La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/06/2023 | FRANCE | N°23PA00462

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 01 juin 2023, 23PA00462


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel le maire de Paris a refusé de lui accorder un permis de construire autorisant des démolitions et la construction de surface de plancher à destination de bureaux et d'habitation et la modification d'aspect extérieur d'une construction existante à R + 4 sur 1 niveau de sous-sol au 61 boulevard de Vaugirard à Paris, dans le XVème arrondissement, ainsi que la d

écision implicite de rejet du recours gracieux formé le

14 octobre 2020.

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel le maire de Paris a refusé de lui accorder un permis de construire autorisant des démolitions et la construction de surface de plancher à destination de bureaux et d'habitation et la modification d'aspect extérieur d'une construction existante à R + 4 sur 1 niveau de sous-sol au 61 boulevard de Vaugirard à Paris, dans le XVème arrondissement, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le

14 octobre 2020.

Par un jugement n° 2100118 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de cet arrêté et de cette décision et a enjoint au maire de Paris maire de Paris de réexaminer la demande de permis de construire et d'autorisation de démolitions de la SCI du

61 boulevard de Vaugirard dans un délai de deux mois.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 2 février 2023 sous le n° 23PA00462, la Ville de Paris, représentée par Me Falala (AARPI Apremont), demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100118 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard présentée devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, d'une part, le projet de la société pétitionnaire est de nature à compromettre la protection et la mise en valeur du patrimoine bâti et n'est ainsi pas conforme à l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, et, d'autre part, méconnaît l'article UG 11 du règlement local d'urbanisme de Paris en portant atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 mars 2023, la société civile immobilière du

61 boulevard Vaugirard, représentée par Me Encinas conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis la somme de 4 000 euros à la charge de la Ville de Paris en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

II. Par une requête enregistrée le 2 février 2023 sous le n° 23PA00463, la Ville de Paris, représentée par Me Falala (AARPI Apremont), demande à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2100118 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

Elle soutient que :

- les conditions posées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont satisfaites ;

- l'exécution du jugement fait évidemment peser un risque de démolition de l'immeuble, laquelle serait irrémédiable et il y a donc urgence à la suspendre.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 avril 2023, la société civile immobilière du

61 boulevard Vaugirard, représenté par Me Encinas conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis la somme de 4 000 euros à la charge de la Ville de Paris en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Gorse, substituant Me Falala, avocat de la Ville de Paris, et de Me Encinas, avocat de la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard a déposé, le 21 octobre 2019, une demande de permis de construire impliquant des démolitions pour la construction de surface de plancher à destination de bureaux et d'habitation et la modification d'aspect extérieur d'une construction existante à R + 4 sur un niveau de sous-sol. Cette demande a été rejetée par un arrêté du maire de Paris du 14 août 2020 pour deux motifs tirés, d'une part, du fait que les travaux de démolition envisagés sont de nature à compromettre la protection et la mise en valeur du patrimoine bâti et ne sont pas conformes à l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme que, d'autre part, le projet méconnaît l'article UG 11 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris. La société pétitionnaire ayant saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation de cet arrêté en tant qu'il refuse la démolition de deux immeubles nécessaires à la réalisation du projet et en tant qu'il rejette sa demande d'autorisation de construire, ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 12 octobre 2020, cette juridiction a fait droit à ses conclusions par un jugement en date du2 décembre 2022 prononçant l'annulation sollicitée et en enjoignant au maire de Paris de réexaminer la demande de permis de construire et d'autorisation de démolitions dans un délai de deux mois. La Ville de Paris relève appel de ce jugement et demande en outre à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à son exécution.

2. Les requêtes nos 23PA00462 et 23PA00463 de la Ville de Paris sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

3. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 23PA00462, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 23PA00463.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 451-1 du code de l'urbanisme : " Lorsque la démolition est nécessaire à une opération de construction (...), la demande de permis de construire (...) peut porter à la fois sur la démolition et sur la construction ou l'aménagement. Dans ce cas, le permis de construire (...) autorise la démolition ". En vertu de l'article R. 431-21 du même code : " Lorsque les travaux projetés nécessitent la démolition de bâtiments soumis au régime du permis de démolir, la demande de permis de construire (...) doit : / (...) / b) (...) porter à la fois sur la démolition et sur la construction (...)". Selon l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme : " (...) / Le permis de démolir peut-être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les travaux envisagés sont de nature à compromettre la protection ou la mise en valeur du patrimoine bâti ou non bâti, du patrimoine archéologique, des quartiers, des monuments et des sites ". Lorsqu'il est fait usage des dispositions précitées de l'article L. 451-1 du code de l'urbanisme permettant que la demande de permis de construire porte à la fois sur la construction et sur la démolition d'une construction existante, quand cette démolition est nécessaire à cette opération, il appartient à l'administration d'apprécier l'impact, sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la demande de permis de construire, que le projet de construction implique la destruction de trois bâtiments de R + 1 à R + 2 situés à l'avant de la parcelle et donnant sur le boulevard de Vaugirard. Il est constant que deux de ces bâtiments, accolés respectivement au mur pignon des numéros 59 et 63 de la voie, ont été édifiés au milieu du XIXème siècle, s'ils ne font l'objet d'aucune protection particulière, leur refus de démolition peut néanmoins relever, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, de " la protection (...) ou du patrimoine bâti ou non bâti, du patrimoine (...) des quartiers ". La Ville de Paris établit de manière suffisamment probante, en l'espèce, et en l'absence de toute démonstration contraire apportée par la société civile immobilière intimée, que ces bâtiments sont de rares témoignages du bâti de l'ancienne commune de Vaugirard qui ont presque disparu du quartier alentour. Dès lors, la Ville de Paris est fondée à soutenir que l'arrêté litigieux n'était pas entaché, sur ce point, d'une erreur d'appréciation et que le tribunal administratif de Paris a fait une inexacte application des dispositions législatives précitées en en prononçant l'annulation.

