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06/06/2023 | FRANCE | N°20PA01826

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 06 juin 2023, 20PA01826


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté sa demande du 20 février 2019 tendant à " rétablir le principe d'égalité de traitement dans la délivrance des licences de transporteur aérien accordées tant à Air Tahiti qu'à la SAS Islands Airline en révisant les arrêtés pris respectivement pour chacune de ces deux sociétés ", à " soumettre à l'Assemblée de la Po

lynésie française, dans un délai prenant en compte le début des opérations de la SAS Islan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté sa demande du 20 février 2019 tendant à " rétablir le principe d'égalité de traitement dans la délivrance des licences de transporteur aérien accordées tant à Air Tahiti qu'à la SAS Islands Airline en révisant les arrêtés pris respectivement pour chacune de ces deux sociétés ", à " soumettre à l'Assemblée de la Polynésie française, dans un délai prenant en compte le début des opérations de la SAS Islands Airline annoncé fin 2019, les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la " loi du pays " n°2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien ", et, " dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces délibérations d'application, à compenser les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume ", d'enjoindre à la Polynésie française de rétablir le principe d'égalité de traitement dans la délivrance des licences de transporteur aérien accordées tant à Air Tahiti qu'à la SAS Islands Airline, en révisant les arrêtés pris respectivement pour chacune de ces deux sociétés, sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard à compter de la décision à intervenir, d'enjoindre à la Polynésie française de soumettre à l'assemblée de la Polynésie française, dans un délai prenant en compte le début des opérations de la SAS Islands Airline annoncé fin 2019, les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la " loi du pays " n°2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien, sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard à compter de la décision à intervenir et, dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces délibérations d'application, de compenser les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume, à défaut de modifier le programme de vols imposé en supprimant les vols obligatoires sur ces destinations, sous astreinte de 500 000 F CFP par jour de retard à compter de la décision à intervenir et enfin de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 400 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900168 du 29 mai 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2020, la société Air Tahiti, représentée par Me Gouesse et Me Krzisch, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du

29 mai 2020 ;

2°) d'annuler le refus de la Polynésie française de modifier le programme de vols d'Air Tahiti ;

3°) d'enjoindre à la Polynésie française de faire droit à la demande de modification du programme de vols d'Air Tahiti dans un délai de 15 jours sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;

4°) de constater que la Polynésie française impose sans fondement légal des obligations de service public à Air Tahiti ;

5°) d'enjoindre à la Polynésie française, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, de soumettre à l'assemblée de la Polynésie française dans un délai de quatre mois, les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la loi du pays n°2016-3 du 26 février 2016 ;

6°) d'enjoindre à la Polynésie française, dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces délibérations d'application, de compenser les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume ;

7°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus de la Polynésie française de faire droit à sa demande de modification de son programme de vol est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, d'erreur de droit et d'une dénaturation des pièces du dossier, dès lors qu'aucun texte applicable ne permet à la Polynésie française d'imposer à une compagnie aérienne un programme de vols non sollicité ; que le refus opposé aux demandes répétées en ce sens de la requérante est dès lors dépourvu de tout fondement légal ;

- le tribunal a entaché son jugement d'erreur manifeste d'appréciation et de dénaturation des pièces du dossier en retenant qu'aucune obligation de service public n'avait été imposée et que le programme de vols résultait du choix de la requérante, alors que celle-ci s'est vu imposer des obligations de service public dépourvues de toute base légale compte tenu de l'absence d'intervention des délibérations d'application de la loi de pays du 25 février 2016 ;

-le tribunal a à tort jugé que la société requérante ne justifiait pas d'un intérêt pour agir à l'encontre du refus de prendre les textes d'application de cette loi du pays, alors qu'elle justifie d'un intérêt direct, certain et spécial compte tenu des obligations de service public qu'elle assume et de ce qu'elle n'a pu bénéficier d'agréments de défiscalisation et de diverses mesures fiscales du fait du défaut d'intervention de ces délibérations d'application, et de ce qu'en tout état de cause elle a intérêt à la clarification des règles du transport aérien interinsulaire ;

