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22/11/2022 | FRANCE | N°21PA04256

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 22 novembre 2022, 21PA04256


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de A... d'annuler le courrier du 16 avril 2019 faisant état de la décision de suivre l'avis de la commission de réforme du

4 février 2019 et de le placer à la retraite d'office pour invalidité, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1915844/5-2 du 20 mai 2021, le Tribunal administratif de A... a rejeté cette demande.
>Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 juillet 202...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de A... d'annuler le courrier du 16 avril 2019 faisant état de la décision de suivre l'avis de la commission de réforme du

4 février 2019 et de le placer à la retraite d'office pour invalidité, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1915844/5-2 du 20 mai 2021, le Tribunal administratif de A... a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 juillet 2021 et 23 mars 2022

M. C..., représenté par Me Lekeufack demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de A... du 20 mai 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 16 avril 2019 le plaçant à la retraite d'office pour invalidité ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de le réintégrer dans ses fonctions de surveillant principal à la maison d'arrêt de D... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée a été signée par une autorité incompétente faute de publication d'une délégation de signature consentie à son signataire ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'administration ne justifie pas lui avoir notifié une convocation devant la commission de réforme l'informant de ses droits à se voir communiquer son dossier et à faire entendre le médecin de son choix, et de ses droits de recours ;

- la décision contestée méconnait les droits de la défense dès lors qu'elle a le caractère d'une sanction, lourde de conséquence pour le requérant, et que celui-ci n'a néanmoins pas été informé sur l'engagement d'une procédure à son encontre et sur les griefs retenus ;

- cette décision est entachée de détournement de pouvoir et de procédure dès lors qu'elle a en réalité pour objet d'évincer l'agent en dépit du classement sans suite de la procédure disciplinaire engagée à son encontre en 2006 ;

- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie être apte à reprendre son emploi, et que la mesure litigieuse a sur lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le requérant n'a pas été invité à prendre la parole lors de l'audience, ainsi qu'il résulte des visas dudit jugement qui ne mentionnent pas qu'une telle invitation lui aurait été adressée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour de rejeter la requête de M. C....

Il soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reprendre les moyens de première instance et ne contient pas de moyens d'appel ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., surveillant de l'administration pénitentiaire, exerçait ses fonctions à la maison d'arrêt de D.... Il a d'abord fait l'objet d'un blâme par décision du directeur régional des services pénitentiaires de A... le 17 novembre 2005 au motif qu'il aurait manqué de vigilance et de rigueur dans l'exercice de ses missions de surveillance, puis le chef de service a décidé de saisir le représentant de l'instance médicale. Celui-ci ayant considéré que l'intéressé souffrait d'une maladie professionnelle, M. C... a, par décision du 23 février 2006, été placé d'office en congé de longue maladie pour une période allant du 21 février au 31 août 2006. Pendant cette période il a été mis en cause par un compte-rendu d'information du 7 mars 2006 pour une affaire de harcèlement sexuel ; toutefois, en l'absence de preuve, le responsable de l'instance disciplinaire de l'administration centrale a, le 30 juin 2006, renoncé à engager une procédure disciplinaire à son encontre. En revanche, le congé de longue maladie d'office de l'intéressé a été renouvelé, puis a été suivi de congés de longue durée. Lorsque ses droits à congés de maladie ont été épuisés, il a été placé en disponibilité d'office, renouvelée jusqu'au 20 février 2015. L'administration a, ensuite, saisi la commission de réforme ministérielle, afin qu'elle émette un avis sur l'aptitude de M. C... à exercer ses fonctions. Le 4 février 2019, la commission de réforme a considéré que " les troubles présentés par M. C... sont incompatibles définitivement et totalement à l'exercice de toutes fonctions, sans possibilité de reclassement ". Par un courrier du 16 avril 2019, l'administration a adressé à M. C... le dossier à remplir pour effectuer sa demande de retraite au titre de l'invalidité en l'informant de ce qu'elle suivait l'avis de la commission de réforme. M. C... a dès lors formé le

20 mai 2019 un recours hiérarchique contre cette mesure, puis, dans le silence de l'administration, il a saisi le tribunal administratif de A... d'une demande qui a été regardée comme tendant à l'annulation de la décision de placement en retraite d'office. Mais cette demande a été rejetée au fond par un jugement du 20 mai 2021 dont il relève appel.

