La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/02/2022 | FRANCE | N°21PA03818

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 03 février 2022, 21PA03818


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D..., M. B... D... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de donner acte à M. B... D... de son désistement et d'annuler l'arrêté du 7 août 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a mis en demeure l'indivision D..., propriétaire des parcelles AY47, AY48 et AY53, situées 191-197 rue Etienne Marcel à Montreuil (93100), de procéder au retrait et à la destruction ou à la revalorisation des déchets entreposés sur les parcelles susmentionnées dans des centres

agréés à cet effet dans un délai de trois mois, sous peine de consignation d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D..., M. B... D... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de donner acte à M. B... D... de son désistement et d'annuler l'arrêté du 7 août 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a mis en demeure l'indivision D..., propriétaire des parcelles AY47, AY48 et AY53, situées 191-197 rue Etienne Marcel à Montreuil (93100), de procéder au retrait et à la destruction ou à la revalorisation des déchets entreposés sur les parcelles susmentionnées dans des centres agréés à cet effet dans un délai de trois mois, sous peine de consignation d'une somme entre les mains d'un comptable public et de paiement d'une amende administrative en application de l'article L. 541-3 du code de l'environnement.

Par un jugement n° 2000852 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a donné acte à M. B... D... de son désistement et a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 8 juillet et 27 octobre 2021, Mme A... D..., représentée par Me Coutadeur, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000852 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a capacité à agir au nom de l'indivision ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- l'administration ne démontre pas être intervenue auprès de la société D... AMM Industrie, qui était l'exploitant de l'usine, ni avoir mis en œuvre tous les moyens à sa disposition prévus par l'article L. 541-3 du code de l'environnement à l'encontre de cette société ;

- elle n'a commis aucune négligence à l'égard des déchets abandonnés sur le terrain ;

- à supposer même qu'il y ait eu négligence, elle était indépendante de sa volonté.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2021, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la capacité à agir de la seule Mme D... au nom de l'indivision est incertaine, en application de l'article 815-3 du code civil, dès lors que le jugement a donné acte à M. B... D... de son désistement en première instance ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gobeill,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,

- et les observations de Me Berthiaux substituant Me Coutadeur, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. La société D... AMM Industrie a exploité, de 2005 à 2015, sur un terrain appartenant à l'indivision D..., situé au 191-197 rue Etienne Marcel à Montreuil, une installation classée pour la protection de l'environnement soumise à autorisation pour une activité de traitement de surface de pièces métalliques. A la suite du placement de cette société en liquidation judiciaire le 28 décembre 2015, le préfet de la Seine-Saint-Denis a, par un arrêté préfectoral n° 2016-0182 du 20 janvier 2016, prescrit au liquidateur judiciaire de procéder à la mise en sécurité du site et, en particulier, à l'élimination des déchets stockés sur les parcelles AY47, AY48 et AY53 dans un délai d'un mois. Le 27 juin 2016, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné récépissé au liquidateur judiciaire de sa déclaration de cessation totale des activités de la SARL D... AMM Industrie. Par jugement du 22 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Bobigny a prononcé la clôture de la procédure de liquidation de la SARL D... AMM Industrie pour insuffisance d'actifs, sans que les obligations mentionnées ci-dessus n'aient été exécutées. Par un arrêté n° 2019-2181 du 7 août 2019, le préfet a mis en demeure les membres de l'indivision D..., propriétaire du terrain, de procéder à l'évacuation des déchets litigieux. Par un jugement du 5 mai 2021 dont Mme A... D... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête de l'indivision D... contre cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :

2. Mme D... a, en sa qualité de propriétaire du terrain dont s'agit et sans qu'il soit besoin d'un mandat délivré par les autres propriétaires indivisaires, qualité pour relever appel du jugement par lequel le tribunal administratif a, après avoir donné acte du désistement de l'un des demandeurs, membre de l'indivision, rejeté la demande dirigée contre la mise en demeure faite par l'administration aux propriétaires indivisaires du terrain de procéder à l'évacuation de produits dangereux de ce terrain.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 541-2 du code de l'environnement : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. (...). ". Aux termes de l'article L. 541-3 du même code dans sa version alors applicable : " I.- Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. ". L'article R. 541-12-16 du même code dispose : " Sans préjudice de dispositions particulières, lorsque les dispositions du présent titre s'appliquent sur le site d'une installation classée pour la protection de l'environnement, l'autorité titulaire du pouvoir de police mentionnée à l'article L. 541-3 est l'autorité administrative chargée du contrôle de cette installation. ".

