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14/06/2023 | FRANCE | N°22PA03241

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 14 juin 2023, 22PA03241


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer l'annulation de la décision du 20 août 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance lui a refusé l'habilitation aux informations ou aux supports classifiés, ensemble la décision du 27 octobre 2020 de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2021552/6-1 du 27 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions, enjoint au ministre de procéder à la suppression de toute ment

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer l'annulation de la décision du 20 août 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance lui a refusé l'habilitation aux informations ou aux supports classifiés, ensemble la décision du 27 octobre 2020 de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2021552/6-1 du 27 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions, enjoint au ministre de procéder à la suppression de toute mention de ces décisions du dossier de Mme C... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 mai 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant ce tribunal.

Il soutient que :

- l'habilitation au secret défense était nécessitée par les fonctions occupées par l'intéressée au regard du lieu de déroulement du stage situé en " zone sensible " et des interactions qu'elle allait entretenir au sein du cabinet du ministre ;

- les autres moyens présentés à l'appui de la demande de première instance doivent être écartés pour les motifs exposés dans les mémoires en défense enregistrés auprès du tribunal.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2022, Mme C..., représentée par Me Aymard de la Ferté-Sénectère conclut au rejet de la requête et demande qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Topin,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me de la Ferté-Sénectère, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., alors étudiante en master en politiques publiques à l'Institut d'études politiques de Paris, a conclu une convention de stage en vue d'effectuer, du 8 juillet 2020 au 25 décembre 2020, un stage au sein du cabinet du ministre délégué aux comptes publics. Par décision du 20 août 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance lui a refusé l'habilitation aux informations ou supports classifiés. Par un jugement du 27 mai 2022, dont le ministre de l'économie de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel, le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision du 20 août 2020 ainsi que celle du 27 octobre 2020 rejetant le recours gracieux formé par Mme C..., a enjoint au ministre de procéder à la suppression de toute mention des décisions ainsi annulées dans le dossier de Mme C... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à l'intéressée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes de l'article R. 2311-7 du code de la défense, dans sa rédaction alors en vigueur : " Nul n'est qualifié pour connaître des informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin, selon l'appréciation de l'autorité d'emploi sous laquelle il est placé, au regard notamment du catalogue des emplois justifiant une habilitation établi par cette autorité, de les connaître pour l'exercice de sa fonction ou l'accomplissement de sa mission ". Aux termes de l'article 6 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, applicable au litige : " Seules des personnes qualifiées peuvent accéder aux secrets de la défense nationale. La qualification exige la réunion de deux conditions cumulatives : - le besoin de connaître ou d'accéder à une information classifiée, attesté par l'autorité d'emploi : l'appréciation du besoin d'en connaître est fondée sur le principe selon lequel une personne ne peut avoir connaissance d'informations classifiées que dans la mesure où l'exercice de sa fonction ou l'accomplissement de sa mission l'exige. Elle est effectuée dans les conditions prévues par l'article 20 de la présente instruction ; (...) ". Aux termes de l'article 12 de cette instruction : " Chaque ministre est assisté par un haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) (21) dont les attributions sont fixées par le code de la défense (22). Le HFDS relève directement du ministre et dispose en propre d'un service spécialisé. Pour l'exercice de sa mission, il a autorité sur l'ensemble des directions et services du département ministre (...) ". Selon l'article 15 de cette même instruction : " L'officier de sécurité, nommé par le chef du service employeur, est le correspondant du HFDS et des services enquêteurs. Il a pour mission, sous les ordres de son autorité d'emploi et en fonction des modalités propres à chaque structure, de fixer les règles et consignes de sécurité à mettre en œuvre concernant les personnes et les informations ou supports classifiés, et d'en contrôler l'application. Il participe à l'instruction et à la sensibilisation du personnel en matière de protection du secret. Il est chargé de la gestion des habilitations et, en liaison avec les services enquêteurs, du contrôle des accès aux zones protégées. Il peut diriger le bureau de protection du secret. (...) ". Et l'article 20 de la même instruction prévoit que : " Les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité élaborent les instructions nécessaires pour faire établir, par l'autorité compétente, au sein de chaque service de l'Etat et organisme public ou privé, et pour chaque niveau de classification, la liste des emplois ou fonctions nécessitant l'accès à des informations ou supports classifiés. Ces listes sont désignées " catalogues des emplois ". Il appartient aux HFDS de vérifier l'établissement de ces catalogues pour chacun des trois niveaux. / C'est en référence aux catalogues des emplois que les demandes d'habilitation sont établies. Lorsqu'une demande d'habilitation lui parvient, l'autorité d'habilitation vérifie l'inscription de la fonction concernée dans le catalogue des emplois correspondant. Elle examine, à titre exceptionnel, le bien-fondé de la demande lorsque l'emploi ne figure pas au catalogue. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'exercice des missions qui devaient lui être confiées en qualité de stagiaire, Mme C... était appelée à travailler dans les locaux du cabinet du ministre délégué aux comptes publics, au sein duquel tous les agents sont habilités au secret de la défense nationale, selon les affirmations non sérieusement contredites de l'administration, qui produit également un fichier faisant état de demandes d'habilitation concernant d'autres stagiaires. Le lieu de travail de l'intéressée impliquait nécessairement, alors même qu'elle n'aurait pas eu besoin d'avoir accès aux supports d'informations classifiées à raison des tâches qu'elle qualifie de mineures qui auraient pu lui être confiées durant son stage, qu'elle puisse avoir connaissance d'informations classifiées au cours d'interactions avec les agents ou collaborateurs du ministre travaillant au sein du cabinet. La circonstance que son emploi ne figure pas dans la liste définie par l'article 20 de l'instruction interministérielle, ne faisait pas obstacle à la nécessité qu'elle détienne une telle habilitation, dès lors que cette dernière peut être sollicitée à titre exceptionnel selon les dispositions de cet article. Dans ces conditions, le ministre n'a pas commis d'erreur de droit en exigeant que Mme C... soit habilitée à accéder aux supports et informations classifiées.

4. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler les décisions litigieuses. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les autres moyens invoqués par Mme C... :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de l'instruction interministérielle : " Chaque ministre est assisté par un haut fonctionnaire de défense et de sécurité (...) Il prend, par délégation du ministre, sous réserve d'autres délégations éventuellement accordées en vertu des dispositions de l'article R. 2311-8-1 du code de la défense, les décisions d'habilitation pour les niveaux Secret Défense et Confidentiel Défense. (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées sont signées par M. D... A... qui a été désigné haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint au secrétariat général des ministères économiques et financier pour une durée de trois ans, à compter du 15 novembre 2019 par un arrêté du ministre de l'économie et des finances du 7 octobre 2019 régulièrement publié au journal officiel de la République française le 9 octobre 2019. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes en litige manque en fait et doit être écarté.

7. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient Mme C..., l'absence de mention des voies et délais de recours prévue par les dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative est sans incidence sur la légalité des actes attaqués.

8. En troisième lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 (...) ".

9. Les décisions qui refusent l'habilitation pour accéder aux informations ou supports classifiés sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Par suite, la décision du 20 août 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a refusé cette habilitation à Mme C... n'avait pas à être motivée.

10. En dernier lieu, il ressort du dossier que, pour refuser l'habilitation sollicitée, le haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint s'est fondé sur l'attachement sentimental pour Israël exprimé par Mme C... lors de son entretien de sécurité, sur la circonstance que son père possédait une double nationalité, française et américaine, et exerçait une activité professionnelle au sein d'une filiale d'Airbus, et sur la consommation occasionnelle de drogues et d'alcool lors de soirées festives, mentionnée par l'intéressée, et a estimé que ces éléments étaient de nature à rendre Mme C... plus perméable à des tentatives d'approche de services de renseignement étrangers. Si Mme C..., qui ne conteste pas sérieusement la matérialité de ces faits, dès lors que l'administration

n'a retenu qu'une consommation occasionnelle de drogue et d'alcool lors d'occasions festives et non une consommation habituelle, soutient qu'elle a été victime d'un acharnement et de discrimination religieuse au motif qu'elle était la seule stagiaire dont le ministère aurait exigé qu'elle soit habilitée, le ministre produit un relevé de situation communiqué par les services du haut fonctionnaire de défense et de sécurité faisant état de l'habilitation d'autres stagiaires durant la période concernée. Mme C..., n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les affirmations du ministre ou à établir que le refus, opposé en raison du cumul de faits mentionnés supra, serait fondé sur des motifs étrangers aux intérêts de la défense nationale. Par suite, les décisions attaquées, qui n'ont pas pour objet d'apprécier la loyauté de l'intéressée vis-à-vis des autorités de son pays, mais d'apprécier sa vulnérabilité aux risques d'être approchée par des services de renseignement étrangers, ne sont pas entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris, a annulé ses décisions du 20 août et 27 octobre 2020, lui a enjoint de procéder à la suppression de toute mention de ces décisions dans le dossier de Mme C... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La demande présentée par Mme C... devant ce tribunal ainsi que ses conclusions d'appel au titre de frais exposés doivent par suite être rejetées, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2021552/6-1 du 27 mai 2022 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les demandes de Mme C... présentées devant Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à Mme B... C....

Délibéré après l'audience du 31 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2023.

La rapporteure,

Signé

E. TOPINLe président,

Signé

I. BROTONS

Le greffier,

Signé

A. MOHAMAN YERO

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03241
Date de la décision : 14/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle TOPIN
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS BUES et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-14;22pa03241 ?
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