La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/04/2022 | FRANCE | N°21PA00220

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 11 avril 2022, 21PA00220


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à titre principal, de condamner la commune de Farino à faire réaliser les travaux permettant de mettre fin aux dommages qu'elle subit en raison des conditions d'entretien de la route qui borde sa propriété, ou à titre subsidiaire de condamner la commune de Farino à lui verser la somme totale de 8 940 259 francs Pacifique au titre des travaux qu'elle devrait engager pour mettre fin à ces dommages et au titre des troubles de jouissance

.

Par un jugement n° 2000213 du 26 novembre 2020, le tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à titre principal, de condamner la commune de Farino à faire réaliser les travaux permettant de mettre fin aux dommages qu'elle subit en raison des conditions d'entretien de la route qui borde sa propriété, ou à titre subsidiaire de condamner la commune de Farino à lui verser la somme totale de 8 940 259 francs Pacifique au titre des travaux qu'elle devrait engager pour mettre fin à ces dommages et au titre des troubles de jouissance.

Par un jugement n° 2000213 du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté les demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 janvier 2021 et 14 mai 2021, Mme C..., représentée par Me Charlier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Farino la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance n'était pas tardive et était donc recevable ;

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas examiné, après avoir écarté la responsabilité sans faute de la commune, les fautes qu'elle invoquait à titre subsidiaire ; il n'a pas davantage examiné ses conclusions subsidiaires tendant au versement d'une indemnité ;

- les premiers juges se sont prononcés sans avoir une connaissance suffisante des faits et auraient dû ordonner une mesure d'expertise ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la responsabilité de la commune de Farino, en omettant de prendre en compte l'intégralité de la voie publique, y compris ses bas-côtés ; ils ont à tort estimé que le préjudice qu'elle subit n'est pas anormalement grave en ne retenant que l'accumulation de terre en pied de clôture, et non son préjudice global ;

- la responsabilité sans faute de la commune est engagée pour dommages de travaux publics à l'égard des tiers ; les dommages qu'elle subit présentent un caractère anormal et spécial, dès lors qu'elle ne peut que difficilement accéder à sa propriété du fait du rehaussement de la voie publique et que les eaux pluviales dégradent de façon importante sa clôture, son terrain ainsi que les fondations de sa maison ;

- les dommages qu'elle subit sont établis par des constats d'huissier, qui montrent les difficultés d'accès à son terrain et les détériorations résultant de l'écoulement des eaux pluviales ;

- elle est fondée à demander la condamnation de la commune à la réalisation de travaux permettant de remédier à ces dommages, ou à défaut au versement d'une indemnité correspondant au coût de tels travaux ; il y a ainsi lieu de mettre en place un ouvrage de collecte des eaux pluviales, de déposer la terre accumulée le long de la clôture de sa propriété et d'abaisser la voie publique ; à titre subsidiaire, ces travaux pourront être évalués à la somme de 7 940 259 francs Pacifique ;

- elle subit un préjudice de jouissance qui doit être évalué à la somme de 1 000 000 francs Pacifique ;

- la responsabilité pour faute de la commune est engagée ; l'absence de système de collecte des eaux pluviales sur une voie en pente et en surplomb d'un terrain bâti, ainsi que le rehaussement de cette voie, révèlent une faute dans la conception et l'entretien de l'ouvrage public ; la commune doit par suite être condamnée à réaliser les travaux permettant de mettre un terme aux dommages, ou à défaut à lui verser la somme de 8 940 259 francs Pacifique, correspondant au coût de ces travaux et à son trouble de jouissance.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2021, la commune de Farino, représentée par Me de Greslan, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 500 000 francs Pacifique soit mise à la charge de Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 4 octobre 2021.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... est propriétaire d'un terrain situé au sein du lotissement Les Hauts de Farino, à Farino, en Nouvelle-Calédonie, et elle y a fait construire une maison au début des années 1990. Estimant que sa propriété subit depuis plusieurs années des dommages résultant des conditions d'entretien de la route municipale VU7, qui longe sa parcelle, elle a demandé à la commune de Farino, par courrier du 24 juillet 2019, d'entreprendre des travaux permettant de remédier aux désordres (réalisation d'un ouvrage de collecte des eaux pluviales, remise en état du bas-côté de la route afin de lui restituer son niveau initial et abaissement du niveau de la voie devant son portail d'entrée) ou, à défaut, de lui verser la somme de 8 940 259 francs Pacifique correspondant aux travaux privés à mener sur son propre terrain. Elle demande à la cour d'annuler le jugement du 26 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Farino aux mêmes fins.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, Mme C... soutient que le jugement a omis de statuer sur ses conclusions, présentées à titre subsidiaire, tendant à ce que la commune de Farino soit condamnée à l'indemniser sur le fondement de la responsabilité pour faute. Toutefois, il résulte des termes de celui-ci que les premiers juges, après avoir explicitement mentionné au premier point l'ensemble des conclusions, principales et subsidiaires, de la requérante, a estimé, s'agissant du régime de responsabilité applicable à sa demande, qu'elle n'avait pas à démontrer la commission d'une faute par la collectivité dès lors qu'elle avait la qualité de tiers, étant riveraine de l'ouvrage public dont le fonctionnement était mis en cause, et qu'elle ne pouvait par suite obtenir réparation qu'en démontrant l'existence d'un lien de causalité entre les dommages invoqués et l'ouvrage, ainsi que le caractère grave et spécial de ces dommages. Les premiers juges ont enfin considéré que la réalité de certains dommages n'était pas établie, que d'autres ne pouvaient être regardés comme résultant de l'existence de la voie publique, et que le seul dommage résultant selon eux du fonctionnement de la route municipale était trop mineur pour excéder les inconvénients que doivent normalement supporter les riverains d'une voie publique. Ils ont ainsi nécessairement statué sur l'ensemble des conclusions, principales et subsidiaires, présentées par Mme C..., dès lors qu'ils ont rejeté sa demande soit en se fondant sur l'absence de lien de causalité des désordres avec le fonctionnement de l'ouvrage, soit sur la réalité et la nature des dommages invoqués, excluant tout fonctionnement anormal de l'ouvrage.