- la Polynésie française avait l'obligation de prendre les textes d'application de la loi du pays de 2016 dans un délai raisonnable et son abstention revêt un caractère fautif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2021, la Polynésie française, représentée par Me Dubois, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête comme irrecevable, ou, à défaut, comme infondée ;

2°) de mettre à la charge de la société Air Tahiti une somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant à l'annulation du refus de la Polynésie française de modifier le programme de vol de la requérante et d'enjoindre à la Polynésie française de faire droit à cette demande de modification sont nouvelles en appel et par suite irrecevables ;

- la demande d'injonction de soumettre à l'assemblée de la Polynésie les projets de délibérations d'application de la loi du pays de 2016 est devenue sans objet compte tenu de l'intervention de la délibération du 30 juillet 2020 ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Labetoulle,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gouesse pour la société Air Tahiti.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention " pour le développement harmonieux du transport aérien interinsulaire ", en date du 5 octobre 1990, la société Air Tahiti et la Polynésie française ont défini un cadre contractuel permettant d'assurer la continuité territoriale du territoire polynésien, octroyant à la compagnie un agrément de transport aérien pour une durée de vingt ans, assorti d'un volume minimal annuel d'activité ainsi que d'avantages fiscaux et douaniers, en contrepartie de l'engagement d'assurer un programme minimal de vols réguliers approuvé par le conseil des ministres. La convention prévoyait en outre, au titre de la politique de désenclavement d'îles isolées, un programme de dessertes complémentaires, nécessitant des appareils spécifiques, pour lequel la Polynésie française s'engageait notamment à prendre en charge l'éventuel déficit d'exploitation supporté par la compagnie. À compter du 5 octobre 2010, la convention a été prorogée par avenants successifs, en dernier lieu jusqu'au 31 décembre 2015. A compter du 1er février 2014 et jusqu'à la date d'expiration de la convention, de nouvelles conventions successives conclues entre les parties ont consisté à définir les conditions d'exploitation des dessertes de désenclavement à la charge de la société Air Tahiti, en contrepartie desquelles une compensation financière de la Polynésie française était forfaitairement fixée. La Polynésie française a ainsi versé à la compagnie, au titre de ces conventions, une compensation financière de 180 000 000 F CFP au titre de chacune des deux années 2014 et 2015. Par un arrêté du 23 décembre 2015, le président de la Polynésie française a renouvelé la licence de transport aérien de la société Air Tahiti, assortissant celle-ci d'un programme défini " au titre de l'intérêt général ", incluant les dessertes aériennes de désenclavement précitées. Une loi de pays LP n°2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien est ensuite intervenue, qui impliquait que soient édictées des délibérations d'application devant notamment régir les obligations de service public pouvant être imposées aux compagnies aériennes. En l'absence d'intervention de telles délibérations, la compagnie Air Tahiti a adressé au président de la Polynésie française le 20 février 2019 une demande tendant à " rétablir le principe d'égalité de traitement dans la délivrance des licences de transporteur aérien accordées tant à Air Tahiti qu'à la SAS Islands Airline en révisant les arrêtés pris respectivement pour chacune de ces deux sociétés ", à " soumettre à l'assemblée de la Polynésie française, dans un délai prenant en compte le début des opérations de la SAS Islands Airline annoncé fin 2019, les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la " loi du pays " n°2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien " et " dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces délibérations d'application, à compenser les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume ". Devant le silence de la collectivité, elle a ensuite sollicité du Tribunal administratif de la Polynésie française l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à cette demande, et elle a présenté des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de prendre les mesures en cause. Le tribunal a toutefois rejeté cette demande par un jugement n°1900168 du 29 mai 2020 dont la compagnie Air Tahiti relève dès lors appel.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de la Polynésie française de modifier le programme de vols d'Air Tahiti :

