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14/11/2022 | FRANCE | N°21PA04571

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 14 novembre 2022, 21PA04571


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... A... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Seine-et-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.

Par jugement n°2009375 du 8 juillet 2021, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2021, M. B... A..., représenté par Me Amsellem, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°2009375 du 8 juillet 2021 du

Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Seine...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... A... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Seine-et-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.

Par jugement n°2009375 du 8 juillet 2021, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2021, M. B... A..., représenté par Me Amsellem, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°2009375 du 8 juillet 2021 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de Seine-et-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Seine-et-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trente jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges lui ont opposé à tort la tardiveté de sa requête ;

- la décision attaquée est illégale en raison de l'absence de communication des motifs de la décision.

Une mise en demeure a été adressée le 24 mars 2022 à la préfète de Seine-et-Marne qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme C... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant congolais né le 18 mars 1976, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile auprès de la préfecture de Seine-et-Marne qui a accusé réception de sa demande le 18 octobre 2019. Par une décision implicite, la préfète de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Par jugement n°2009375 du 8 juillet 2021, dont M. B... A... relève appel, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision aux motifs que la demande de communication des motifs de la décision implicite était tardive et que la requête était tardive.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) " et de l'article L. 112-6 du dudit code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ". Aux termes de l'article L. 231-4 du code précité : " (...) le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet. / (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. (...) ". Aux termes de l'article R. 112-5 du même code : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : / 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; / (...) / Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont, en principe, pas opposables à son destinataire.

3. D'autre part, aux termes vertu des dispositions de l'article R. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa numérotation alors applicable, le silence gardé plus de quatre mois sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet.

4. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

5. Les règles énoncées au point 4, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. Ce principe s'applique également au rejet implicite d'un recours gracieux. La preuve de la connaissance du rejet implicite d'un recours gracieux ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation du recours. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'un refus implicite de son recours gracieux, soit que la décision prise sur ce recours a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration. S'il n'a pas été informé des voies et délais dans les conditions prévues par les textes cités au point 2, l'intéressé, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de cette décision.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour auprès de la préfecture de Seine-et-Marne qui a accusé réception de sa demande le 18 octobre 2019 donnant naissance en application des principes rappelés au point 3 à une décision implicite de rejet le 18 février 2020. Toutefois, cet accusé de réception ne comporte pas les mentions rappelées au point 2 ci-dessus, informant le requérant des conditions de naissance d'une décision implicite ainsi que les voies et délais de recours. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait eu un échange ultérieur avec l'administration au cours duquel il aurait été informé de l'existence d'une décision de rejet de sa demande. Dans ces conditions, aucun délai ne peut être opposé à M. B... A... autre que le délai raisonnable rappelé au point 5 du présent arrêt. Par suite, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, la requête de première instance de M. B... A... enregistrée le 17 novembre 2020 soit moins d'un an après le 18 février 2020, date de la naissance de la décision implicite de rejet contestée n'était pas tardive. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le jugement du 8 juillet 2021 du Tribunal administratif de Melun est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

7. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... A... devant le Tribunal administratif de Melun.

Sur le moyen de première instance et d'appel soulevé par le requérant contre la décision implicite de la préfète de Seine-et-Marne de refus de délivrance d'un titre de séjour :

8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Alors qu'une copie de la requête de M. B... A... a été communiquée le 8 septembre 2021 au préfet de Seine-et-Marne et qu'il a été mis en demeure le 24 mars 2022 de présenter ses observations, aucun mémoire n'a été adressé à la Cour. Par suite, sous réserve que le contenu des pièces du dossier ne les démente pas, le préfet de Seine-et-Marne est présumé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...). ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ". En vertu des dispositions précitées, la décision refusant la délivrance d'une carte de séjour temporaire constitue une mesure de police qui est au nombre de celles qui doivent être motivées. Par suite, il est loisible à l'intéressé de demander, dans le délai du recours contentieux, les motifs de la décision implicite ayant le même objet. En l'absence de communication de ces motifs dans le délai d'un mois, la décision implicite se trouve alors entachée d'illégalité pour défaut de motivation.

10. En l'espèce, la demande de titre de séjour de M. B... A... a été enregistrée le 18 octobre 2019 par la préfète de Seine-et-Marne. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le silence gardé pendant quatre mois suite à cette demande a fait naître une décision implicite de rejet le 18 février 2020. M. B... A... justifie avoir demandé, dans le délai raisonnable d'un an qui lui était seul opposable, la communication des motifs de cette décision implicite par un courrier du 1er octobre 2020, reçu le 2 octobre suivant. M. B... A... déclare, sans que l'inexactitude matérielle des faits exposés ne ressorte d'aucune pièce du dossier que la préfète n'a pas accédé à sa demande dans le délai d'un mois qui lui était imparti par les dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la décision implicite de rejet, dont les motifs n'ont pas été communiqués au requérant malgré sa demande en ce sens, est entachée d'illégalité et doit être annulée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la demande de M. B... A... soit réexaminée, en ce qui concerne son droit au séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile désormais codifié à l'article L. 435-1 de ce code. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de Seine-et-Marne ou à tout préfet territorialement compétent de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à verser à M. B... A... la somme de 1 500 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2009375 du 8 juillet 2021 du Tribunal administratif de Melun et la décision implicite de rejet du 18 février 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne ou à tout préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de la demande de M. B... A... au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2022.

La rapporteure,

A. C... Le président,

F. HO SI FAT

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04571


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04571
Date de la décision : 14/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. HO SI FAT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : AMSELLEM

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-14;21pa04571 ?
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