4. En l'absence des producteurs ou autres détenteurs connus des déchets déposés sur un site industriel, le propriétaire du terrain, s'il ne peut en cette seule qualité être soumis à des obligations de remise en état au titre de la police des installations classées, peut, le cas échéant, être regardé comme le détenteur des déchets, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, et être de ce fait assujetti à l'obligation de les éliminer, au titre de la police des déchets, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d'une part, l'existence de ces déchets et, d'autre part, que la personne ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas ou plus en mesure de satisfaire à ses obligations. Il en résulte que le propriétaire d'un ancien site industriel peut être tenu, dans les conditions et limites qui viennent d'être rappelées, d'éliminer les déchets présents sur le site, au titre de la police des déchets.

5. La décision contestée mentionne que l'évacuation ou l'élimination des produits dangereux et des déchets présents sur le site n'a pas été effectuée, que l'exploitant est défaillant du fait de la radiation de la société D... AMM Industries du registre du commerce, que les membres de l'indivision D..., propriétaires du site, résident sur place et ont donc connaissance de la présence des déchets et des risques afférents et que le site est de ce fait considéré comme surveillé.

6. Il est constant que la société D... AMM Industrie, dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actifs par jugement du 22 décembre 2017 du tribunal de commerce de Bobigny, n'était plus, à la date de la décision contestée, en mesure de satisfaire à ses obligations d'élimination des déchets que son activité a produits.

7. Mme D... soutient qu'on ne lui peut reprocher aucune négligence, l'autorité de police n'ayant pas été diligente pour prendre les mesures à l'égard de l'exploitant avant de mettre en demeure l'indivision.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions des jugements du 8 mars 2010 et du 9 juin 2015 du tribunal de grande instance de Bobigny rendus suite à la contestation par l'exploitant du commandement de payer et du congé sans offre de renouvellement délivrés par la famille D..., que l'existence de la pollution du site était établie depuis " au moins vingt ans " au 15 février 1999 selon une expertise réalisée alors et confirmée ensuite en 2009 par un bureau d'études. Après qu'un procès-verbal a été dressé le 25 février 2010 pour inobservation des dispositions de l'article R. 514-4 du code de l'urbanisme, notamment pour dépassement des teneurs en chrome et en cyanure dans les eaux et pour absence de mise en place d'un réseau séparatif des eaux, et qu'une mise en demeure a été faite le 13 avril 2010 à l'exploitant de procéder la séparation du réseau d'évacuation des eaux industrielles du réseau des eaux domestiques dans un délai de deux mois, le préfet s'est borné le 4 novembre 2010 à lui rappeler son obligation de respecter la mise en demeure, le 16 mars 2012 à lui demander de mettre son exploitation en conformité et, le 15 janvier 2013 et le 24 avril 2013, à l'informer de constats d'un risque sanitaire et d'un risque de pollution. Après que par un jugement du 9 juin 2015, le tribunal de grande instance de Bobigny eut prononcé, à la demande de la famille D..., l'expulsion de l'exploitant et l'obligation pour ce dernier de procéder aux opérations de dépollution du site dans un délai de douze mois, et alors que les propriétaires ont, le 11 août 2015, appelé l'attention du préfet de la Seine-Saint-Denis sur la nécessité de faire exécuter ce jugement compte tenu des risques sanitaires, le préfet a pris, le 20 janvier 2016, postérieurement au placement de la société en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny le 28 décembre 2015, un arrêté imposant au liquidateur de prendre des mesures d'urgence pour la mise en sécurité du site, auquel ce dernier a répondu le 28 janvier suivant que le caractère impécunieux de la liquidation judiciaire ne lui permettait pas de prendre les mesures. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a remis un récépissé de fin d'activité le 27 juin 2016, avant que par un jugement du 22 décembre 2017, le tribunal de commerce de Bobigny ne prononce la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actifs. Suite à de nouvelles inspections diligentées seulement le 15 mai 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pris la décision contestée le 7 août 2019. Dans ces circonstances, alors que, d'une part, la situation de pollution des terrains était de longue date connue de l'administration et que celle-ci s'est abstenue de prendre les mesures qu'appelait cette situation et, que, d'autre part, les propriétaires ont, ainsi qu'il a été dit, attiré l'attention de l'administration au plus tard dès le 11 août 2015 sur les risques liés à la pollution affectant les terrains, les faits de l'espèce n'établissent pas l'existence d'une négligence de la part des propriétaires des terrains, nonobstant la circonstance que ceux-ci habitaient sur les lieux, de nature à les faire regarder, pour l'application des dispositions de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, comme étant les détenteurs des déchets et, par suite, comme assujettis à l'obligation d'éliminer ces déchets.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Le jugement du 5 mai 2021 et la décision du 7 août 2019 doivent donc être annulés.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2000852 du 5 mai 2021 et l'arrêté du 7 août 2019 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.

Le rapporteur,

J.-F. GOBEILL

Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N° 21PA03818


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03818
Date de la décision : 03/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-04-045-02 Urbanisme et aménagement du territoire. - Autorisations d`utilisation des sols diverses. - Régimes de déclaration préalable. - Déclaration de travaux exemptés de permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : SEP LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-02-03;21pa03818 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award