2. Il ressort des écritures de première instance de la compagnie Air Tahiti que, si elle a, devant le tribunal, demandé l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté sa demande du 20 février 2019 tendant à " rétablir le principe d'égalité de traitement dans la délivrance des licences de transporteur aérien accordées tant à Air Tahiti qu'à la SAS Islands Airline en révisant les arrêtés pris respectivement pour chacune de ces deux sociétés (...) ", elle n'a pas, en revanche, demandé l'annulation du refus de la Polynésie française de modifier son programme de vols. Or il s'agit bien de conclusions distinctes dès lors que les arrêtés dont elle a sollicité la révision ont pour objet d'accorder une licence de transporteur aérien et ne sauraient être assimilés aux programmes de vols, alors même qu'ils s'y réfèrent, outre que les conclusions relatives à un refus de révision de ces arrêtés concernaient également ceux accordant une licence à la SAS Islands Airline, et ne sauraient dès lors, de ce fait encore, être assimilées aux conclusions relatives à un refus de modification des programmes de vol de la seule requérante, alors d'ailleurs que la requérante n'avait à l'époque présenté aucun projet modificatif des programmes de vol. Par suite ces dernières conclusions, ainsi que le fait valoir la Polynésie française, sont nouvelles en appel, et par suite irrecevables.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de faire droit à la demande de modification du programme de vols d'Air Tahiti :

3. Ces conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées en l'absence d'annulation de la décision administrative précitée. En outre et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier qu'il a été procédé à la modification des programmes de vol de la société requérante par arrêtés des 13 mai 2020 et 10 juin 2020, ainsi qu'elle en convient elle-même en ce qui concerne ce second arrêté. Par suite, et alors qu'elle n'allègue pas que ces décisions de la Polynésie française ne seraient pas devenues définitives ou seraient insuffisantes, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à cette collectivité de procéder à une telle révision sont devenues sans objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française, sous astreinte, de soumettre à l'assemblée de la Polynésie française les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la loi du pays n°2016-3 du 26 février 2016 et à ce que soient d'ici là compensés les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume :

4. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération n°2020-33 APF du 30 juillet 2020 fixant les conditions d'octroi de la licence d'exploitation dans le secteur du transport aérien interinsulaire, intervenue postérieurement à l'introduction de la présente requête et produite devant la Cour, la Polynésie française a pris les mesures d'application de la loi du pays n°2016-3 du 26 février 2016, sans que la compagnie requérante, qui ne produit pas de réplique, n'allègue ni que cette délibération ne suffirait pas assurer la mise en œuvre de la loi du pays de 2016 ni qu'elle ne serait pas devenue définitive. Dans ces conditions, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de prendre une telle délibération, et, par suite, celles tendant à ce qu'il lui soit enjoint, dans l'attente de l'intervention de cette délibération, de compenser les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume sont, en tout état de cause, à supposer même qu'elles soient recevables, en l'absence d'annulation d'une décision administrative, et de tout chiffrage motivé, devenues sans objet, ainsi que le fait valoir en défense la Polynésie française. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions demandant à la Cour de " constater que la Polynésie française impose sans fondement légal des obligations de service public à Air Tahiti " :

5. De telles conclusions, qui ne tendent pas à l'annulation d'une décision administrative, ne font pas partie de celles dont il appartient au juge administratif de connaitre, et sont, par suite, irrecevables.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air Tahiti n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Air Tahiti au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Air Tahiti la somme demandée par la Polynésie française sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française, sous astreinte, de soumettre à l'assemblée de la Polynésie française les projets de délibérations nécessaires à l'entrée en vigueur et à l'application des dispositifs prévus par la loi du pays n°2016-3 du 26 février 2016 et à ce que soient d'ici là compensés les coûts engendrés par l'exploitation des dessertes de Apataki, Ua Pou, Ua Huka, Fakahina et Takume, ni sur celles tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de faire droit à la demande de modification du programme de vols d'Air Tahiti.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Air Tahiti est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la Polynésie française présentées sur le fondement de l'article L761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air Tahiti et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2023.

La rapporteure,

M-I. LABETOULLELe président,

T. CELERIER

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA01826


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01826
Date de la décision : 06/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : VIGUIE SCHMIDT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-06;20pa01826 ?
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