Sur la fin de non-recevoir opposée devant la Cour :

2. Il ressort de la lecture de la requête présentée par M. C... devant la Cour qu'elle comporte une critique du jugement, notamment en ce qu'il a rejeté son moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la lettre du 16 avril 2019. Dès lors, cette requête, qui comporte d'ailleurs également un moyen nouveau, tiré du défaut de compétence du signataire de cette lettre, ne peut être regardée comme ne constituant qu'une simple reprise de la demande de première instance et comme ne comportant aucune critique du jugement. Par suite la fin de non-recevoir opposée par le ministre devant la Cour ne peut qu'être écartée.

Sur la régularité du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 732-1 du code de justice administrative, applicable devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites ". Il résulte de ces dispositions que, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les parties qui sont représentées par un avocat et qui ont présenté des conclusions écrites doivent, lorsque leur avocat est absent le jour de l'audience, être mises à même, si elles sont présentes, de présenter elles-mêmes des observations orales.

4. D'autre part, l'article R. 741-2 du code de justice administrative dispose que : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...) Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du deuxième alinéa de l'article R. 731-3 ont été entendus (...) ". Il résulte de ces dispositions que la mention des prises de parole à l'audience étant obligatoire, l'absence d'une telle mention pour une des personnes citées à cet article établit, sauf preuve contraire, que la parole ne lui a pas été donnée.

5. M. C... soutient que le jugement serait entaché d'irrégularité en raison de ce que, lors de l'audience publique du 6 mai 2021 au cours de laquelle le tribunal a examiné sa demande, il n'aurait pas été invité à prendre la parole, ainsi qu'il résulterait des visas dudit jugement qui ne mentionnent pas qu'une telle invitation lui aurait été adressée. Toutefois, en l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que, en l'absence de son avocat, il aurait été lui-même effectivement présent à l'audience du 6 mai 2021, et il ne peut dès lors déduire de la seule absence de mentions du jugement sur ce point qu'il n'aurait pas été invité à prendre la parole, en méconnaissance des dispositions précitées. Par suite le moyen ne peut qu'être écarté, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, alors pourtant que, soulevé pour la première fois dans un mémoire du 23 mars 2022, enregistré après l'expiration du délai de recours, il mettait en cause pour la première fois la régularité du jugement et relevait ainsi d'une cause juridique nouvelle.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Il ressort des termes mêmes du courrier du 16 avril 2019 qu'il a pour objet d'envoyer à l'intéressé " pour suite à donner " le dossier pour effectuer sa demande de retraite au titre de l'invalidité " conformément à l'avis de la commission de réforme ministérielle du 4 février 2019, avis suivi par la directrice-cheffe d'établissement du centre pénitentiaire de A... D... ". Dès lors, ce courrier, qui fait ainsi état de la décision prise par la hiérarchie du requérant de suivre l'avis de la commission de réforme, doit être regardé comme tirant les conséquences d'une décision antérieure. En revanche, s'il est vrai que ce document n'a pas par lui-même de caractère décisoire, il révèle cette décision de l'administration, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait été communiquée autrement à M. C..., de le placer à la retraite d'office en suivant l'avis de la commission de réforme. Or, ainsi qu'il a été dit au point 1, le requérant, s'il demande certes l'annulation de la lettre du 16 avril 2019, doit être regardé comme demandant l'annulation de la décision de le placer à la retraite d'office pour invalidité.

7. M. C... soutient que la lettre du 16 avril 2019 aurait été signée par une autorité incompétente faute qu'il soit justifié d'une délégation de signature consentie à son signataire et régulièrement publiée. Toutefois il résulte de ce qui vient d'être dit que ce courrier se borne à révéler la décision, prise antérieurement, de placer l'intéressé à la retraite d'office, et dès lors le moyen tiré de l'incompétence éventuelle du signataire de ce document est sans incidence sur la légalité de la décision en cause.

8. De même, si le requérant invoque l'insuffisance de motivation de la lettre du

16 avril 2019 en lui faisant grief notamment de se borner à se référer à l'avis de la commission de réforme, ce moyen est également inopérant pour les motifs qui viennent d'être énoncés, cette lettre ne faisant que révéler la décision de placement à la retraite d'office, et n'étant pas, dès lors, en tout état de cause, soumise à une exigence de motivation.

