La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/2023 | FRANCE | N°21PA04468

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 06 avril 2023, 21PA04468


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 juin 2021 par lequel le préfet du Val-d'Oise lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2105694 du 22 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2021, a mis fin aux mesures

de surveillance dont Mme F... faisait l'objet et a enjoint au préfet du Val-d'Oise d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 juin 2021 par lequel le préfet du Val-d'Oise lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2105694 du 22 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2021, a mis fin aux mesures de surveillance dont Mme F... faisait l'objet et a enjoint au préfet du Val-d'Oise d'une part, de mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen et, d'autre part, de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2021, le préfet du Val-d'Oise demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2105694 du 22 juin 2021 du tribunal administratif de Melun.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 octobre 2022, Mme F..., représentée par Me Mileo, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et reprend les moyens qu'elle avait soulevés en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante capverdienne née en avril 1987, est entrée en France en 2011, selon ses déclarations. Par un arrêté du 14 juin 2021, le préfet du Val-d'Oise lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Le préfet du Val-d'Oise relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté, a mis fin aux mesures de surveillance dont Mme F... faisait l'objet et lui a enjoint, d'une part, de mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen et, d'autre part, de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

3. Pour obliger Mme F... à quitter le territoire français, le préfet du Val-d'Oise s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée ne peut justifier être entrée régulièrement sur le territoire français et s'y est maintenue sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Pour annuler cette décision, le tribunal a retenu que le préfet avait entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation de Mme F... dès lors notamment que l'intéressée justifiait résider et travailler en France depuis 2013. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la requérante ne s'est maintenue sur le territoire français qu'à la faveur de sa soustraction à l'exécution de deux précédentes mesures d'éloignement prises à son encontre en 2014 et en 2017. Par ailleurs, Mme F... a déclaré avoir été embauchée avec une fausse carte d'identité portugaise. Enfin, si l'intéressée se prévaut de la présence en France de son frère, d'oncles, de tantes et de cousins, il est constant qu'elle est célibataire et sans charge de famille et qu'elle a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge au moins de vingt-quatre ans. Par conséquent, en obligeant Mme F... à quitter le territoire français, le préfet du Val-d'Oise n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme F... devant le tribunal administratif de Melun.

Sur les autres moyens soulevés par Mme F... :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, la décision contestée a été signée par Mme A... C..., chef de bureau du contentieux des étrangers de la préfecture du Val-d'Oise, qui bénéficiait d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté n° 20-046 du 17 novembre 2020, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, à l'effet de signer, notamment, toutes décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en litige manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, la décision contestée vise notamment l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et énonce que Mme F... ne peut justifier être entrée régulièrement sur le territoire français. Cette décision décrit en outre le parcours individuel et administratif de la requérante ainsi que des éléments d'ordre personnel, mentionnant que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il n'est pas porté une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors notamment qu'elle est célibataire et sans enfant. La décision mentionne ainsi les considérations de droit et de fait qui la fondent et est dès lors suffisamment motivée, et il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen sérieux de la situation de Mme F....

7. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, le préfet du Val-d'Oise n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

8. En premier lieu, la décision contestée vise les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que Mme F... ne justifie pas être entrée régulièrement sur le territoire français ni n'a sollicité la délivrance d'un titre de séjour, qu'elle s'est soustraite à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, qu'elle a fait usage d'un faux titre portugais, qu'elle a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français et qu'elle ne présente pas de garanties de représentation suffisante, dans la mesure où elle ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité et où elle ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Cette décision comporte ainsi les motifs de droit et de fait qui la fondent. Cette motivation révèle en outre que le préfet a procédé à un examen de la situation personnelle de l'intéressée avant de lui refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire. Par suite, les moyens tirés du défaut de motivation et d'examen doivent être écartés.

9. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant refus de délai de départ volontaire doit être écartée.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

11. Compte tenu de l'ensemble des motifs exposés au point 8, qui ne sont pas remis en cause en l'espèce, le préfet du Val-d'Oise a pu légalement considérer qu'il existait un risque que Mme F... se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Par suite, la requérante n'établit pas que le préfet aurait commis une erreur d'appréciation en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, la décision contestée vise l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, précise la nationalité de Mme F... et indique qu'elle n'établit pas être exposée dans son pays d'origine à des peines ou traitements contraires à cette convention. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

13. En second lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination doit être écartée.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

14. En premier lieu, la décision, contestée, qui vise notamment les articles L. 612-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pris en compte, au vu de la situation de Mme F..., les critères prévus par les dispositions précitées, pour fixer la durée de l'interdiction de retour. Elle relève ainsi que l'intéressée se maintient en situation irrégulière en France, qu'elle a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qu'elle n'a pas exécutée et qu'elle est célibataire et sans enfant. Ainsi, la décision en litige, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui la fonde, est suffisamment motivée et il n'en ressort pas que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen sérieux de la situation de Mme F....

15. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écartée.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

17. Le préfet du Val-d'Oise a pu légalement prononcer une interdiction de retour à l'encontre de Mme F... dès lors qu'aucun délai de départ ne lui a été accordé pour se conformer à l'obligation de quitter le territoire national prononcée à son encontre. Compte tenu des éléments mentionnés au point 14 et en l'absence de circonstances humanitaires, le préfet a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, décider de prononcer une interdiction de retour d'une durée de deux ans.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2021, a mis fin aux mesures de surveillance dont Mme F... faisait l'objet et a enjoint au préfet du Val-d'Oise, d'une part, de mettre fin au signalement de l'intéressée dans le système d'information Schengen et, d'autre part, de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Melun, de même que les conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2105694 du 22 juin 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions d'appel présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Mme F....

Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

S. B...Le président,

J. D...

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA04468 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04468
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : MILEO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-04-06;21pa04468 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award