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10/07/2023 | FRANCE | N°23TL00367

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 10 juillet 2023, 23TL00367


Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2207149 rendu le 21 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 13 d

écembre 2022, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deu...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2207149 rendu le 21 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 13 décembre 2022, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 10 février 2023 sous le n° 23TL00367, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 décembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2023, Mme D... A..., représentée par Me Mercier, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de ce que son signataire bénéficiait d'une délégation pour la déposer ;

- à titre subsidiaire, d'une part, le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé et, d'autre part, l'ensemble des moyens soulevés par elle en première instance à l'encontre des deux arrêtés en litige sont repris en appel.

Par une ordonnance du 11 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 26 avril 2023.

Par une décision du 5 juillet 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

II - Par une requête enregistrée le 10 février 2023 sous le n° 23TL00368, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 21 décembre 2022 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et ce moyen, sérieux, est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;

- l'exécution de ce même jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert engagée à l'encontre de l'intéressée.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2023, Mme D... A..., représentée par Me Mercier, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son avocate sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de ce que son signataire bénéficiait d'une délégation pour la déposer ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 11 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 26 avril 2023.

Par une décision du 5 juillet 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, née le 22 décembre 1992, est entrée en France le 18 septembre 2022 et s'est présentée le 22 septembre suivant à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. Lors de l'enregistrement de son dossier, le relevé de ses empreintes digitales a révélé que l'intéressée avait fait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 11 septembre 2022. Les autorités françaises ont saisi les autorités italiennes en vue de la prise en charge la demande d'asile de Mme A... et, en l'absence de réponse de la part de ces autorités, leur accord implicite a pu être constaté le 28 novembre 2022. Par un premier arrêté du 13 décembre 2022, le préfet de la Haute-Garonne a décidé de transférer l'intéressée aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Par un autre arrêté pris le même jour, le préfet l'a assignée à résidence pour une période de quarante-cinq jours. Par un jugement rendu le 21 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a prononcé l'annulation des deux arrêtés du 13 décembre 2022, a enjoint au préfet de réexaminer la situation administrative de Mme A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens. Par la requête n° 23TL00367, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 23TL00368, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur l'admission de Mme A... à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par décisions du 5 juillet 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale. En conséquence, les demandes de l'intéressée tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire se trouvent dépourvues d'objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions à fin d'annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL00367 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par l'intimée :

3. Par un arrêté du 30 janvier 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Garonne le jour même, le préfet de ce département a donné délégation à M. B... C..., chef du bureau de l'asile au sein de cette préfecture, pour signer notamment l'ensemble des pièces, mémoires et requêtes relatives au contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et les juridictions judiciaires. En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par l'intimée tirée de l'incompétence du signataire de la requête d'appel présentée au nom du préfet de la Haute-Garonne ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :

4. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée, / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères, / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations, / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert, / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement, / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...). ".

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, lequel doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement constitue une garantie pour le demandeur d'asile.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre, lors de l'entretien individuel tenu à la préfecture de la Haute-Garonne le 22 septembre 2022, d'une part, le " Guide du demandeur d'asile en France " et la brochure intitulée " Les empreintes digitales et Eurodac " et, d'autre part, les deux fascicules constituant la brochure commune mentionnée au paragraphe 2 de l'article 4 du règlement précité, à savoir le fascicule A intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le fascicule B intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dans lesquels se trouvent l'ensemble des informations énumérées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. L'ensemble de ces documents étaient rédigés en langue française, que l'intéressée a indiqué comprendre et qui est d'ailleurs la langue officielle de son pays d'origine. Si Mme A... a signé les pages de garde de ces brochures en y apposant une simple croix et si l'intéressée a soutenu à l'audience devant le tribunal administratif qu'elle ne savait pas lire le français, il ne ressort d'aucune pièce du dossier et il n'est pas même allégué qu'elle aurait avisé l'agent de la préfecture d'une telle incapacité lors de l'entretien individuel. Le résumé de l'entretien, produit par l'administration précise par ailleurs que l'intimée a été informée de la procédure engagée à son encontre et ne fait apparaître aucune difficulté de compréhension ou de communication entre l'intéressée et l'agent de la préfecture ayant conduit cet entretien. Il en ressort au contraire que Mme A... a été mise à même de poser les questions utiles sur la procédure à laquelle elle était soumise et qu'elle a présenté des observations circonstanciées sur la perspective d'un éventuel transfert aux autorités italiennes. En outre, à supposer même que l'intéressée ne sache pas lire le français, le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement imposait seulement de lui communiquer par oral les informations nécessaires à sa bonne compréhension et n'exigeait pas qu'il soit procédé à une lecture intégrale de la vingtaine de pages que représentent les brochures A et B, seules visées par l'article 4. Enfin, si Mme A... soutient que l'entretien aurait duré vingt minutes, il n'apparaît pas que cette durée aurait été insuffisante pour lui fournir les éléments requis sur la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Il s'ensuit que l'intéressée n'a pas été privée des garanties prévues par l'article 4 du règlement précité. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés litigieux, le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que la mesure de transfert aux autorités italiennes était entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de cet article.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance et en appel au soutien de sa demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 13 décembre 2022.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme A... :

