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10/10/2023 | FRANCE | N°22PA05302

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 10 octobre 2023, 22PA05302


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2220589 du 16 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé cet arrêté du 20 septembre 2022 en tant qu'i

l fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2220589 du 16 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé cet arrêté du 20 septembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. C..., Me Victor, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, dans le cas où le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne serait pas accordé à M. C... par le bureau d'aide juridictionnelle, à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2022, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a considéré que sa décision fixant le pays de destination avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé n'ayant pas démontré qu'il encourrait de façon suffisamment personnelle et certaine des risques de traitements contraires à ces stipulations et dispositions ;

- sur les autres moyens soulevés par M. C..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.

La requête du préfet de police a été communiquée à M. C... qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant afghan, né le 9 février 2000 et entré en France, selon ses déclarations, le 10 septembre 2021, a sollicité, le 14 septembre 2021, le bénéfice de l'asile. Sa demande a été rejetée par une décision du 22 février 2022 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 24 août 2022 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 20 septembre 2022, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai. Le préfet fait appel du jugement du 16 novembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. C..., annulé son arrêté du 20 septembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Pour annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 du préfet de police en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination de M. C..., le premier juge a considéré que, " depuis le 16 août 2021, la victoire militaire des forces talibanes conjuguée à la désagrégation des autorités gouvernementales et de l'armée nationale afghane et au retrait des forces armées étrangères a entraîné une désorganisation générale du pays " et que " compte tenu de la présence d'éléments plus ou moins incontrôlés, y compris parmi les différents groupes taliban locaux, et du niveau élevé de violence, d'insécurité et d'arbitraire de la part des autorités de fait, M. C... justifie qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine à un risque réel et personnel de subir des traitements inhumains ou dégradants ".

4. Cependant, à l'appui de sa demande devant le tribunal administratif, M. C... a fait valoir, s'agissant de ses craintes personnelles en cas de retour en Afghanistan, que, boucher de profession, il a été contacté par des taliban, quelques jours avant son départ de son pays, pour apporter cinq kilos de viande dans une localité, qu'un affrontement a éclaté entre les taliban et les forces afghanes à cet endroit et qu'il a été menacé de mort par les taliban, qui l'ont accusé d'avoir dénoncé leur position car il aurait été le seul au courant de cet emplacement. Toutefois, l'intéressé, dont la demande d'asile a, au demeurant, été rejetée par une décision du 22 février 2022 du directeur général de l'OFPRA, confirmée par une décision du 24 août 2022 de la CNDA, n'apporte aucun développement étayé, vraisemblable et cohérent sur les faits ainsi allégués et, en particulier, sur les raisons et les circonstances selon lesquelles des insurgés l'auraient approché afin de passer une telle commande, sur les échanges ou interactions qu'il aurait eus avec eux, sur l'affrontement ou les combats qui auraient eu lieu dans la localité où il devait se rendre, sur les menaces ou accusations que les taliban auraient proférées à son encontre ou encore sur l'organisation et les modalités de son départ de son pays. En outre, aucune source d'information publique disponible et pertinente, notamment les rapports de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, intitulés " Afghanistan - Security situation " et " Afghanistan - Targeting of individuals " d'août 2022 et " Afghanistan - Country Guidance " de janvier 2023, ne permet de considérer que le seul séjour en Europe d'un ressortissant afghan, afin notamment d'y demander l'asile, l'exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d'origine, à des menaces ou traitements au sens et pour l'application des stipulations et dispositions citées au point 2. En l'espèce, si M. C... a fait valoir qu'il encourrait des risques, en cas de retour dans son pays, à raison d'un profil " occidentalisé " réel ou imputé du seul fait de son séjour en Europe, il ne démontre nullement qu'il aurait acquis un tel profil " occidentalisé " ou qu'un tel profil pourrait lui être imputé en cas de retour en Afghanistan. A cet égard, son seul séjour en France ne saurait suffire à établir un tel profil ou à démontrer le risque d'une telle imputation en cas de retour dans son pays d'origine. Par ailleurs, il ressort des sources d'information publiques disponibles et pertinentes sur l'Afghanistan, notamment des rapports susmentionnés de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, que la victoire militaire des forces talibanes, au mois d'août 2021, a mis fin au conflit armé qu'a connu le pays durant de nombreuses années et qui a opposé les autorités gouvernementales et l'armée nationale afghane, appuyées par des forces armées étrangères, à des groupes armés insurgés, notamment les forces talibanes qui contrôlent, depuis lors, la quasi-totalité du territoire afghan. Il ressort également des mêmes sources que le degré de violence caractérisant le conflit armé, qui oppose désormais les autorités de fait gouvernant l'Afghanistan et certains groupes insurgés, tel que l'Etat islamique - Province du Khorassan (ISKP), et qui sévit dans les provinces de Badakhshan, Baghlan, Balkh, Kaboul, Kandahar, Kapisa, Kunar, Kunduz, Nangarhar, Panchir, Parwan et Takhar, n'atteint pas un niveau si élevé qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ce pays ou dans l'une de ces provinces courrait, du seul fait de sa présence dans l'une de ces provinces, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. Enfin, M. C... n'a fait état d'aucun autre élément de nature à considérer qu'il présenterait une vulnérabilité particulière à l'égard des forces talibanes désormais au pouvoir en Afghanistan. Ainsi, M. C... n'a apporté aucun élément sérieux ou convaincant permettant de considérer qu'il encourrait dans le cas d'un retour en Afghanistan, de manière suffisamment personnelle et certaine, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, en décidant que l'intéressé pourrait être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations et dispositions citées au point 2. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 20 septembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination au motif tiré d'une méconnaissance de ces stipulations et dispositions.

5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... contre la décision fixant le pays de destination.

6. En premier lieu, M. C... a fait valoir que la décision fixant le pays de destination serait illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, qui aurait été signée par une autorité incompétente et qui serait entachée d'une insuffisance de motivation et d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Toutefois, d'une part, la mesure d'éloignement en litige a été signée par M. B... A..., chef du 12ème bureau, qui disposait d'une délégation de signature à cet effet par un arrêté n° 2022-00999 du 19 août 2022 signé par le préfet de police et régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture le 22 août 2022.

8. D'autre part, la mesure d'éloignement contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, et est, par suite, suffisamment motivée.

9. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en obligeant à quitter le territoire français M. C..., entré en France le 10 septembre 2021, soit très récemment, et dont la demande d'asile a été rejetée par une décision du 22 février 2022 du directeur général de l'OFPRA, confirmée par une décision du 24 août 2022 de la CNDA, le préfet de police aurait commis une erreur manifeste dans son appréciation des conséquences de cette mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.

10. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.

11. En deuxième lieu, la décision attaquée, qui vise, notamment, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

12. En dernier lieu, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de police aurait omis de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de M. C... ou se serait cru, à tort, lié par les décisions du 22 février 2022 du directeur général de l'OFPRA et du 24 août 2022 de la CNDA, avant de fixer le pays de destination. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée la décision en litige doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 20 septembre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2220589 du 16 novembre 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par M. C... tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi et portant sur les frais de l'instance sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... C....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

I. MARIONLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA05302


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05302
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : VICTOR

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-10;22pa05302 ?
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