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29/04/2021 | FRANCE | N°20PA02794

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 29 avril 2021, 20PA02794


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite du 14 février 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté son recours gracieux contre la décision du 17 octobre 2018 rejetant ses demandes de nominations sur des offices d'huissiers à créer et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 893 560 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette décision illégale.

Par jugement n° 1907531/6-1 du 24 juillet 2020, le tribun

al administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite du 14 février 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté son recours gracieux contre la décision du 17 octobre 2018 rejetant ses demandes de nominations sur des offices d'huissiers à créer et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 893 560 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette décision illégale.

Par jugement n° 1907531/6-1 du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2020, M. B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1907531/6-1 du 24 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite du 14 février 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté son recours gracieux formé contre la décision du 17 octobre 2018 rejetant ses demandes de nomination sur des offices d'huissiers à créer ;

3°) d'enjoindre au ministre de la justice de réexaminer sa demande de nomination dans un délai de 2 mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 350 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'État à lui verser la somme de 1 893 560 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette décision illégale ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision implicite de rejet de son recours gracieux est insuffisamment motivée alors qu'il a sollicité la communication des motifs de cette décision implicite par courrier du 2 avril 2019 ;

- elle méconnait les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 dès lors que la garde des sceaux, ministre de la justice aggrave la sanction d'interdiction temporaire dont il a fait l'objet en lui infligeant la sanction de destitution ;

- la garde des sceaux, ministre de la justice ne pouvait sans méconnaître les dispositions de l'article 775-1 du code de procédure pénale se fonder sur des éléments qui avaient été supprimés de son casier judiciaire n°2 ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- l'illégalité fautive de la décision attaquée est de nature à engager la responsabilité de l'État qui devra l'indemniser de son préjudice financier qui s'élève à la somme de 1 888 560 euros et de son préjudice moral à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que les conclusions indemnitaires sont irrecevables faute de demande préalable d'indemnisation présentée par M. B....

Par ordonnance du 14 janvier 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 février 2021 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;

- le décret n°75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a présenté, les 1er et 2 février 2018, quatre demandes de nomination sur un office d'huissiers à créer dans les zones du Val-d'Oise, de Paris, de la Seine-Saint-Denis et de Haute-Garonne. Dans les zones du Val-d'Oise et de Paris, il a été classé quatrième au terme du tirage au sort, alors que le nombre de créations d'office était respectivement de quatre et de dix-sept. Toutefois, par courrier du 23 août 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a informé qu'elle envisageait de rejeter ses demandes de nominations dans un office à créer au motif qu'il ne remplissait pas les conditions générales d'aptitude aux fonctions d'huissier de justice. Après avoir recueilli les observations de M. B..., la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté ses demandes de nomination par une décision du 17 octobre 2018. Par un courrier réceptionné le 14 décembre 2018 par la garde des sceaux, le requérant a formé un recours gracieux contre cette décision. Ce recours a été implicitement rejeté par le silence gardé durant deux mois par la ministre de la justice. M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le rejet implicite de son recours gracieux et de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis en conséquence. Par un jugement n° 1907531/6-1 du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

3. Par suite, en application de ces principes ci-dessus rappelés, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision implicite du

14 février 2019 rejetant le recours gracieux formé par M. B... contre la décision du 17 octobre 2018 rejetant ses demandes de nomination sur des offices à créer, dès lors que le vice propre relatif au défaut de motivation ne pouvait être utilement contesté que contre la décision expresse initialement prise par l'autorité administrative.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de l'ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice : " Les peines disciplinaires sont : (...) / 5° L'interdiction temporaire ; / 6° La destitution ".

5. M. B... soutient que la décision implicite du 14 février 2019 attaquée méconnait les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 et expose, à l'appui de ce moyen, que la garde des sceaux, ministre de la justice, aggrave la sanction d'interdiction temporaire dont il a fait l'objet en lui infligeant cette fois une sanction de destitution. Cependant, comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges, cette décision qui confirme la décision du 17 octobre 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté ses demandes de nomination sur des offices à créer n'est pas de nature disciplinaire et ne peut donc être regardée comme une sanction de destitution qui serait infligée à l'intéressé. Ce moyen doit dès lors être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du décret n° 75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice : " Nul ne peut être huissier de justice, s'il ne remplit les conditions suivantes : 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ; (...) ". Selon les dispositions de l'article 775-1 du code de procédure pénale, " Le tribunal qui prononce une condamnation peut exclure expressément sa mention au bulletin n° 2 soit dans le jugement de condamnation, soit par jugement rendu postérieurement sur la requête du condamné instruite et jugée selon les règles de compétence et procédure fixées par les articles 702-1 et 703. Les juridictions compétentes sont alors composées conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 702-1. / L'exclusion de la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 emporte relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu'elles soient résultant de cette condamnation (...) ".

