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18/07/2023 | FRANCE | N°23PA01162

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 18 juillet 2023, 23PA01162


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2023 par lequel le préfet de police a décidé de la transférer vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2023 par lequel le préfet de police a décidé de le transférer vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°s 2301828 et 2301832/8 du 23 f

évrier 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir joint leurs demandes, a admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2023 par lequel le préfet de police a décidé de la transférer vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2023 par lequel le préfet de police a décidé de le transférer vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°s 2301828 et 2301832/8 du 23 février 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir joint leurs demandes, a admis Mme E... et M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé les arrêtés du préfet de police du 13 janvier 2023, a enjoint au préfet de police de leur délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Fournier au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 mars 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n°s 2301828 et 2301832/8 du 23 février 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme E... et M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- s'agissant de l'arrêté de transfert concernant Mme E..., à titre principal, le motif d'annulation retenu par le premier juge est fondé sur une erreur de plume, à titre subsidiaire, il y a lieu de substituer au motif erroné d'une entrée de l'intéressée en France le 8 octobre 2022 sous couvert d'un visa délivré par les autorités espagnoles le 8 juin 2022, celui d'une entrée de M. C... en France le 8 novembre 2022 sous couvert d'un visa délivré par les autorités espagnoles le 28 septembre 2022, et les autres moyens soulevés en première instance par Mme E... ne sont pas fondés ;

- s'agissant de l'arrêté de transfert concernant M. C..., le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris n'est pas fondé et les autres moyens soulevés en première instance par l'intéressé ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2023, Mme E... et M. C... concluent au rejet de la requête et demandent à la Cour :

1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros hors taxes à verser à leur conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de rejet de leur demande d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat la même somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les motifs d'annulation retenus par le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris sont fondés ;

- les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,

- et les observations de Me Fournier, avocate de Mme E... et M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... et son épouse, Mme E..., ressortissants russes, nés respectivement en 1992 et 1995, accompagnés de leurs filles mineures, ont demandé l'asile en France le 28 novembre 2022. La consultation du fichier Visabio a révélé que les autorités consulaires espagnoles en Russie ont délivré, le 28 septembre 2022, à M. C... un visa " Schengen " valable du 1er novembre 2022 au 15 décembre 2022. Après avoir délivré à Mme E... et M. C... une attestation de demande d'asile portant la mention " procédure Dublin ", le préfet de police a saisi le 21 décembre 2022 les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de M. C... sur le fondement de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que d'une demande de prise en charge de Mme E... sur le fondement de l'article 11 du même règlement. Ces autorités ont accepté expressément la prise en charge de Mme E... et de ses filles mineures, d'une part, et celle de M. C..., d'autre part, le 29 décembre 2022. Par deux arrêtés distincts du 13 janvier 2023, le préfet de police a décidé de transférer Mme E... et M. C... vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de leur demande d'asile. Le préfet de police fait appel du jugement du 23 février 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés.

Sur les demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 8 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique " Toute personne admise à l'aide juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d'exercice d'une voie de recours ".

3. Il résulte de ces dispositions que Mme E... et M. C... conservent de plein droit le bénéfice de leur admission à l'aide juridictionnelle totale dont ils ont bénéficié en première instance par des décisions du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du 15 mars 2023. Par suite, leur demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle au titre de l'instance introduite par le préfet de police devant la Cour est sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les motifs d'annulation retenus en première instance :

4. Aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Aux fins du présent règlement, on entend par : / (...) / " membres de la famille ", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : / - le conjoint du demandeur (...) / - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu'ils soient non mariés et qu'ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu'ils aient été adoptés au sens du droit national / (...) ". Aux termes de l'article 7 de ce règlement : " (...) / 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre / (...) ". Aux termes de l'article 11 du même règlement : " Lorsque plusieurs membres d'une famille (...) introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes : / a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux / b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux ". Aux termes de l'article 12 du même règlement : " (...) / 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) ". Aux termes de l'article 20 du même règlement : " 3. Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n'est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur (...) ".

