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26/11/2019 | FRANCE | N°18PA02010

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 26 novembre 2019, 18PA02010


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Business Solutions Capital, venant aux droits et obligations de la SAS Holding Desk Basse-Normandie, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par une ordonnance du 1er août 2016, la présidente du Tribunal administratif de Montreuil a renvoyé au Tribunal adminis

tratif de Paris le dossier de la requête de la société Business Solutions Capital.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Business Solutions Capital, venant aux droits et obligations de la SAS Holding Desk Basse-Normandie, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par une ordonnance du 1er août 2016, la présidente du Tribunal administratif de Montreuil a renvoyé au Tribunal administratif de Paris le dossier de la requête de la société Business Solutions Capital.

Par un jugement n° 1612116/1-2 du 17 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2018 et le 19 décembre 2018, la SAS Business Solutions Capital, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1612116/1-2 du 17 avril 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et intérêts de retard contestés ;

3°) de condamner l'Etat à lui rembourser les sommes litigieuses déjà payées et de les assortir des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

4°) de condamner l'Etat aux dépens de l'instance ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service ne pouvait lui opposer les conditions posées par le IX de l'article 209 du code général des impôts pour lui refuser la déductibilité des charges financières procédant des emprunts qu'elle a dû contracter pour acquérir en 2011 les titres de la société Desk Basse-Normandie ;

- à supposer que les sociétés luxembourgeoises Binah et Société de distribution bureautique 3 A, qui détiennent 94 % de son capital, puissent être regardées comme ayant disposé du pouvoir de décider du sort des titres acquis et comme ayant exercé un contrôle ou une influence sur la société émettrice des titres, lui refuser la déductibilité des charges en cause pour ce motif est contraire aux libertés d'établissement et de circulation des capitaux garanties par les articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, avec lesquels le IX de l'article 209 du code général des impôts dans sa version applicable au litige est incompatible.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Business Solutions Capital ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 14 octobre 2019, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de condamnation de l'Etat au remboursement des sommes en litige.

Un mémoire en réponse à ce moyen d'ordre public a été enregistré le 22 octobre 2019 pour la société Business Solutions Capital.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de commerce ;

- la décision n° 2018-748 QPC du 30 novembre 2018 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Business Solutions Capital.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Holding Desk Basse-Normandie, aux droits et obligations de laquelle vient la société Business Solutions Capital à la suite de son absorption en 2015, a été créée le 19 octobre 2011 par deux sociétés luxembourgeoises, Binah et Société de distribution bureautique 3A, et une société française, Lasco, qui détenaient respectivement 65,8 %, 28,2 % et 6 % de son capital, pour acquérir, pour un prix de 7,5 millions d'euros, l'intégralité des titres qui composaient le capital de la société Desk Basse-Normandie, spécialisée dans la vente et la location de photocopieurs. Cette opération a été financée par deux emprunts de 2,5 millions d'euros chacun, l'un auprès du CIC Normandie Ouest, l'autre auprès du Crédit Agricole Normandie Seine, ainsi que par un crédit vendeur de même montant. Ils ont occasionné des charges financières comptabilisées dans les écritures de la société Holding Desk Basse-Normandie, société intégrante du groupe fiscalement intégré sur le fondement de l'article 223 A du code général des impôts, à concurrence de 284 465 euros en 2012 et de 263 385 euros en 2013. Après avoir procédé à la vérification de comptabilité de cette société au titre des exercices clos en 2012 et 2013, selon la procédure de rectification contradictoire, le service a remis en cause la déductibilité des charges financières en cause, estimant que les conditions posées par le IX de l'article 209 du code général des impôts n'étaient pas remplies. La société Business Solutions Capital relève appel du jugement du 17 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été subséquemment assujettie au titre de l'exercice 2013, seul en litige après le dégrèvement relatif à l'exercice clos en 2012 prononcé par le service avant la saisine du juge de l'impôt, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Dans le dernier état de ses écritures, elle renonce à ses conclusions tendant au remboursement des sommes déjà acquittées, à assortir d'intérêts moratoires, et à la condamnation de l'Etat aux dépens de l'instance.

Sur le bien-fondé des impositions contestées :

En ce qui concerne le droit interne et l'application du IX de l'article 209 du code général des impôts :

2. D'une part, aux termes du 1. du IX de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2011 applicable en l'espèce : " Les charges financières afférentes à l'acquisition des titres de participation mentionnés au troisième alinéa du a quinquies du I de l'article 219 sont rapportées au bénéfice de l'exercice lorsque l'entreprise n'est pas en mesure de démontrer par tous moyens, au titre de l'exercice ou des exercices couvrant une période de douze mois à compter de la date d'acquisition des titres ou, pour les titres acquis au cours d'un exercice ouvert avant le 1er janvier 2012, du premier exercice ouvert après cette date, que les décisions relatives à ces titres sont effectivement prises par elle ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I de l'article L. 233-3 du code de commerce ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens du même article L. 233-3 et, lorsque le contrôle ou une influence est exercé sur la société dont les titres sont détenus, que ce contrôle ou cette influence est effectivement exercé par la société détenant les titres ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I dudit article L. 233-3 ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens de ce même article. ".