6. En second lieu, aux termes du point UG 11.1 de l'article UG 11 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris de Paris : " Les interventions sur les bâtiments existants comme sur les bâtiments à construire, permettant d'exprimer une création architecturale, peuvent être autorisées. / L'autorisation de travaux peut être refusée ou n'être accordée que sous réserve de prescriptions si la construction, l'installation ou l'ouvrage, par sa situation, son volume, son aspect, son rythme ou sa coloration, est de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. / (...) ". En vertu du point 11.1.3 du même article : " Les constructions nouvelles doivent s'intégrer au tissu existant, en prenant en compte les particularités morphologiques et typologiques des quartiers (rythmes verticaux, largeurs des parcelles en façade sur voies, reliefs...) ainsi que celles des façades existantes (rythmes, échelles, ornementations, matériaux, couleurs...) et des couvertures (toitures, terrasses, retraits...). / L'objectif recherché ci-dessus ne doit pas pour autant aboutir à un mimétisme architectural pouvant être qualifié esthétiquement de pastiche. Ainsi l'architecture contemporaine peut prendre place dans l'histoire de l'architecture parisienne. / (...) ".

7. D'une part, les dispositions de l'article UG 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris fixent, de façon développée et nuancée, les règles relatives à l'aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l'essentiel du territoire construit de la ville. Si les dispositions du début du point UG 11.1.3 sur les constructions nouvelles énoncent que ces constructions doivent s'intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures, ces dispositions ne peuvent être isolées des autres dispositions de l'article UG 11, en particulier de celles du point

UG 11.1, qui précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d'exprimer une création architecturale et qui n'imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants, et celles du même point UG 11.1.3. qui précisent que l'objectif d'intégration dans le tissu urbain existant ne doit pas conduire à un mimétisme architectural ou faire obstacle à des projets d'architecture contemporaine. Dans cet esprit, les dispositions du point UG 11.1.3 permettent expressément de ne pas reprendre, pour des constructions nouvelles contemporaines, les registres des bâtiments sur rue, entendus comme le soubassement, la façade et le couronnement, tels qu'ils sont habituellement observés pour les bâtiments parisiens.

8. D'autre part, eu égard à la teneur des dispositions de l'article UG 11 du règlement, en particulier celles du point UG 11.1.3, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si l'autorité administrative a pu légalement refuser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux avoisinants, en tenant compte de l'ensemble des dispositions de cet article et de la marge d'appréciation qu'elles laissent à l'autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme.

9. Il ressort des pièces du dossier que le projet de la société civile immobilière du

61 boulevard Vaugirard s'insère, s'agissant des constructions les plus proches, dans un front bâti relativement uni et présentant une certaine harmonie et marqué par une architecture traditionnelle de type haussmannien, en matériaux fait de pierre de taille, d'enduit et de briques apparentes. Si la notice architecturale du projet prétend " s'inscrire dans une démarche haussmannienne, par sa typologie, sa trame et son rythme ", les caractéristiques du projet, relativement à l'importance de ses surfaces vitrées, aux différences de hauteur du dernier étage du bâtiment qui s'échelonnent sur trois niveaux, à l'absence de balcons et de corniches et le choix des couleurs, tendent en réalité à lui conférer une allure résolument contemporaine, pour laquelle la Ville de Paris dispose, quant à son insertion dans l'environnement bâti, de la marge d'appréciation rappelée au point précédent. Dans les circonstances de l'espèce, le maire de Paris n'a pas méconnu les dispositions réglementaires citées au point 6 en estimant, sans entacher sur ce point sa décision d'une erreur d'appréciation, que le projet de construction par sa situation et son volume, est de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants et aux paysages urbains.

10. Il résulte de ce qui précède que la Ville de Paris est fondée à soutenir que les premiers juges ont méconnu les dispositions législatives et réglementaires applicables au litige et que c'est à tort qu'ils ont fait droit aux conclusions de la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard en prononçant l'annulation de l'arrêté litigieux du 14 août 2020 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 14 octobre 2020.

Sur l'effet dévolutif de l'appel :

11. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de légalité soulevés par la société civile immobilière du

61 boulevard Vaugirard.

12. En premier lieu, l'avis de la commission du Vieux Paris, postérieur à l'arrêté attaqué, n'a pu avoir aucune influence sur son édiction et ne peut donc être utilement contesté.

13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire de Paris se serait senti lié par l'avis, défavorable au projet du maire du XVème arrondissement, lequel ne présente pas légalement le caractère d'un avis conforme.

14. En troisième lieu, l'arrêté litigieux expose avec une précision suffisante les motifs de droit et de fait qui le fondent, permettant ainsi à son destinataire d'en saisir immédiatement le sens à sa simple lecture. Il est donc suffisamment motivé.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la Ville de Paris est fondée à soutenir que le jugement attaqué doit être annulé et que les demandes présentées par la société civile immobilière professionnel pétitionnaire devant le tribunal administratif de Paris doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard, qui succombe dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à la Ville de Paris d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 23PA00463.

Article 2 : Le jugement n° 2100118 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : La demande présentée par la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : La société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard versera à la Ville de Paris une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Ville de Paris et à la société civile immobilière du 61 boulevard Vaugirard.

Copie en sera adressée au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris.

Délibéré après l'audience du 27 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juin 2023.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23PA00462, 23PA00463


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00462
Date de la décision : 01/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : SELARL LETANG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-01;23pa00462 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award