3. Si la requérante soutient d'autre part que les premiers juges ont statué sans disposer d'une connaissance suffisante des faits en raison notamment du rejet de sa demande d'expertise par le juge des référés du tribunal, et qu'ils ont inexactement qualifié ces faits, ces moyens relèvent du bien-fondé du jugement et sont donc insusceptibles d'affecter sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

5. Mme C... soutient d'abord que les conditions dans lesquelles sont entretenues la route qui longe sa propriété ont conduit, au cours des années, à un rehaussement de l'ouvrage tel que l'accès à sa parcelle avec un véhicule bas classique serait devenu plus difficile. Les photographies issues d'un constat d'huissier réalisé à sa demande ne permettent cependant pas d'établir l'existence d'un dénivelé interdisant tout accès, comme le confirme une photographie produite par la commune de Farino, dont l'angle de prise de vue est différent. La requérante n'allègue pas en outre que cet accès serait rendu totalement impossible, et produit d'ailleurs en ce sens le courrier du 29 mars 2016 d'une entreprise qu'elle a sollicitée, qui indique que l'entrée de sa propriété est accessible à un véhicule tout-terrain. Le dommage qu'elle invoque à ce titre ne saurait donc être regardé comme établi.

6. La requérante estime ensuite que les fondations de sa maison, la clôture en bois de sa propriété ainsi que son terrain, qui serait régulièrement engorgé et impraticable, sont détériorés par l'écoulement et le ravinement des eaux pluviales en provenance de la voie publique. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des constats d'huissier du 12 août 2016 et du 21 avril 2021, que la parcelle appartenant à Mme C... présente elle-même une pente bien plus importante que les bas-côtés herbeux de la route mise en cause, dont la déclivité est plus limitée et qui ne paraissent pas affectés par des désordres du même ordre que ceux invoqués par l'intéressée. Au demeurant, le constat d'huissier du 21 avril 2021, réalisé par temps pluvieux, ne permet pas d'établir l'existence de désordres autres que ceux résultant normalement de telles conditions météorologiques, à savoir un terrain paraissant humide, a fortiori du fait de son caractère désherbé. Enfin, comme le fait valoir la commune de Farino, il résulte de l'instruction que la chaussée a été surélevée de telle sorte que les eaux pluviales s'y écoulent dans la direction opposée à celle de la propriété de la requérante, où a été réalisé un caniveau. Dans ces conditions, à les supposer établis, aucun des dommages invoqués par Mme C... ne peut être regardé comme résultant des conditions d'entretien et de fonctionnement de la route municipale VU7. Par suite, la responsabilité de la commune de Farino ne saurait être engagée à ce titre.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses demandes tendant à ce que la commune de Farino soit condamnée à exécuter des travaux ou à titre subsidiaire à l'indemniser des préjudices qu'elle estime subir.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Farino, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 000 euros à la commune de Farino sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Mme C... versera la somme de 1 000 euros à la commune de Farino en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à la commune de Farino.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2022.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00220


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00220
Date de la décision : 11/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL RAPHAELE CHARLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-11;21pa00220 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award