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07/12/2021 | FRANCE | N°21PA04424

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 07 décembre 2021, 21PA04424


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 26 mai 2021 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 2112249/8 du 29 juin 2021, le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire (article 1er), a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dan

s un délai de quinze jours, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 26 mai 2021 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 2112249/8 du 29 juin 2021, le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire (article 1er), a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du

10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 août 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 29 juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le Président du tribunal administratif a fait droit au moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2021, M. B..., représenté par

Me Lefort, demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de police ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., se disant ressortissant guinéen, né le 22 août 1999, qui est entré irrégulièrement sur le territoire français, a, le 23 février 2021, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait présenté une demande d'asile en Espagne, le 9 avril et le 10 juin 2019, le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de reprise en charge de M. B... sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces autorités ayant accepté de le reprendre en charge, le préfet de police a décidé le transfert de M. B... par un arrêté du 26 mai 2021 dont M. B... a demandé l'annulation au Tribunal administratif de Paris. Le préfet de police fait appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, visée ci-dessus : " Dans les cas d'urgence (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'admettre, à titre provisoire, M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions de la requête du préfet de police :

4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) "

5. Pour annuler l'arrêté du préfet de police du 26 mai 2021 décidant le transfert de

M. B..., le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur les certificats médicaux produits par M. B..., et a estimé qu'il présente des troubles psychiatriques sévères nécessitant un traitement pharmacologique et un suivi hebdomadaire. Il a également estimé qu'un transfert vers l'Espagne serait susceptible d'entraîner, au moins à court terme, un arrêt de son traitement, et donc des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'en l'absence de tout élément au dossier permettant de s'assurer qu'un suivi équivalent pourrait être mis en place en Espagne, le préfet de police a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions citées ci-dessus.

6. Pour contester ce jugement, le préfet de police fait valoir à bon droit que les certificats médicaux produits par M. B... sont insuffisamment précis et circonstanciés pour établir le caractère de sévérité des troubles psychiatriques et la nature du traitement, qu'ils mentionnent. M. B... n'a d'ailleurs jamais invoqué son état de santé dans le cadre de sa demande d'asile, notamment au cours de l'entretien dont il a bénéficié le 23 février 2021, et a, à l'issue duquel il a déclaré sur l'honneur que l'ensemble des renseignements mentionnés dans le compte-rendu de cet entretien qu'il a signé était exact. Le préfet de police est, dans ces conditions, fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le Président du tribunal administratif s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus pour annuler son arrêté du

26 mai 2021.

7. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris, et en appel.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

8. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00377 du 30 avril 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-202 de la préfecture de Paris du même jour, le préfet de police a donné délégation à Mme D... A..., adjointe au chef du 12ème bureau, pour signer tous actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles la police des étrangers. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit donc être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

10. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de

M. B..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités espagnoles, que ces autorités, saisies d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) (b) de ce règlement, ont, le 15 avril 2021, accepté de le reprendre en charge en application de l'article 18 (1) (d) du même règlement, qu'il ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3 et 17 du règlement, qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités espagnoles. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées ci-dessus.

11. En troisième lieu, il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté en litige, rappelée ci-dessus, que le préfet de police ne se serait pas livré à un examen complet de la situation de

M. B....

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " 1. Droit à l'information : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre en temps utile, le

23 février 2021, le guide du demandeur d'asile, les brochures " A " et " B " ainsi que la brochure " Eurodac ", en langue française qu'il a déclaré comprendre, et que ces documents étaient complets. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel le 23 février 2021 dans les locaux de la préfecture de police, et qu'un résumé de cet entretien a été établi le jour même. Cet entretien a été mené par un agent de la direction de la police générale de la préfecture de police. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. M. B... ne saurait utilement se plaindre de ce que le nom et la qualité de cette personne ne sont pas mentionnés dans le compte rendu qui ne comporte qu'un cachet sécurisé numéroté. L'entretien doit de même être regardé comme s'étant déroulé dans des conditions en garantissant la confidentialité.

Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE)

n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 mai 2021 décidant la remise de M. B... aux autorités espagnoles.

Sur les conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : M. B... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2112249/8 du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 29 juin 2021 sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... B... et à Me Lefort.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2021.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

T. CELERIER

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 21PA04424


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04424
Date de la décision : 07/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : LEFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-07;21pa04424 ?
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