5. Pour annuler l'arrêté portant transfert de Mme E... vers l'Espagne, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a estimé que le préfet de police n'établissait pas, contrairement aux mentions de cet arrêté, que l'intéressée serait entrée en France, à l'instar de son époux, M. C..., sous couvert d'un visa délivré par les autorités espagnoles et que, dès lors qu'il n'est pas établi que Mme E... aurait demandé l'asile dans un autre Etat membre que la France, celle-ci doit être regardée comme ayant présenté sa première demande d'asile auprès de la France qui est, par conséquent, l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. Par ailleurs, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a considéré que l'annulation de l'arrêté portant transfert de Mme E... vers l'Espagne impliquait, par voie de conséquence, celle de l'arrêté portant transfert de M. C... également vers l'Espagne dès lors que ce dernier arrêté aurait pour conséquence de séparer M. C... de son épouse. Le préfet de police se prévaut en appel d'une rédaction maladroite de l'arrêté portant transfert de Mme E... qui doit être regardé, selon lui, comme étant fondé non pas sur la détention par Mme E... d'un visa délivré par les autorités espagnoles, dont il reconnaît l'inexistence matérielle, mais sur le fait que son époux étant titulaire d'un tel visa, la demande d'asile de Mme E... devait être également examinée par l'Espagne en vertu de la procédure familiale prévue à l'article 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Toutefois, alors même que l'arrêté portant transfert de Mme E... fait état de l'article 11 du règlement précité du 26 juin 2013 et se réfère " à la comparaison des empreintes digitales de M. C... B... époux de Mme E..., au moyen du système " Visabio ", cet arrêté mentionne expressément que " Mme E... (...) épouse de M. C... (...) est entrée sur le territoire français le 8 octobre 2022 sous couvert d'un visa délivré par les autorités espagnoles le 8 juin 2022 ". Dans ces conditions, c'est à bon droit que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour annuler l'arrêté portant transfert de Mme E..., sur le motif tiré de ce que cet arrêté était entaché d'illégalité faute pour l'intéressée d'être titulaire d'un visa délivré par les autorités espagnoles et que l'annulation de cet arrêté impliquait, par voie de conséquence, celle de l'arrêté portant transfert de M. C... dès lors que ce dernier arrêté aurait pour conséquence de séparer M. C... de son épouse.

6. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Pour établir que l'arrêté portant transfert de Mme E... contesté était légal, le préfet de police invoque, pour la première fois en appel, un autre motif tiré de ce que, à la date de cet arrêté, M. C... était titulaire d'un visa en cours de validité délivré par les autorités espagnoles lorsqu'il a demandé le 28 novembre 2022 l'asile en France, et que, dès lors que l'examen de la demande d'asile de M. C... relève de la compétence de l'Espagne en vertu des dispositions précitées du 2 de l'article 12 du règlement du 26 juin 2013, il appartient également à cet Etat d'examiner la demande d'asile de Mme E... en application des dispositions précitées du b) de l'article 11 du même règlement dès lors que M. C... et Mme E... ont demandé simultanément l'asile en France, que leurs enfants mineures, qui les accompagnent, n'ont, en tout état de cause, présenté aucune demande d'asile et que M. C... est plus âgé que son épouse. Dans ces conditions, conformément aux dispositions du b) de l'article 11 règlement du 26 juin 2013, seul applicable en l'espèce, l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de M. C..., plus âgé que son épouse, à savoir l'Espagne, était aussi celui responsable de l'examen de la demande de cette dernière. Ainsi, il résulte de l'instruction que le préfet de police aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la substitution de motif demandée par le préfet de police ne prive pas Mme E... d'une garantie procédurale liée à ce motif, le préfet de police n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du b) de l'article 11 du règlement du 26 juin 2013 en considérant que l'examen de la demande d'asile de Mme E... relevait de la responsabilité de l'Espagne. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a annulé l'arrêté portant transfert de Mme E... ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté portant transfert de M. C....

8. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... et M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés en première instance par Mme E... et M. C... :

9. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers de première instance que, par un arrêté n° 2022-01543 du 30 décembre 2022 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial, le préfet de police a donné délégation à M. D..., attaché d'administration de l'Etat, signataire des arrêtés attaqués, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les arrêtés de transfert. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur des actes attaqués doivent être écartés.

10. En deuxième lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

11. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

12. Les arrêtés attaqués visent le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et précise que Mme E... et M. C... ont été identifiés comme étant entrés en France sous couvert chacun d'un visa délivré le 8 juin 2022 par les autorités espagnoles et que celles-ci, saisies par la France le 21 décembre 2022, ont accepté de prendre en charge M. C... en application de l'article 12 de ce règlement et Mme E... en application de l'article 11 du même règlement. Dès lors, les arrêtés en litige, dont la motivation s'apprécie indépendamment du bien-fondé des motifs retenus par le préfet de police, énoncent les considérations de droit et de fait sur lesquelles ils se fondent avec une précision suffisante pour permettre à Mme E... et M. C... de comprendre les motifs des décisions et, le cas échéant, d'exercer utilement leur recours. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des arrêtés contestés doivent être écartés.

13. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit sur la motivation comme des pièces du dossier que le préfet de police n'a pas entaché les décisions attaquées d'un défaut d'examen de la situation de Mme E... et M. C.... Par suite, ces moyens doivent être écartés.

