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07/05/2024 | FRANCE | N°22PA04832

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 07 mai 2024, 22PA04832


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Navco a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2020 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a interdit l'organisation du festival " Marvellous Island Festival " et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 537 990 euros en réparation du préjudice que lui a causé cet arrêté.



Par un jugement n°2008998 du 13 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a

rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Navco a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2020 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a interdit l'organisation du festival " Marvellous Island Festival " et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 537 990 euros en réparation du préjudice que lui a causé cet arrêté.

Par un jugement n°2008998 du 13 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 novembre 2022 et 5 février 2024, la société Navco, représentée par Me Dumez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 septembre 2022 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté mentionné ci-dessus du 4 septembre 2020 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 537 990 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 4 septembre 2020 est entaché d'un vice de procédure car il n'a pas été précédé d'un avis du directeur de l'agence régionale de santé ;

- cet arrêté porte une atteinte excessive aux principes de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie en ce que la mesure d'interdiction du festival n'était ni nécessaire ni proportionnée pour permettre d'assurer la protection de la santé publique, alors qu'elle avait la capacité de garantir le respect des mesures prévues par le décret du 10 juillet 2020 ;

- l'arrêté litigieux méconnaît le principe d'égalité entre les justiciables dès lors que l'ouverture du parc Eurodisney situé à dix kilomètres du lieu où devait se tenir le festival a été autorisé ;

- l'illégalité de l'arrêté litigieux est constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;

- elle a subi un préjudice financier évalué à 407 990 euros, ainsi qu'un préjudice découlant de la perte de chance évalué à 90 000 euros et un préjudice moral et d'image évalué à 40 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Navco sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

- le décret n° 2020-1096 du 28 août 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de M. A..., représentant la société Navco.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 août 2020, la société Navco a adressé au préfet de Seine-et-Marne une déclaration portant sur l'organisation de la huitième édition du festival " Marvellous Island Festival " sur la base de loisirs de Vaires-Torcy qui devait se tenir les 19 et 20 septembre 2020. Ce festival a été interdit par le préfet de Seine-et-Marne, par un arrêté en date du 4 septembre 2020, en raison de la dégradation de la situation sanitaire. La société Navco a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler cet arrêté et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 537 990 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de cet arrêté. Par un jugement du 13 septembre 2022, dont la société Navco relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire : " I. - A compter du 11 juillet 2020, et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, hors des territoires mentionnés à l'article 2, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : / 1° Réglementer ou, dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, interdire la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l'accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ; / 2° Réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des locaux à usage d'habitation, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité. La fermeture provisoire d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunions peut, dans ce cadre, être ordonnée lorsqu'ils accueillent des activités qui, par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu'ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus / 3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ; (...) / II. Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I, il peut habiliter le représentant de l'État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions. / Lorsque les mesures prévues au même I doivent s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas le territoire d'un département, le Premier ministre peut habiliter le représentant de l'État dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. Cet avis est rendu public. / Le Premier ministre peut également habiliter le représentant de l'État dans le département à ordonner, par arrêté pris après mise en demeure restée sans effet, la fermeture des établissements recevant du public qui ne mettent pas en œuvre les obligations qui leur sont imposées en application du 2° dudit I. / III. - Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l'objet d'une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent (...)".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé alors en vigueur : " I. - Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières , définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance / II. - Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures. Dans les cas où le port du masque n'est pas prescrit par le présent décret, le préfet de département est habilité à le rendre obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent. ". Aux termes du II de l'article 3 de ce décret : " II. - Les organisateurs des rassemblements, réunions ou activités mentionnés au I mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes adressent au préfet de département sur le territoire duquel la manifestation doit avoir lieu, sans préjudice des autres formalités applicables, une déclaration contenant les mentions prévues à l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, en y précisant, en outre, les mesures qu'ils mettent en œuvre afin de garantir le respect des dispositions de l'article 1er du présent décret. / Sans préjudice des dispositions de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, le préfet peut en prononcer l'interdiction si ces mesures ne sont pas de nature à permettre le respect des dispositions de l'article 1er. ".

4. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que l'avis du directeur général de l'agence régionale de santé ne doit être préalablement recueilli et rendu public que lorsque la mesure édictée par le représentant de l'Etat dans le département a été prise sur habilitation du Premier ministre, et porte sur une ou plusieurs des mesures limitativement mentionnées aux 1° à 4° du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020. Or, l'arrêté attaqué, qui prononce l'interdiction de la tenue de la huitième édition du festival " Marvellous Island Festival ", a été pris sur le fondement des dispositions précitées du II de l'article 3 du décret du 10 juillet 2020 alors en vigueur après que la société NAVCO eût adressé aux services de l'Etat une déclaration concernant l'organisation de ce festival. Ces dispositions autorisent le représentant de l'Etat à interdire toute manifestation si les mesures envisagées ne sont pas de nature à permettre le respect de celles prévues à l'article 1er du même décret. L'arrêté contesté, qui porte interdiction d'une manifestation après le dépôt de la déclaration prévue par le décret, n'a, en revanche, pas pour objet de réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public tels que visés au 3° du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 précitée. Il n'entre pas davantage dans une des autres rubriques mentionnées aux I. de cet article. Il suit de là, et contrairement à ce que soutient la société requérante, que le préfet de Seine-et-Marne pouvait régulièrement interdire le festival sans recueillir préalablement l'avis du directeur général de l'agence régionale de santé.