3. D'autre part, en vertu de l'article L. 233-3 du code de commerce : " I. - Une société est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : 1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; 2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ; 3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; 4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société. / (...) ".

4. Le 1. du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts applicable en l'espèce prévoit, par principe, la réintégration dans le résultat imposable des charges financières afférentes à l'acquisition de certains titres de participation. Par exception, ces mêmes dispositions permettent que ces charges soient déduites lorsqu'il est démontré que la société détentrice des titres, sa société mère ou l'une de ses sociétés soeurs, à condition qu'elles soient établies en France, exercent le pouvoir de décision sur les titres et, le cas échéant, exercent effectivement le pouvoir de contrôle ou d'influence sur la société acquise. Par la décision n° 2018-748 QPC du 30 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, sous réserve qu'elles n'interdisent pas la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation, lorsqu'il est démontré que le pouvoir de décision sur ces titres et, le cas échéant, le pouvoir de contrôle effectif sur la société acquise, sont exercés par des sociétés établies en France autres que les sociétés mère ou soeur de la société détentrice des titres et appartenant au même groupe que cette dernière. Cette condition d'appartenance de plusieurs sociétés à un même groupe s'entend de leur contrôle par une même société au sens des dispositions du I. de l'article L. 233-3 du code de commerce.

5. Il résulte de l'instruction, et n'est pas utilement contesté, que la société Holding Desk Basse-Normandie a été constituée en octobre 2011 par ses actionnaires luxembourgeoises, qui détiennent 94 % de son capital, dans le but exclusif d'acquérir deux mois plus tard les titres de la société Desk Basse-Normandie, qui constituaient son seul actif. Il ressort par ailleurs de l'article 14.4 des statuts de la société Holding Desk Basse-Normandie, tels qu'ils ont été enregistrés au service des impôts des entreprises de Caen Nord le 20 octobre 2011, que son président, qui est également celui de la société Desk Basse-Normandie émettrice des titres, devait disposer de l'autorisation préalable de la collectivité des associés, au premier rang desquelles les sociétés luxembourgeoises, pour pouvoir, notamment, céder ou acquérir des participations dans toutes sociétés ou groupements créés ou à créer ou encore accorder tous actes de cautionnement, avals, garanties, hypothèques ou nantissements à donner par la société. Dans ces conditions, la société Holding Desk Basse-Normandie ne peut être regardée comme démontrant avoir eu par elle-même, au sens du IX de l'article 209 du code général des impôts, un pouvoir de décision autonome sur les titres de la société Desk Basse-Normandie. Dans la mesure où l'article 18.1 de ses statuts a par ailleurs réservé à la collectivité de ses associés des compétences exclusives dans les domaines stratégiques que sont la modification des statuts, les augmentations ou diminutions de capital ou encore la distribution de dividendes, elle ne peut davantage être regardée, en tout état de cause, comme justifiant avoir exercé un contrôle ou une influence sur la société Desk Basse-Normandie. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le service, au regard du droit interne, a remis en cause la déductibilité des charges financières que la société Holding Desk Basse-Normandie a dû supporter pour acquérir les titres de la société Desk Basse-Normandie.

En ce qui concerne la compatibilité du IX de l'article 209 du code général des impôts avec le droit de l'Union européenne :

6. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ".

7. En réservant aux seules sociétés établies en France, ou contrôlées par des sociétés appartenant à un même groupe qui y sont établies, le dispositif de déductibilité des charges financières prévu par le IX de l'article 209 du code général des impôts dans sa version issue de la loi de finances rectificative pour 2011, le législateur a introduit une discrimination au détriment des sociétés établies dans un autre pays de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen qui auraient souhaité prendre des participations en recourant à l'emprunt depuis une structure créée à cette fin établie en France. De ce fait, l'exercice de la liberté d'établissement de ces sociétés a été rendu moins attractif, sans que cette entrave soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général dont se serait au cas particulier prévalue l'administration fiscale. Dans ces conditions, et dès lors en outre que la disposition législative en cause a été modifiée par la loi de finances pour 2018 dans le but d'assimiler aux sociétés établies en France celles ayant leur siège dans un Etat membre de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, le IX de l'article 209 du code général des impôt, sur lequel le service s'est fondé pour remettre en cause la déductibilité des charges financières supportées par la société Holding Desk Basse-Normandie pour acquérir les titres de la société Desk Basse-Normandie, doit être regardé comme incompatible avec la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

8. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société Business Solutions Capital est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais de justice :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des conclusions de la société Business Solutions Capital présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1612116/1-2 du Tribunal administratif de Paris du 17 avril 2018 est annulé.

Article 2 : La société Business Solutions Capital, venant aux droits et obligations de la société Holding Desk Basse-Normandie, est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Article 3 : L'Etat versera à la société Business Solutions Capital la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Business Solutions Capital et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (Pôle fiscal Paris 1, service du contentieux d'appel déconcentré).

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.

Le rapporteur,

C. A...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'action de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02010
Date de la décision : 26/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-081 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices industriels et commerciaux. Détermination du bénéfice net. Charges financières.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Christelle ORIOL
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SICOT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-26;18pa02010 ?
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