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10/12/2020 | FRANCE | N°20PA00953

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 10 décembre 2020, 20PA00953


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet de police a prononcé son maintien en rétention administrative en application de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1923920 du 10 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 6 novembre 2019 et enjoint au préfet de police de procéder au réexa

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet de police a prononcé son maintien en rétention administrative en application de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1923920 du 10 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 6 novembre 2019 et enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de le munir, dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 12 mars et 24 août 2020, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 décembre 2019 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient qu'il a bien examiné la situation personnelle de M. A... et que la demande d'asile en rétention présentée le 3 novembre 2019 par M. A... était manifestement dilatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2020, M. A..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête d'appel et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il oppose une fin de non-recevoir tiré de la tardiveté de la requête et soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;

- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me D..., pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... est un ressortissant algérien, né le 1er mars 1988, qui déclare être entré en France en mai 2016 et y séjourner irrégulièrement depuis cette date. Le 30 octobre 2019, il a été placé en rétention administrative et a fait l'objet d'un arrêté d'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et lui interdisant de retourner sur le territoire français pendant une période de douze mois. Le 3 novembre 2019, alors qu'il se trouvait toujours en rétention administrative, M. A... a présenté une demande d'asile. Le 6 novembre 2019, le préfet de police a décidé de le maintenir en rétention pendant le temps nécessaire à l'instruction de sa demande de protection internationale par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (CNDA) et dans la perspective de son futur probable éloignement. Par un jugement n° 1923407 du 23 novembre 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête présentée par M. A... à l'encontre des décisions d'obligation de quitter le territoire français sans délai à destination de l'Algérie et d'interdiction de retour sur le territoire français pendant 12 mois. Par un jugement n° 1923920 du 10 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a, cependant, annulé la décision de maintien en rétention administrative. Le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement du 10 décembre 2019.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A... à l'appel formé par le préfet de police :

2. Aux termes des dispositions de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 761-3 à R. 751-4-1 ". En vertu de l'article R. 776-9 du code de justice administrative, le délai d'appel des jugements statuant sur des décisions de rétention administrative ou d'assignation à résidence est d'un mois. Aux termes de l'article R. 751-4-1 de du code de justice administrative : " (...) la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 (...) Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique ".

3. Il ressort de l'accusé de réception délivré par l'application informatique Télérecours que le préfet de police a consulté pour la première fois le jugement attaqué, le 12 février 2020. La requête en appel du préfet de police, enregistrée par le greffe de la Cour le 12 mars 2020, soit avant l'expiration du délai d'appel d'un mois courant à compter de la première consultation du jugement du 10 décembre 2019, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application Télérecours, est recevable alors même que les parties ont reçu notification du dispositif de ce jugement à l'issue de l'audience publique du 10 décembre 2019. Par suite, le moyen tiré de la tardiveté de la requête du préfet de police doit être écarté.

Sur le moyen d'annulation tiré de ce que la demande d'asile en rétention présentée par M. A... n'était pas déposée à des fins dilatoires :

4. Aux termes de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger placé en rétention en application de l'article L. 551-1 présente une demande d'asile, l'autorité administrative peut procéder pendant la rétention à la détermination de l'État membre responsable de l'examen de cette demande conformément à l'article L. 742-1 et, le cas échéant, à l'exécution d'office du transfert dans les conditions prévues à l'article L. 742-5. Si la France est l'État membre responsable de l'examen de cette demande et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ. (...). "

5. Il ressort des pièces du dossier que, suite à une acceptation de reprise en charge par les autorités allemandes, M. A... a fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Allemagne, prise par le préfet du Nord en date du 18 mars 2019 et qu'il a déclaré au cours de sa garde à vue du 30 octobre 2019 s'être soustrait à une précédente mesure d'obligation de quitter le territoire français en date du 3 juillet 2018 et avoir également présenté une demande d'asile en Suisse, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Par ailleurs, le préfet de police affirme sans être contredit que M. A... s'est vu délivrer une attestation de demande d'asile valable jusqu'au 26 août 2020 par les autorités néerlandaises. En outre, des recherches effectuées dans la base de données du fichier automatisé des empreintes digitales ont révélé que M. A... avait été signalé par les services de police pour des faits de soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France le 13 juin 2016 et pour vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu de dépôt le 8 mai 2018.

6. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que M. A... a déposé au moins deux demandes d'asile dans des États membres de l'espace Schengen autres que la France avant de déposer une nouvelle demande d'asile au centre de rétention de Vincennes, le 3 novembre 2019. Ses interpellations par la police française pour des délits commis sur le sol français en 2016 et 2018 et ses propres déclarations recueillies au cours de sa garde à vue du 30 octobre 2019 relatives à ses déplacements en Europe et, en particulier en Allemagne, tendent à démontrer qu'il ne séjournait plus dans son pays d'origine depuis au moins l'année 2016. Dans ces conditions, sa demande d'asile en rétention présentée le 3 novembre 2019, fondée sur des craintes de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Algérie a pu légalement être regardée par le préfet de police comme ayant été formée dans le seul but de faire échec à l'exécution d'une nouvelle mesure d'éloignement. Par conséquent, le préfet de police était fondé à maintenir en rétention M. A... dans la perspective d'organiser son éloignement du territoire français.

Sur les autres moyens soulevés dans la demande de première instance :

Sur l'absence de motivation et l'absence d'examen individuel de sa situation :

7. En premier lieu, l'arrêté contesté vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et en particulier l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à la situation de M. A.... Il précise que M. A... a refusé de se soumettre à l'identification sur la base " Eurodac ", qu'" entré en France en 2016 (selon ses déclarations) et y séjournant de façon irrégulière, il n'a entrepris aucune démarche en vue de formuler une demande d'asile et n'a présenté une telle demande qu'après son placement en rétention administrative ", que " l'intéressé n'a jamais fait état de risques encourus en cas de retour dans son pays d'origine préalablement à la prise de la mesure d'éloignement " et que l'intéressé " s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ". L'arrêté contesté comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.

8. En second lieu, il ressort de la motivation de l'arrêté en litige et des pièces du dossier que le préfet de police a procédé à un examen suffisant de la situation personnelle de M. A....

Sur la méconnaissance de l'article R. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

9. Aux termes, d'une part, de l'article R. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger maintenu en centre ou local de rétention administrative qui souhaite demander l'asile est informé, sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile, de ses droits et de ses obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ces obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande ". Aux termes, d'autre part, de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 : " aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".

10. M. A... soutient qu'il n'a pas reçu les informations qui doivent être données à un étranger souhaitant demander l'asile en application des dispositions de l'article R. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Toutefois, la méconnaissance, à la supposer établie, de la procédure relative à la demande d'asile d'un étranger placé en rétention administrative est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée portant maintien en rétention. Dès lors le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas reçu l'information prévue par les dispositions mentionnées plus haut ne peut qu'être écarté.

Sur la méconnaissance du droit à être entendu :

11. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne (C-383/13 PPU du 10 septembre 2013), une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. M. A... se borne à soutenir que son droit d'être entendu a été méconnu en ce qu'il n'a pas été mis en mesure, durant son audition en garde à vue, de faire part de ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, la décision de maintien en rétention n'a pas pour objet de l'éloigner vers son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe fondamental du droit d'être entendu tel qu'il est énoncé au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de maintien en rétention prise à l'encontre de M. A....

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. A... doivent dès lors être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1923920 du 10 décembre 2019 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris par M. A... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. A... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme C..., premier conseiller,

- M. Sibilli, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.

Le rapporteur,

I. C...Le président,

S.-L. FORMERYLa greffière,

C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA00953 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00953
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : HOUAM-PIRBAY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-10;20pa00953 ?
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