S'agissant de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :

8. En premier lieu, l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes vise les stipulations et dispositions dont le préfet de la Haute-Garonne a fait application et indique de manière précise et circonstanciée les éléments de fait sur lesquels il s'est fondé pour édicter cette mesure à l'encontre de l'intimée. L'arrêté de transfert est ainsi suffisamment motivé.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien. / 5. L'entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien rédigé un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, que Mme A... a bénéficié le 22 septembre 2022, jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013. Il ressort du résumé produit par l'administration que cet entretien a été mené par un agent qualifié de la préfecture de la Haute-Garonne en langue française, laquelle est comprise par l'intéressée. Il en ressort également que Mme A... a pu s'exprimer sur sa situation personnelle et son parcours migratoire et qu'elle a notamment été mise à même de présenter toutes observations utiles sur la perspective d'un transfert aux autorités italiennes. L'intimée n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'élément précis de nature à laisser penser que l'entretien ne se serait pas tenu selon les modalités prévues par l'article 5 du règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure suivie serait irrégulière au regard des dispositions de cet article doit être écarté.

11. En troisième lieu, il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni des autres pièces du dossier, que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation particulière de Mme A.... Il n'en ressort pas davantage que le préfet se serait estimé lié par la circonstance que la demande d'asile de l'intéressée semblait relever de la responsabilité des autorités italiennes ou qu'il n'aurait pas apprécié la possibilité de lui faire application de la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs.

13. Mme A..., levant le secret médical, fait valoir qu'elle présente une pathologie gynécologique à l'origine de douleurs chroniques, ainsi qu'une pathologie hémostatique et une vulnérabilité psychique particulière. Il est vrai que l'intéressée avait indiqué lors de l'entretien individuel du 22 septembre 2022 qu'elle souhaitait bénéficier de soins en France et qu'elle a versé aux débats des pièces attestant qu'une prise en charge médicale avait été initiée avant l'édiction de l'arrêté litigieux pour sa pathologie gynécologique. Il n'en reste pas moins que la plupart des pièces médicales dont se prévaut Mme A... se rapportent à des soins et des examens réalisés postérieurement à cet arrêté. En outre, aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'intéressée ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés en cas de transfert vers l'Italie ou que son état de santé s'opposerait à l'exécution de ce transfert. En particulier, la seule circonstance invoquée par l'intimée que les autorités italiennes avaient annoncé le 5 décembre 2022 leur intention de suspendre provisoirement la reprise en charge des demandeurs d'asile en raison de l'état de saturation des centres d'hébergement locaux n'est pas suffisante pour estimer que l'éloignement de l'intéressée vers ce pays à l'issue de cette période de suspension aurait été de nature à interrompre brutalement sa prise en charge médicale et à mettre en péril son état de santé. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

S'agissant de l'arrêté portant assignation à résidence :

Quant à l'exception de non-lieu opposée par le préfet :

14. L'article 3 de l'arrêté portant assignation à résidence imposait à Mme A... de se présenter tous les lundis et mardis au commissariat central de police de Toulouse. L'intervenante sociale du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile ayant signalé que l'intéressée n'était pas hébergée à Toulouse, mais à Roques-sur-Garonne, les services du pôle régional Dublin de la préfecture de la Haute-Garonne lui ont adressé le 14 décembre 2022 un message électronique indiquant que " l'arrêté d'assignation à résidence est annulé ". Si le préfet s'est prévalu de cette réponse pour soutenir devant le premier juge qu'il n'y aurait plus lieu de statuer sur la demande d'annulation de cet arrêté, un tel message électronique, dont le signataire n'est au demeurant pas identifié, ne saurait suffire pour considérer que l'arrêté en cause aurait été retiré ou abrogé. En conséquence et ainsi que l'a retenu le magistrat désigné au point 3 du jugement litigieux, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet doit être écartée.