9. Aux termes de l'article 19 alors en vigueur du décret visé ci-dessus du 14 mars 1986 : " (...) Le secrétariat de la commission de réforme informe le fonctionnaire :- de la date à laquelle la commission de réforme examinera son dossier ;- de ses droits concernant la communication de son dossier et la possibilité de se faire entendre par la commission de réforme, de même que de faire entendre le médecin et la personne de son choix. /L'avis de la commission de réforme est communiqué au fonctionnaire sur sa demande ; /Le secrétariat de la commission de réforme est informé des décisions qui ne sont pas conformes à l'avis de la commission de réforme ".

10. M. C... fait valoir qu'il n'aurait pas été informé de ses droits à communication de son dossier, de la possibilité de faire entendre le médecin de son choix et des voies de recours possibles devant le comité médical supérieur. Toutefois l'administration a produit devant le tribunal la convocation qui lui avait été adressée par courrier daté du 18 janvier 2019, qui indiquait la date et le lieu de la réunion de la commission de réforme, informait l'intéressé qu'il avait la possibilité de consulter son dossier administratif, d'adresser à la commission toutes observations et toutes pièces médicales de son choix, qu'il pouvait se faire entendre par cette commission et y être assisté, et qu'il pouvait contacter un représentant du personnel qui siégeait à cette commission et dont le nom et les coordonnées lui étaient fournies. De plus il ressort des pièces versées devant le tribunal que cette convocation lui a été envoyée par courrier recommandé avec accusé de réception, l'administration produisant notamment le document postal renvoyé au centre de D..., mentionnant la date du 26 janvier comme date de distribution, et la réception en retour de cet accusé de réception au sein de cet établissement le

29 janvier suivant. Par suite, M. C... ne saurait sérieusement soutenir qu'il ne serait pas justifié que cette convocation lui aurait été adressée. Enfin il ne ressort pas des dispositions précitées que l'intéressé aurait dû être informé, à ce stade, des possibilités de recours devant le comité médical supérieur. Dès lors le moyen tiré de la méconnaissance de dispositions de l'article 19 du décret du 14 mars 1986 ne peut qu'être écarté.

11. M. C... conteste également le bien-fondé de la décision de placement d'office à la retraite, en invoquant son aptitude à reprendre son emploi ; toutefois le certificat médical qu'il produit, en date du 30 janvier 2019, et dont l'en-tête ne permet d'ailleurs pas de savoir si son auteur est un généraliste ou un spécialiste, se borne à énoncer que " ce patient présente à ce jour un bon état de santé qui autorise un avis favorable à une tentative de reprise de son activité professionnelle ". Or, un tel document, très stéréotypé, et qui n'est pas corroboré par d'autres pièces du dossier, ne suffit pas à permettre de remettre en cause l'avis de la commission de réforme rendu de façon collégiale, au sein de laquelle siégeait un spécialiste, et qui retient que " les troubles présentés par M. C... sont incompatibles définitivement et totalement à l'exercice de toutes fonctions, sans possibilité de reclassement ". Par ailleurs, la circonstance que la décision en litige aurait sur la situation de l'intéressé " des conséquences d'une exceptionnelle gravité ", sans au demeurant que cela soit établi, ne permet pas, en tout état de cause, d'établir que cette décision ne serait pas justifiée, alors qu'elle suit l'avis de la commission de réforme.

12. M. C... soutient également que cette décision serait entachée de détournement de pouvoir et de détournement de procédure et aurait pour but de l'évincer du service, après le classement sans suite de la procédure disciplinaire entreprise en 2006. Toutefois, alors que la décision de le placer à la retraite d'office a été prise en suivant l'avis favorable de la commission de réforme, dont les termes précités écartent catégoriquement toute possibilité de reprise d'activité, et que la réalité du détournement allégué, en tout état de cause, ne ressort pas des pièces du dossier, le moyen ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir que cette décision aurait un caractère disciplinaire et serait constitutive d'une sanction déguisée. Dès lors il ne peut utilement invoquer un " non-respect des droits de la défense ".

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de A... a rejeté sa demande. Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2022.

La rapporteure,

M-I. E...Le président,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04256


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04256
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : LEKEUFACK

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-22;21pa04256 ?
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