15 novembre 2013 du préfet du Val-de-Marne sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à Mme A...un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Roques la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., au ministre de l'intérieur et au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2016 à laquelle siégeaient :

M. Auvray, président de la formation de jugement,

Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,

M. Pagès, premier conseiller,

Lu en audience publique le 2 février 2016.

Le rapporteur,

A. MIELNIK-MEDDAH

Le président,

B. AUVRAY

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 15PA01827


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA01827
Date de la décision : 02/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Anne MIELNIK-MEDDAH
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : ROQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-02-02;15pa01827 ?
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