Quant la légalité de l'arrêté d'assignation à résidence :

15. En premier lieu, l'arrêté portant assignation à résidence mentionne les textes sur lesquels il se fonde, rappelle l'arrêté de transfert pris à l'encontre de Mme A... et précise les raisons pour lesquelles le préfet de la Haute-Garonne a estimé que l'exécution du transfert de l'intéressée constituait une perspective raisonnable. Il est ainsi suffisamment motivé.

16. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 13 du présent arrêt que l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes n'est pas entaché d'illégalité. Dès lors, l'arrêté portant assignation à résidence n'est pas dépourvu de base légale.

17. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. / (...) ".

18. Eu égard à l'accord implicite des autorités italiennes pour la prise en charge de Mme A..., lequel était valable pour une période de six mois à la date de l'arrêté contesté, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que l'exécution de la mesure de transfert constituait une perspective raisonnable. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être également écarté.

19. En quatrième lieu, si une décision d'assignation à résidence doit comporter les modalités de contrôle permettant de s'assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l'étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations, ces modalités de contrôle sont divisibles de la mesure d'assignation à résidence elle-même. Il en résulte qu'une illégalité entachant les seules modalités de contrôle de la mesure n'est pas de nature à justifier l'annulation de la décision d'assignation à résidence dans sa totalité.

20. En l'espèce, ainsi qu'il a été indiqué au point 14 du présent arrêt, il ressort des pièces du dossier que Mme A... était hébergée dans un centre d'accueil à Roques-sur-Garonne à la date à laquelle l'arrêté prononçant l'assignation à résidence a été édicté, ce dont l'autorité préfectorale ne conteste au demeurant pas avoir été informée avant cette édiction. L'article 1er de l'arrêté litigieux indique pourtant que l'intéressée serait hébergée rue Montaugé à Toulouse et son article 3 lui impose de se présenter les lundis et mardis matins au commissariat central de police de cette commune, lequel se situe à dix-sept kilomètres de son lieu d'hébergement. Par suite, l'intimée est fondée à soutenir que ledit arrêté est entaché d'une erreur de fait, laquelle ne justifie toutefois son annulation qu'en tant qu'il impose cette obligation de pointage.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 21 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé, d'une part, l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes et, d'autre part, l'arrêté portant assignation à résidence, à l'exception de l'article 3 de ce dernier arrêté. Il en résulte que c'est également à tort que le premier juge a enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la situation de l'intéressée et qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par l'intimée au titre de l'instance n° 23TL00367 :

22. Le présent arrêt rejette la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté prononçant son transfert aux autorités italiennes et ne confirme que partiellement l'annulation de l'arrêté prononçant son assignation à résidence. Il n'implique aucune mesure d'exécution particulière au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentée par l'intimée doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le préfet dans la requête n° 23TL00368 :

23. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 21 décembre 2022, les conclusions du préfet tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux litiges :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les sommes réclamées par l'intimée au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de Mme A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : L'article 2 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 21 décembre 2022 est annulé en tant qu'il porte, d'une part, sur l'arrêté du 13 décembre 2022 portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes et, d'autre part, sur l'arrêté du même jour portant assignation à résidence de l'intéressée, à l'exception de l'article 3 de ce dernier arrêté.

Article 3 : Les articles 3 et 4 du jugement du 21 décembre 2022 sont annulés.

Article 4 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée, sauf en tant qu'elle tend à l'annulation de l'article 3 de l'arrêté du 13 décembre 2022 portant assignation à résidence de l'intéressée.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL00368.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme D... A... et à Me Mercier.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2023.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23TL00367, 23TL00368


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00367
Date de la décision : 10/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Florian JAZERON
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : MERCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-07-10;23tl00367 ?
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