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14/09/2023 | FRANCE | N°23TL00662

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 14 septembre 2023, 23TL00662


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2204630 du 27 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administr

atif de Montpellier a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2204630 du 27 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 mars, 17 mai et 12 juin 2023, M. B..., représenté par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 octobre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 6 septembre 2022 ;

3°) de condamner l'Etat à payer la somme de 1 500 euros à son conseil au titre des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- l'arrêté préfectoral méconnaît les alinéas 2 et 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le contenu de l'expertise médicale, le rapport d'analyse documentaire réalisée par la direction zonale de la police aux frontières et le montant du préjudice allégué par le conseil départemental constituant le dossier pénal ont été obtenus de façon déloyale par les services préfectoraux ;

- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de séparation des pouvoirs ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a nié la valeur probante de sa carte d'identité consulaire ;

- sa minorité est incontestable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... se disant B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 23 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 14 juin 2023.

Par une décision du 17 février 2023, M. A... se disant B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente rapporteure,

- et les observations de Me Carbonnier, substituant Me Ruffel, représentant M. A... se disant B....

Une note en délibéré présentée pour M. B... a été enregistrée le 13 septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... se disant B..., ressortissant guinéen, entré en France en 2021 selon ses dires, a obtenu à compter du 11 août 2021, une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du conseil départemental du Gard, puis de l'Hérault. M. A... se disant B... a été placé en garde à vue le 6 septembre 2022 pour des faits de fausses déclarations et faux et usage de faux documents administratifs. Par un arrêté du 6 septembre 2022, le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de deux ans. M. A... se disant B... relève appel du jugement du 27 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie " (...) " 3. Tout accusé a droit notamment à (...) c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...)".

3. M. A... se disant B... ne saurait utilement invoquer ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ne sont pas applicables aux procédures administratives. Par ailleurs, la circonstance que le tribunal correctionnel l'a convoqué à l'audience du 12 janvier 2023 est sans incidence sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur ce même territoire. Au demeurant, l'intéressé n'apporte en appel aucun élément relatif à l'issue de cette procédure pénale.

4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) 5o Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ". Selon les termes de l'article L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Selon l'article 388 du code civil : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé ".

6. La présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ne peut être renversée par l'administration qu'en apportant la preuve, en menant les vérifications utiles, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il en va ainsi lorsqu'il s'agit pour le préfet d'établir qu'un étranger est majeur et ne peut, en conséquence, bénéficier de la protection prévue en faveur des étrangers mineurs par le 1° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... se disant B..., qui a déclaré n'avoir jamais fait l'objet d'un relevé de ses empreintes durant son parcours, a toutefois été identifié en Allemagne, lors de son entrée illégale dans ce pays le 12 décembre 2016, où il a alors déclaré se nommer C... B... et être né le 1er janvier 1998 à Faranah en Guinée dans le cadre d'une demande d'asile, puis lors d'une seconde prise d'empreintes le 16 mai 2017 à Bremen, se nommer C... B... et être né le 1er juillet 2001 à Faranah (Guinée). Pour justifier de sa minorité, l'appelant a produit un jugement supplétif d'acte de naissance, attestant de son identité comme M. C... B... né le 20 mars 2006 à Faranah (Guinée) et un extrait d'acte de transcription de naissance. Dans le cadre d'une enquête judiciaire diligentée sur instruction du vice-procureur de la République chargé des mineurs près le tribunal judiciaire de Montpellier, l'unité judiciaire et d'investigation de la direction zonale de la police aux frontières de Montpellier a relevé notamment que le jugement supplétif et l'extrait du registre de transcription ne portaient pas la double légalisation franco-guinéenne et que le jugement supplétif ne vise pas l'article adéquat du code de l'enfant et de la famille guinéen. En outre, sur réquisition du Parquet, une expertise osseuse du requérant a été réalisée le 16 décembre 2021 par un médecin expert judiciaire, avec le consentement de l'intéressé. Ce médecin a estimé, sur la base de cet examen, que le requérant présentait un âge de maturité osseuse comprise entre 19 ans pour la fourchette basse et 23 ans, pour la fourchette haute. En outre, le médecin légiste a relevé que ses constatations ne corroborent pas l'âge allégué par M. A... se disant B... de 15 ans et 9 mois. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et nonobstant la marge d'erreur des tests osseux et la production d'une carte d'identité consulaire, qui a été délivrée postérieurement à l'arrêté contesté sur le fondement du jugement supplétif précité et ne peut être ainsi de nature à établir l'état-civil de l'intéressé, le préfet de l'Hérault a pu légalement estimer que le requérant n'établissait pas être mineur et prendre à son encontre la mesure d'éloignement litigieuse, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni le principe de présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère prévu par l'article 47 du code civil. Enfin, il n'est pas établi que le préfet de l'Hérault aurait manqué de loyauté ni qu'il aurait violé le principe de séparation des pouvoirs en obligeant l'intéressé à quitter le territoire sur le fondement de la procédure pénale précitée.

8. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre ou à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... se disant B..., célibataire et sans enfant, déclare être entré irrégulièrement en France au mois d'août 2021. Majeur à la date de la décision contestée, il a fait usage de documents d'identité contrefaits pour bénéficier du statut de mineur isolé et d'un placement en assistance éducative d'une durée de 339 jours auprès de l'aide sociale à l'enfance de l'Hérault. Scolarisé en classe de 3ème au collège Marcel Pagnol de Montpellier, il ne démontre pas que son processus de formation ne pourrait être poursuivi dans son pays d'origine. Ainsi, et alors même qu'il n'est ni établi ni allégué que l'intéressé aurait des attaches familiales en France, le préfet de l'Hérault, en l'obligeant à quitter le territoire, n'a pas porté au droit de M. A... se disant B... au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par cette décision. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... se disant B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. A... se disant B..., partie perdante, tendant à leur application.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... se disant B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... se disant C... Condé, à Me Ruffel et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-Demaret La présidente assesseure,

A. Blin

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°23TL00662


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00662
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-14;23tl00662 ?
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