5. En deuxième lieu, l'arrêté contesté interdisant le festival a alors été pris au motif que, eu égard à la reprise de l'épidémie dans le département de Seine-et-Marne, la tenue du festival était de nature à entraîner un brassage de population, principal vecteur de propagation du virus du Covid-19. Si la circulation de ce virus restait limitée à la date de la décision litigieuse, le taux d'incidence était néanmoins passé sur une période d'une quinzaine de jours de 32,4 cas pour 100 000 personnes sur la période du 13 au 19 août 2020 à 60,68 cas pour 100 000 personnes sur la période du 31 août au 6 septembre, ce qui avait d'ailleurs entraîné l'inscription du département de Seine-et-Marne, à la date de l'arrêté attaqué, dans la liste des zones de circulation active du virus covid-19. Par ailleurs, alors qu'il ressort des pièces du dossier que l'affluence attendue par les organisateurs était de 4 850 spectateurs, très proche du seuil fixé au V de l'article 3 du décret précité qui interdisait tout événement réunissant plus de 5 000 personnes, il n'est pas contesté que la majorité des participants provenaient d'autres départements français ainsi que de l'étranger, pouvant ainsi participer à une diffusion du virus au niveau national. En outre, et alors même qu'il était prévu un espace théorique par personne dépassant, à l'échelle du festival entier, les 4 m2, il résulte de l'avis émis le 17 juin 2020 par le Haut conseil pour la santé publique que la distanciation physique est en général difficile à respecter pour des évènements de grande ampleur, avec placement libre ou favorisant la libre circulation des personnes en intérieur ou en extérieur, planifiés et contrôlés par un organisateur et que cette difficulté est encore accrue pour, comme en l'espèce, les grands concerts dès lors que ces évènements conduisent naturellement à des attroupements devant les scènes. Certes, la société Navco avait prévu une série de mesures de prévention et de contrôle contenues dans une " Charte sanitaire " transmise dès le 17 juillet 2020 au service instructeur qui n'avait émis aucune objection jusqu'à la date de l'arrêté querellé. Toutefois, si ce protocole sanitaire prévoyait une jauge de 5 m² séparant les spectateurs, comme il a été dit ci-dessus, la nature de la manifestation ne permettait pas de préjuger qu'une telle distance aurait été effectivement respectée pendant toute la durée du festival. De plus les mesures relatives au port du masque n'étaient pas optimales, la charte prévoyant l'existence de zones où le masque n'était pas obligatoire. Par ailleurs, aucune consigne n'était donnée sur les modalités de consommation de nourriture ou de boisson alors qu'il est admis que les moments de restauration sont propices à la diffusion du virus. Enfin, le plan de circulation ne couvrait pas toute la partie réservée au festival. Ces mesures ne pouvaient donc être regardées comme ayant été de nature à permettre, conformément au II de l'article 3 du décret du 10 juillet 2020 précité, le respect des dispositions de l'article 1er de ce décret, à savoir le " strict respect ", " en tout lieu et en toute circonstance ", des mesures d'hygiène et de distanciation sociale eu égard, en particulier, au nombre de personnes attendues et la durée du festival. Dès lors, et quel que soit le sérieux des mesures qu'elle proposait de mettre en place, la société Navco n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l'article 3 du décret du 10 juillet 2020 et que la mesure d'interdiction du festival n'était pas nécessaire et proportionnée.

6. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, l'atteinte portée par le préfet de Seine-et-Marne aux principes de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie en interdisant l'organisation du festival doit, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment du nombre de personnes attendues et de la durée du festival, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu au sens des dispositions sus rappelée du III de l'article 1 de la loi du 9 juillet 2020. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces principes doit être écarté.

7. En dernier lieu, la société requérante se prévaut d'une méconnaissance du principe d'égalité du fait que le parc Eurodisney était resté ouvert à la date de l'interdiction du festival. Toutefois, le parc Eurodisney est un établissement recevant du public relevant de l'article R.143-2 du code de la construction et de l'habitation alors que le festival " Marvellous Island " appartient à la catégorie des rassemblements festifs à caractère musical définie par l'article L.211-5 du code de la sécurité intérieure. L'autorité administrative a donc pu légalement traiter différemment des situations différentes. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit également être écarté et les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2020 rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le préfet de Seine-et-Marne n'a commis, par son arrêté du 4 septembre 2020 interdisant la manifestation " Marvellous Island Festival ", prévue les 19 et 20 septembre 2020 sur la base de loisirs de Vaires-Torcy, aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet de Seine-et-Marne, les conclusions de la société requérante tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de cet arrêté ne peuvent qu'être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Navco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er :La requête de la société Navco est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Navco et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 23 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2024.

Le rapporteur,

D. PAGES

La présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04832


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04832
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : CABINET LEAD UP

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-07;22pa04832 ?
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