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06/12/2021 | FRANCE | N°21PA03776

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 06 décembre 2021, 21PA03776


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 29 mai 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a fixé le pays à destination duquel il sera expulsé et la décision implicite du 27 septembre 2020 par laquelle il a refusé de retirer ou d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 16 septembre 2002 suite à la demande formée par l'intéressé par courrier du 23 juillet 2020 reçu le 27 juillet suivant.

Par un jugement nos 2011561, 2020053/4-2 du 17 juin 202

1, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 29 mai 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a fixé le pays à destination duquel il sera expulsé et la décision implicite du 27 septembre 2020 par laquelle il a refusé de retirer ou d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 16 septembre 2002 suite à la demande formée par l'intéressé par courrier du 23 juillet 2020 reçu le 27 juillet suivant.

Par un jugement nos 2011561, 2020053/4-2 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, un mémoire et des pièces enregistrés les 7 juillet et 27 et 28 octobre 2021 sous le n° 21PA03776, M. C..., représenté par Me Jaidane, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2011561, 2020053/4-2 du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 mai 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a fixé le pays à destination duquel il sera expulsé et la décision implicite du 27 septembre 2020 par laquelle il a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 16 septembre 2002 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de retirer l'arrêté du 16 septembre 2002 et, à titre subsidiaire, de l'abroger et, en tout état de cause, de retirer l'arrêté du 29 mai 2020 et de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, et, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, à lui-même en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas pris en compte la note en délibéré du 9 juin 2021 en méconnaissance des dispositions de l'article R. 731-3 du code de justice administrative ;

- il est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur de fait sur sa situation professionnelle, sur sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, ses relations avec les membres de sa famille et sur la menace à l'ordre public ;

- il est entaché d'un défaut de réponse au moyen tiré du défaut de motivation, au regard de l'intérêt supérieur des enfants, de l'arrêté du 29 mai 2020 fixant le pays à destination duquel il sera expulsé ;

- la décision du 27 septembre 2020 et le jugement méconnaissent les dispositions de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en considérant que la décision du ministre de l'intérieur est fondée ;

- la décision du 27 septembre 2020 est entachée d'erreurs de fait s'agissant de sa situation professionnelle, de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, de ses relations avec les membres de sa famille et de l'existence d'une menace à l'ordre public ;

- la décision du 27 septembre 2020 et le jugement attaqué méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté du 29 mai 2020 fixant le pays à destination duquel il sera expulsé est insuffisamment motivé au regard de l'intérêt supérieur des enfants ;

- il a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors que n'est pas établie la réalité de la notification du courrier afin de recueillir ses observations sur le choix de la Tunisie comme pays vers lequel il devra être renvoyé en exécution de l'arrêté du 16 septembre 2002 ;

- par l'effet dévolutif de l'appel, la Cour examinera l'ensemble des moyens qu'il a développés devant elle et devant le tribunal administratif de Paris et joint sa requête de première instance.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

II. Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrées les 7 juillet et 27 et

28 octobre 2021 sous le n° 21PA03777, M. C..., représenté par Me Jaidane, demande à la Cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement nos 2011561, 2020053/4-2 du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de retirer l'arrêté du 16 septembre 2002 et, à titre subsidiaire, de l'abroger et, en tout état de cause, de retirer l'arrêté du 29 mai 2020 et de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, et en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, à lui-même en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de sursis à exécution est recevable en application de l'article R. 811-17 du code de justice administrative dès lors que l'expulsion aurait des conséquences difficilement réparables sur ses enfants, sur sa vie privée et familiale ;

- les moyens présentés à l'encontre du jugement attaqué et des décisions attaquées sont sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jaidane, avocat de M. C....

Deux notes en délibéré, présentées pour M. C..., ont été enregistrées le

30 novembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées nos 21PA03776 et 21PA03777 présentées pour M. C... présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. C..., ressortissant tunisien né le 17 juillet 1978, entré en France en 1980, a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion pris à son encontre par le ministre de l'intérieur le 16 septembre 2002. Par un arrêté du 29 mai 2020, le ministre de l'intérieur a fixé la Tunisie comme pays à destination duquel il sera expulsé. Par jugement nos 2011561, 2020053/4-2 du 17 juin 2021, dont M. C... relève appel par la requête n° 21PA03776, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux décisions précitées. Par la requête n° 21PA03777, il demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement contesté.

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président (...) ".

