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07/11/2019 | FRANCE | N°19PA01739

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 07 novembre 2019, 19PA01739


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 5 décembre 2018, par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi, d'une part, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 36 mois, d'autre part.

Par un jugement n° 1822416 du 22 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 mai 2019, M. B... C... ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 5 décembre 2018, par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi, d'une part, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 36 mois, d'autre part.

Par un jugement n° 1822416 du 22 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 mai 2019, M. B... C... représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1822416 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris en date du 22 janvier 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet de police, en date du 5 décembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'une semaine suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions :

- les arrêtés attaqués sont entachés d'un défaut de motivation et d'une erreur de fait ;

- ils sont entachés d'une erreur de droit, le préfet de police n'ayant pas examiné sa situation au regard de l'accord franco-tunisien du 7 mars 1988.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle a été prise en méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle dès lors qu'il existe un doute sérieux sur sa nationalité ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 octobre 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 18 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- l'accord bilatéral franco-tunisien en date du 17 mars 1988 modifié, relatif à la circulation des personnes,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté en date du 5 décembre 2018, le préfet de police a obligé M. C..., ressortissant tunisien, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et a assorti cette obligation d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. C... fait appel du jugement du 22 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du I. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) / 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée (...). "

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien- être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il est constant que M. C... ne peut pas justifier être entré régulièrement sur le territoire français et qu'il était, à la date de la décision attaquée, dépourvu de titre de séjour. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'il vivait en concubinage avec une ressortissante française, enceinte de 7 mois et qu'ils avaient souscrit ensemble, le 4 janvier 2018, une déclaration de vie commune et, le 12 septembre 2018, une reconnaissance de paternité. Par ailleurs, si le préfet de police fait valoir que M. C... représenterait une menace pour l'ordre public pour avoir fait l'objet, en 2017, d'une obligation de quitter le territoire, motivée par une interpellation pour vol en réunion, et avoir, de manière réitérée, prononcé des menaces de mort à l'encontre de sa concubine, il ne l'établit pas, dès lors que l'intéressé n'a jamais été condamné pénalement pour les faits en cause, et qu'auditionnée le 4 décembre 2018 par les services de police, la compagne du requérant a déclaré qu'il ne l'avait jamais menacée de mort, reconnaissant seulement avoir eu avec lui de violentes altercations verbales. Celle-ci a également établi, le 6 décembre 2018, une attestation dont il ressort que la vie commune avec M. C... n'a pas cessé. Dans ces conditions, en obligeant M. C... à quitter le territoire français, le préfet de police a porté à son droit au respect de vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis, et a donc méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, l'obligation de quitter le territoire français sans délai, la décision fixant le pays de destination et la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doivent être annulées.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, le jugement et les arrêtés attaqués doivent être annulés.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

6. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ". L'annulation de l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire implique nécessairement que, par application des dispositions de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il soit muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas et sur son droit au séjour au vu des motifs de la présente décision. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de police de réexaminer la situation de l'intéressé, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen, dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, après lui avoir délivré, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

7. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à cet avocat de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1822416 du Tribunal administratif de Paris du 22 janvier 2019 et les arrêtés du préfet de police du 5 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de ce réexamen, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'État versera à Me D... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 novembre 2019.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

S.-L. FORMERY

La greffière,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA01739 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01739
Date de la décision : 07/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : KORAYTEM

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-07;19pa01739 ?
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