14. En quatrième lieu, le guide du demandeur d'asile en France doit être remis, en vertu de l'article R. 521-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France, et la remise de la brochure " Les empreintes digitales et Eurodac ", en application des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Dès lors, Mme E... et M. C... ne peuvent, en tout état de cause, utilement soutenir, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les arrêtés décidant leur transfert aux autorités espagnoles, que ces documents ne leur auraient pas été remis avant le relevé de leurs empreintes digitales.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national / (...) ".

16. Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur.

17. D'une part, ni ces dispositions, ni aucun principe n'imposent que figure sur le compte rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien non plus que la durée de l'entretien. D'autre part, il ressort des pièces des dossiers de première instance que Mme E... et M. C... ont été reçus le 28 novembre 2022 par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, dont aucun élément ne permet de mettre en doute la qualification, et ont bénéficié de l'assistance d'un interprète en langue russe. Par suite, Mme E... et M. C... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions attaquées auraient été prises en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

18. En sixième lieu, s'il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 3, que le motif fondant l'arrêté portant transfert de Mme E... et tiré de ce que celle-ci est entrée en France sous couvert d'un visa délivré par les autorités espagnoles, repose sur des faits matériellement inexacts, il résulte néanmoins de ce qui a été dit au point 5 que le préfet de police aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder sur le motif substitué au point 5. Par ailleurs, si l'arrêté portant transfert de M. C... mentionne par erreur qu'un visa lui a été délivré par les autorités espagnoles le 8 juin 2022, il ressort toutefois des pièces du dossier que cette erreur constitue une simple erreur de plume dès lors que, lorsque l'intéressé a présenté sa demande d'asile en France le 28 novembre 2022, il était effectivement titulaire d'un visa délivré par l'Espagne le 28 septembre 2022. Ainsi, cette erreur de fait, qui ne revêt pas, compte tenu de ce qui vient d'être dit, un caractère substantiel, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté portant transfert de M. C.... Par suite, les moyens tirés d'une erreur de fait doivent être écartés.

19. En septième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ".

20. S'il ressort des pièces des dossiers de première instance que la mère de Mme E... bénéficie de la protection subsidiaire en France depuis le 9 avril 2021, celle-ci ne relève pas de la définition des " membres de la famille " pour l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et ainsi n'entre pas dans le champ d'application de l'article 9 de ce règlement.

21. En huitième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement / (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16 (...) ". Le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre. Cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en œuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 du même article du règlement.

22. D'une part, Mme E... et M. C..., qui demandent que leur demande d'asile soit examinée par la France, ne peuvent utilement soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient les dispositions précitées du 2. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que ces dispositions ont pour objet d'offrir à la France la faculté de demander la prise en charge de Mme E... et M. C... à un autre État membre que l'Espagne, non plus que le point 17 du préambule de ce règlement.

23. D'autre part, la faculté laissée à chaque État membre, par les dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Il ne ressort pas des pièces des dossiers de première instance, et n'est d'ailleurs pas allégué, que les demandes d'asile de Mme E... et M. C... ne pourraient pas être examinées en Espagne conformément aux garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, Mme E... et M. C... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient les dispositions précitées du 1. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

24. En neuvième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale / (...) ".

25. Si la mère de Mme E... réside régulièrement en France depuis le 9 avril 2021, et s'il est soutenu que son époux et leur fils âgé de huit ans vivent à ses côtés, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'arrêté attaqué aurait pour objet ou pour effet d'empêcher que la cellule familiale de Mme E... et M. C..., accompagnés de leurs filles mineures, puisse se reconstituer en Espagne, ni que les enfants du couple ne pourraient pas suivre une scolarité normale dans ce pays compte tenu de leur jeune âge, ni enfin que Mme E... entretiendrait des liens intenses et anciens avec sa mère, alors que Mme E... et son époux ne sont arrivés sur le territoire français qu'au cours du dernier trimestre de l'année 2022. Dans ces conditions, les arrêtés attaqués n'ont pas porté au droit de Mme E... et M. C... au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris, ni n'ont porté une atteinte à l'intérêt supérieur de leurs enfants. Ces arrêtés n'ont dès lors méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, ni encore les points 14 et 15 du préambule du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

26. En dernier lieu, les moyens tirés d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de Mme E... et M. C... doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 17 à 23.

27. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés à l'origine du litige. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les demandes de Mme E... et M. C... présentées devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les frais liés au litige :

28. Les conclusions présentées par Me Fournier, conseil de Mme E... et de M. C..., parties perdantes, sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire de Mme E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n°s 2301828 et 2301832 du 23 février 2023 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 4 : Les conclusions des demandes présentées par Mme E... et M. C... devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions présentées par Me Fournier devant la Cour au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... E... et à M. B... C....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,

C. JARDIN

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01162


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01162
Date de la décision : 18/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : FOURNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-18;23pa01162 ?
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