4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Sur la requête n° 21PA03776 :

Sur la régularité du jugement :

5. En premier lieu, lorsque le juge administratif est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il lui appartient dans tous les cas d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office. En l'espèce, la note en délibéré que M. C... a produite, après la séance publique mais avant la lecture du jugement, a été enregistrée au greffe du tribunal administratif et versée au dossier. En se bornant à la viser sans prendre en compte son contenu, le jugement, qui n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 5 du code de justice administrative selon lesquelles " l'instruction des affaires est contradictoire " n'a, en tout état de cause, porté aucune atteinte au droit ouvert aux parties d'adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré par l'article R. 731-3 du code de justice administrative.

6. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier sur sa situation professionnelle, sur sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, ses relations avec les membres de sa famille et sur la menace à l'ordre public n'est pas susceptible d'être utilement soulevé devant le juge d'appel mais seulement devant le juge de cassation. Par suite, le moyen, qui est inopérant, doit être écarté.

7. En troisième lieu, la régularité d'un jugement ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs. Dès lors, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'erreurs de fait doit être écarté.

8. En dernier lieu, si M. C... soutient que le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation sur le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 29 mai 2020 fixant le pays à destination duquel il sera expulsé au regard de l'intérêt supérieur des enfants, moyen qui peut être requalifié comme une omission à statuer dont serait entaché le jugement contesté. Il ressort, D..., de ce jugement que les premiers juges ont, au point 14, répondu au moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté et la circonstance qu'ils n'aient pas retenu que cet arrêté, suffisamment motivé en droit et en fait, ne faisait pas référence à l'intérêt supérieur des enfants, n'est pas de nature à permettre de considérer que le jugement serait entaché d'une omission à statuer sur un moyen de nature à entacher d'irrégularité ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur la légalité de la décision implicite du 27 septembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de retirer ou d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. C... :

9. Aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa numérotation alors en vigueur : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 524-3 du même code dans sa numérotation alors en vigueur : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cet arrêté que si le ressortissant étranger réside hors de France. D..., cette condition ne s'applique pas : 1° Pour la mise en œuvre de l'article L. 524-2 ; 2° Pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine d'emprisonnement ferme ; 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence pris en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 523-5 ". Aux termes de l'article L. 523-3 du même code dans sa numérotation alors en vigueur : " L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion et qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français en établissant qu'il ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays peut faire l'objet d'une mesure d'assignation à résidence dans les conditions prévues à l'article L. 513-4. Les dispositions de l'article L. 624-4 sont applicables. / La même mesure peut, en cas d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, être appliquée aux étrangers qui font l'objet d'une proposition d'expulsion. Dans ce cas, la mesure ne peut excéder un mois ". Aux termes de l'article L. 523-3 du même code dans sa numérotation alors en vigueur : " Peut également faire l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence l'étranger qui a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion non exécuté lorsque son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. Cette mesure est assortie d'une autorisation de travail. Les obligations de présentation aux services de police et aux unités de gendarmerie prévues à l'article L. 513-4 ainsi que les sanctions en cas de non-respect des prescriptions liées à l'assignation à résidence prévues à l'article L. 624-4 sont applicables ". Aux termes de l'article L. 523-5 du même code dans sa numérotation alors en vigueur : " Peut également faire l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence, à titre probatoire et exceptionnel, l'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion prononcée en application de l'article L. 521-2. Cette mesure est assortie d'une autorisation de travail. Elle peut être abrogée à tout moment en cas de faits nouveaux constitutifs d'un comportement préjudiciable à l'ordre public. Les obligations de présentation aux services de police et aux unités de gendarmerie prévues à l'article L. 513-4 ainsi que les sanctions en cas de non-respect des prescriptions liées à l'assignation à résidence prévues à l'article L. 624-4 sont applicables ".

10. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public, sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée. D..., si le ressortissant étranger réside en France et ne peut invoquer le bénéfice des exceptions définies par l'article L. 524-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale a compétence liée pour rejeter la demande d'abrogation présentée.

11. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. C... a demandé, par courrier du 23 juillet 2020 reçu le 27 juillet suivant, au ministre de l'intérieur de retirer ou d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 16 septembre 2002 soit plus de deux mois après la notification de cet arrêté. D'autre part, il est constant que M. C..., dont la détention a pris fin le 2 juin 2020, ne réside pas hors de France. Enfin, si le préfet des Alpes-Maritimes l'a assigné à résidence, le 2 juillet 2020, pour une durée de 45 jours renouvelable, cet arrêté a été pris uniquement parce qu'il n'était pas en mesure de quitter immédiatement le territoire français et non pas pour les motifs prévus par les articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 523-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa numérotation alors en vigueur. Il s'ensuit que si le ministre de l'intérieur était tenu de rejeter sa demande de retrait ou d'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 16 septembre 2002, les moyens selon lesquels le refus d'abrogation est entaché d'erreurs de fait, méconnaîtrait les dispositions de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont néanmoins opérants.