7. Contrairement à ce que soutient M. B..., la combinaison des dispositions précitées ne fait pas obstacle à ce que la garde des sceaux, ministre de la justice, puisse prendre en compte des éléments qui ont été supprimés de son casier judiciaire n°2 pour apprécier si les faits qui ont conduit à une condamnation, indépendamment de toute inscription au casier judiciaire, sont ou non contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs faisant obstacle à l'exercice de la profession d'huissier de justice. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

8. En dernier lieu, lorsqu'il vérifie le respect de la condition de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

9. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. B... l'ensemble de ses demandes de nomination sur un office à créer en qualité d'huissier de justice, la garde des sceaux, ministre de la justice a considéré qu'il avait commis des faits contraires à l'honneur et à la probité, en se fondant sur la circonstance que l'intéressé a été l'auteur de faits d'abus de confiance aggravés commis dans le cadre de ses fonctions d'huissier de justice sur la période du 1er janvier 2007 au 30 mai 2008 notamment par le détournement de fonds clients pour un montant de 218 185,35 euros, faits pour lesquels le requérant a été condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement assortie d'un sursis simple, à une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale en relation avec l'infraction pendant 5 ans ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts à la chambre régionale des huissiers de justice, par jugement du tribunal correctionnel de Châteauroux du 25 novembre 2009. Ces faits, dont la matérialité n'est pas contetée, ont également donné lieu à une sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer les fonctions d'huissier de justice pendant 5 ans par décision du tribunal de grande instance de Châteauroux du 8 juin 2010. De plus, il ressort du courrier du 9 août 2018 de la procureure générale près la cour d'appel de Bourges adressé à la garde des sceaux, ministre de la justice, qu'elle a émis un avis très défavorable à la nomination de M. B... dans un nouvel office en considérant que " celui-ci ne présentait aucunement les garanties d'honorabilité et d'honnêteté indispensables à la fonction d'officier public et ministériel ", qu'elle a également rappelé que " M. B... avait fourni des informations comptables erronées à son cessionnaire dans le cadre du projet de cession engagé " de son office d'huissier et a mentionné que le président de la chambre interdépartementale des huissiers de justice du Cher, de l'Indre et de la Nièvre a également exprimé sa désapprobation au projet du requérant de création d'un office eu égard notamment " au sinistre professionnel dont son ex-confère avait été responsable ".

10. M. B... soutient pour sa part qu'il n'a été que provisoirement suspendu de ses fonctions d'huissier, que les faits sont anciens, qu'ils ont déjà donné lieu à une condamnation et qu'il a fait montre dans son comportement postérieur du sérieux et de l'amendement nécessaires pour lui permettre de reprendre ses fonctions. Il ajoute qu'il fait preuve de la probité nécessaire pour lui permettre d'exercer les fonctions de clerc d'huissier, et se prévaut à cet égard du rejet de la demande de révocation formée par le procureur de la République quant à son habilitation aux dites fonctions par la présidente du tribunal de grande instance de Beauvais par ordonnance du 27 août 2015 aux motifs qu'il a produit " l'attestation de ses employeurs faisant état de leur connaissance de la situation personnelle de l'intéressé et soulignant la qualité de son travail, son expérience professionnelle et sa conduite exemplaire " et qui a considéré que " eu égard à l'amendement dont [il] fait preuve, que les conditions d'une révocation de l'habilitation de ce clerc aux constats (...) ne sont pas réunies ", décision confirmée par la Cour d'appel d'Amiens le 3 mars 2016. Il précise qu'il occupe un poste de clerc habilité aux constats pour lequel la chambre des huissiers ainsi que le tribunal de grande instance ont émis un avis favorable.

11. Toutefois, compte tenu de leur nature et de leur gravité, les faits mentionnés au point 7, qui se sont déroulés sur une période de près d'un an et demi justifient légalement les refus de nomination dans un office à créer d'huissier de justice contestés pris par la garde des sceaux, ministre de la justice quand bien même depuis sa condamnation le comportement exemplaire de M. B... lui a permis d'exercer les fonctions de clerc assermenté, fonctions qui s'effectuent toutefois en qualité de collaborateur de l'huissier de justice et donc sous sa surveillance et qui n'entrainent donc pas la responsabilité d'un office. Il suit de là que le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entachée la décision implicite du 14 février 2019 rejetant le recours gracieux formé contre la décision du 17 octobre 2018 doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation du refus de la garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer sur des offices d'huissiers à créer et a, en conséquence, également rejeté ses conclusions indemnitaires fondées sur l'illégalité alléguée de ce refus. Ses conclusions à fins d'annulation ne peuvent donc qu'être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction, de même que celles tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 1 893 560 euros en réparation des préjudices subis ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde ses sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20PA02794


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02794
Date de la décision : 29/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

55-02 Professions, charges et offices. Accès aux professions.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL CABARE-BOURDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-04-29;20pa02794 ?
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