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25/05/2023 | FRANCE | N°22TL22647

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 25 mai 2023, 22TL22647


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler son titre de séjour " vie privée et familiale " et l'a obligée à quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2105935, 2105936 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 décembre 2022 et le 12

avril 2023, Mme E..., représentée par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler son titre de séjour " vie privée et familiale " et l'a obligée à quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2105935, 2105936 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 décembre 2022 et le 12 avril 2023, Mme E..., représentée par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 du préfet de l'Hérault ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa demande de renouvellement d'un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement emportant renonciation à l'indemnité accordée au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- le refus de séjour est entaché d'irrégularité dès lors que le préfet était tenu de saisir la commission du titre de séjour ;

- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour et des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire enregistré le 31 mars 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une décision du 23 novembre 2022, Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par ordonnance du 13 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 26 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Virginie Restino, première conseillère,

- et les observations de Me Barbaroux, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., de nationalité turque, déclare être entrée en France en 2001 accompagnée de son époux et de leurs deux enfants mineurs, A... et D..., nés respectivement en Turquie en 1994 et en Allemagne en 1997. Le troisième enfant du couple, C..., est né en France en juillet 2004. Mme E... a présenté en avril 2001, sous couvert de documents d'identité falsifiés, une demande d'asile politique auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui l'a rejetée par une décision du 17 février 2003, laquelle a été confirmée par une décision de la Commission des recours des réfugiés du 9 juillet 2003. Sa demande de réexamen a été successivement rejetée par cet office et par cette commission les 7 juillet 2004 et 14 avril 2005. Le 14 juin 2007, le préfet de l'Hérault a délivré à Mme E..., sous son identité falsifiée, un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. Son titre de séjour a, par la suite, été renouvelé sans interruption. Le 15 décembre 2015, à l'occasion de la demande de renouvellement de ce titre de séjour, l'intéressée a révélé sa véritable identité au préfet de l'Hérault et lui a avoué avoir fait usage de documents d'identité falsifiés pour obtenir son titre de séjour et ses renouvellements successifs. Le préfet de l'Hérault a alors renouvelé son titre de séjour pour une durée de deux ans, du 23 novembre 2016 au 22 novembre 2018, sous sa fausse identité. A l'occasion de l'examen de la demande de renouvellement présentée par l'intéressée le 5 novembre 2018, le préfet de l'Hérault a, cette fois-ci, saisi la direction interdépartementale de la police aux frontières de Montpellier d'une demande d'enquête, qui a confirmé l'utilisation de documents d'identité falsifiés. Le préfet de l'Hérault en a avisé le procureur de la République de Montpellier. Par un arrêté du 30 avril 2021, il a refusé le renouvellement du titre de séjour de l'intéressée et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme E... relève appel du jugement du 14 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir statuant sur la légalité des décisions prises en matière de séjour ou d'obligation de quitter le territoire français, de tenir compte de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux constatations de fait mentionnées dans une décision définitive du juge pénal statuant sur le fond de l'action publique et qui sont le support nécessaire de son dispositif. Lorsqu'un juge pénal a relevé qu'un étranger a fait usage de faux documents administratifs, il ne découle pas nécessairement de telles constatations que l'ensemble des actes accomplis sous l'identité ainsi usurpée doivent être regardés comme accomplis par l'étranger qui s'est rendu coupable de cette usurpation. Il incombe au juge administratif, pour apprécier la réalité du séjour de l'étranger et la consistance de ses liens personnels et familiaux pour l'application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'apprécier l'ensemble des pièces produites par l'intéressé, en tenant compte de la nature particulière des documents produits sous couvert d'une usurpation d'identité.

4. Aux termes de l'article 132-59 du code pénal : " La dispense de peine peut être accordée lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a cessé (...) ".

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier, sans que cela soit contesté, qu'à la date de l'arrêté contesté Mme E... résidait en France de manière habituelle et continue depuis vingt ans et sous couvert d'un titre de séjour à compter de juin 2007, quoique obtenu sous une identité falsifiée. Elle a, avec son époux, fixé le centre de ses intérêts personnels en France où elle a aussi l'essentiel de ses attaches familiales et où elle a longtemps disposé d'un emploi stable. Ses deux enfants majeurs, arrivés en France respectivement âgés de sept et quatre ans, ont effectué toute leur scolarité en France, où ils ont également le centre de leurs intérêts personnels et où ils résident désormais sous couvert de titres de séjour pluriannuels. Son fils mineur, âgé de dix-sept ans à la date de l'arrêté critiqué, est né en 2004 en France où il a toujours vécu, où il a effectué toute sa scolarité et où se trouve le centre de ses intérêts personnels. D'autre part, si l'intéressée s'est rendue coupable des faits d'obtention frauduleuse d'une carte d'identité falsifiée pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour, il est constant qu'elle a spontanément révélé cette infraction au préfet de l'Hérault en décembre 2015. D'ailleurs, si le tribunal judiciaire de Montpellier l'a, par un jugement du 11 mai 2021 devenu définitif, déclarée coupable des faits d'obtention de document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation pour la période du 1er mars 2001 au 21 décembre 2015, il l'a dispensée de peine sur le fondement de l'article 132-59 du code pénal. Ce faisant, le juge pénal a considéré que le reclassement de Mme E... était acquis, que le dommage causé était réparé et que le trouble résultant de l'infraction avait cessé. Par conséquent, eu égard à la situation familiale de Mme E..., à la durée et aux conditions de son séjour sur le territoire national, la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler son titre de séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, a porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi. L'arrêté préfectoral contesté doit, dès lors, être annulé dans toutes ses dispositions.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 30 avril 2021.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :

7. Aux termes des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, et alors, d'une part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la situation de Mme E... aurait été modifiée en droit ou en fait depuis l'intervention de l'arrêté attaqué et, d'autre part, qu'un motif tenant à l'ordre public ferait obstacle à la délivrance d'un titre de séjour, que l'administration délivre à la requérante une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer le titre de séjour susmentionné, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la requérante.

Sur les frais liés au litige :

9. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Toutefois, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ruffel d'une somme au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 14 avril 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler le titre de séjour de Mme E... et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à Mme E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., à Me Christophe Ruffel et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Barthez, président,

M. Lafon, président assesseur,

Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.

La rapporteure,

V. Restino

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22TL22647


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22647
Date de la décision : 25/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Virginie RESTINO
Rapporteur public ?: Mme CHERRIER
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-05-25;22tl22647 ?
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