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08/07/2021 | FRANCE | N°21PA00646

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 08 juillet 2021, 21PA00646


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2021621/8 du 21 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 18 décembre 2020, a enjoint au préfet de police de délivrer

à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2021621/8 du 21 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 18 décembre 2020, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. B... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à M. B... dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 février 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2021621/8 du 21 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

La parole a été donnée à M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan né en janvier 1983, s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile à Paris le 5 novembre 2020 où il a effectué une demande de protection internationale. La consultation du fichier Eurodac ayant permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités bulgares le 11 septembre 2020 et par les autorités autrichiennes le 13 octobre 2020, le préfet de police a saisi les autorités bulgares et les autorités autrichiennes d'une demande de reprise en charge le 18 novembre 2020. Les autorités autrichiennes ont refusé la reprise en charge de M. B... le 25 novembre 2020. Les autorités bulgares ont accepté la demande de reprise en charge le 20 novembre 2020. Par un arrêté du 18 décembre 2020, le préfet de police a ordonné le transfert de M. B... vers la Bulgarie. Par la présente requête, le préfet de police fait appel du jugement du 21 janvier 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Si la commission estime qu'un Etat membre a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé après avoir mis cet Etat en mesure de présenter ses observations ".

3. Pour annuler l'arrêté du préfet de police, le premier juge a estimé que l'engagement d'une procédure d'infraction à l'encontre de la Bulgarie par la commission européenne, sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le récit concordant de M. B... devaient être regardés comme constituant des raisons sérieuses de croire qu'il existe, dans cet Etat, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant.

4. Cependant, même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Bulgarie est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

5. Si la commission européenne a adressé le 8 novembre 2018 une lettre de mise en demeure à la Bulgarie concernant la mise en oeuvre de la législation de l'Union européenne en matière d'asile, elle n'a, ainsi que le fait valoir le préfet de police, donné aucune suite à cette lettre et n'a pas recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers cet Etat. Par ailleurs, si M. B... soutient avoir subi des violences physiques lors de son interpellation par les autorités bulgares et avoir été incarcéré pendant plusieurs mois dans des conditions d'hygiène précaires et de surpopulation présentant un caractère inhumain et dégradant, il n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations. Dès lors, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 décembre 2020 au motif qu'il aurait méconnu les dispositions et stipulations rappelées au point 2.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens invoqués par M. B...:

7. En premier lieu, l'article 4 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. B... s'est vu remettre le 5 novembre 2020 les brochures d'information " A " et " B " et le guide du demandeur d'asile rédigés en langue pachtou dont les copies versées au dossier comportent sa signature. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 manque en fait et doit être écarté.

9. En deuxième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du résumé de cet entretien, dûment signé par M. B..., que celui-ci a bénéficié d'un entretien individuel le 5 novembre 2020 et que cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la préfecture de police, identifié par ses initiales, qui doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien conformément aux exigences de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, alors même que son nom n'est pas précisé dans le résumé d'entretien et que sa signature n'y est pas apposée. En outre, si M. B... fait valoir que l'interprète n'a pas signé le résumé de l'entretien, aucune disposition n'impose cette formalité, le nom et les coordonnés de l'interprète y figurant par ailleurs. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". De même, aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".

12. Ainsi qu'il a été dit au point 5, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et celui tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 décembre 2020. Dès lors, il y a lieu d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2021621/8 du 21 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juillet 2021.

Le rapporteur,

F. A...

Le président,

J. C... La greffière,

A. LOUNISLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA00646 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00646
Date de la décision : 08/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : VALLEJO-FARGUES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-07-08;21pa00646 ?
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