12. En premier lieu, aux termes de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ; (...) Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci ". Aux termes de l'article 7 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, intitulé " Droit de séjour de plus de trois mois " : " 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de séjourner sur le territoire d'un autre État membre pour une durée de plus de trois mois : (...) b) s'il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil au cours de son séjour, et d'une assurance maladie complète dans l'État membre d'accueil (...) 2. Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s'étend aux membres de la famille n'ayant pas la nationalité d'un État membre lorsqu'ils accompagnent ou rejoignent dans l'État membre d'accueil le citoyen de l'Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c) ". Ces dispositions combinées, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, confèrent au ressortissant mineur d'un Etat membre, en sa qualité de citoyen de l'Union, ainsi que, par voie de conséquence, au ressortissant d'un Etat tiers, parent de ce mineur et qui en assume la charge, un droit de séjour dans l'Etat membre d'accueil à la double condition que cet enfant soit couvert par une assurance maladie appropriée et que le parent qui en assume la charge dispose de ressources suffisantes. L'Etat membre d'accueil, qui doit assurer aux citoyens de l'Union la jouissance effective des droits que leur confère ce statut, ne peut refuser à l'enfant mineur, citoyen de l'Union, et à son parent, le droit de séjourner sur son territoire que si l'une au moins de ces deux conditions, dont le respect permet d'éviter que les intéressés ne deviennent une charge déraisonnable pour ses finances publiques, n'est pas remplie.

13. En sa qualité de père de deux enfants mineurs de nationalité française, qui à la date de la décision du 27 septembre 2020 étaient citoyens de l'Union européenne, M. C... pouvait prétendre au droit de séjourner en France, Etat membre d'accueil, sous la double condition de disposer de ressources suffisantes et d'une couverture maladie appropriée. D..., il n'établit ni même n'allègue que ces deux conditions seraient remplies. Par suite, ni le jugement attaqué ni la décision du 27 septembre 2020 contestée ne méconnaissent les dispositions de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

14. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France en 1980 à l'âge de deux ans. Ses parents et ses frères et sœurs, qui ont la nationalité française, résident sur le territoire français. S'il était célibataire et sans charge de famille, le 16 septembre 2002, date à laquelle le ministre de l'intérieur a pris à son encontre l'arrêté d'expulsion dont il a demandé l'abrogation, il est père de deux enfants français, nés les 17 septembre 2015 et 12 mai 2019, qu'il a eus avec une ressortissante française. M. C..., dont la détention a pris fin le 2 juin 2020, après avoir fait l'objet de 17 condamnations pénales pour un quantum total de peine de 22 ans et un mois d'emprisonnement entre 1996 et 2015, se prévaut de la circonstance qu'il a pu bénéficier pendant sa détention selon l'attestation établie par la mère de ses enfants de " 21 parloirs " Unité de visites familiales " (16 à Avignon Le Pontet et 5 à Toulon la Farlède) ainsi que de visites bi-mensuelles au Relais Parents depuis décembre 2018, en plus des parloirs familles réguliers ". Il fait valoir qu'il est pleinement investi tous les jours avec ses enfants comme l'atteste la mère de ces derniers, que les résultats scolaires de son fils B... en grande section se sont améliorés depuis son retour de détention, qu'il a été désigné comme responsable légal sur les fiches d'inscription scolaire de B... pour les années 2019/2020 et 2020/2021 et que postérieurement à la décision du 29 mai 2020, il lui a été délivré un justificatif de déplacement scolaire pour aller le chercher. Il ajoute que pendant qu'il était encore incarcéré, il a fait acheter des jouets à Noël pour ses enfants et produit de nombreuses photographies de famille prises à différents moments de l'année, au domicile conjugal, montrant ses enfants épanouis à ses côtés. Il soutient qu'il est totalement investi et contribue pleinement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. D..., M. C... a été écroué depuis 2011 et n'a été libéré que le 2 juin 2020. Il n'a donc jamais vécu jusqu'à cette date avec ses enfants auxquels il n'établit pas avoir contribué financièrement à leur entretien pendant cette période. De plus, il ne peut, par les éléments qu'il produits, être regardé comme établissant à la date de la décision contestée contribuer à leur éducation. Par ailleurs, s'agissant de sa situation professionnelle, si M. C... établit avoir suivi des formations et des stages en détention, et notamment en 2012-2013 une formation qualifiante en second œuvre bâtiment, en avril 2014 en qualité d'agent de propreté et d'hygiène, en avril 2015 en " soudage-tuyauterie " et en juillet 2015 en qualité de soudeur, il est constant qu'à la date de la décision contestée, il n'exerçait aucune activité professionnelle. Il produit deux promesses d'embauche, qui sont postérieures à cette décision, pour un poste de vendeur et une autre qui lui a été faite le 21 octobre 2021 par la Sas Natrans, entreprise spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers de fret de proximité. S'agissant de la menace à l'ordre public que représente sa présence en France, il ressort des pièces du dossier que les dix-sept condamnations pénales dont M. C... a fait l'objet ont été prononcées pour des faits de recel de bien provenant d'un vol, d'extorsion par violence, menace ou contrainte et dégradation ou détérioration d'un monument ou objet d'utilité publique, de vol et dégradation ou détérioration grave d'un bien appartenant à autrui, de refus d'obtempérer à une sommation du conducteur d'un véhicule de s'arrêter et mise en danger d'autrui, de violence sur une personne chargée de mission de service public, de menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, d'extorsion par violence, menace ou contrainte et violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, de menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, de port prohibé d'arme, d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, de rébellion, d'offre ou cession de stupéfiants, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement et d'évasion lors d'une permission de sortie. La dernière peine de six mois d'emprisonnement qui a été prononcée contre lui le 1er juin 2015 par le tribunal correctionnel d'Avignon concernait des faits de récidive de menace de crime ou délit contre les personnes et les biens à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique commis en 2013. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu du nombre et de la gravité des infractions commises par M. C..., de la faiblesse des liens établis avec ses enfants pendant son incarcération, du caractère trop récent des liens dont il se prévaut après son incarcération et son absence d'insertion professionnelle à la date de la décision attaquée, le refus d'abrogation de la mesure d'expulsion n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public et n'est pas davantage entaché d'erreurs de fait. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que M. C... peut être regardé comme soulevant contre le jugement contesté et la décision implicite du 27 septembre 2020 attaquée, et des erreurs de fait dont serait entachée la décision implicite du 27 septembre 2020 doivent ainsi être écartés.

Sur l'arrêté du 29 mai 2020 fixant la Tunisie comme pays de destination :

16. En premier lieu, l'arrêté vise notamment les articles L. 513-2 et L. 523-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et indique que M. C... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Par suite, il comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ainsi, et alors même que ces motifs ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressé et notamment la question de l'intérêt supérieur des enfants. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté ne peut qu'être écarté.

17. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... produit lui-même, en pièce jointe numéro 2, à l'appui de la requête introductive d'instance enregistrée le 27 novembre 2020 par le tribunal administratif de Paris sous le n° 2020053, la fiche qu'il a refusée de signer mais qui mentionne qu'elle lui a été notifiée le 26 mai 2020 à 8h38 par laquelle il a notamment été invité à formuler ses observations sur le choix de la Tunisie comme pays vers lequel il devra être renvoyé en exécution de l'arrêté du 29 mai 2020. Dès lors, le moyen tiré d'une violation du principe du contradictoire doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions formulées dans la requête n° 21PA03776 tendant à l'annulation du jugement du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Paris, de l'arrêté du 29 mai 2020 du ministre de l'intérieur et de la décision implicite du 27 septembre 2020 ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte.

Sur la requête n° 21PA03777 :

19. Le présent arrêt statuant sur l'appel présenté par M. C... contre le jugement du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête n°21PA03777 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance :

20. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, les sommes que demande M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'aide juridictionnelle à titre provisoire est accordée à M. C....

Article 2 : La requête n° 21PA03776 de M. C... est rejetée.

Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de M. C... enregistrée sous le n°21PA03777 aux fins de sursis à exécution du jugement n° 2011561, 2020053 du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Paris et sur ses conclusions à fin d'injonction.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n°21PA03777 est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2021.

La rapporteure,

A. COLLET Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 21PA03776, 21PA03777 10


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03776
Date de la décision : 06/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. - Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : JAIDANE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-06;21pa03776 ?
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