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13/03/2014 | FRANCE | N°12VE03012

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 13 mars 2014, 12VE03012


Vu la requête, enregistrée le 7 août 2012, présentée pour M. E... D..., élisant domicile..., par Me Tabone, avocat ; M. D...demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102287 en date du 5 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 mars 2011 par lequel le maire de la commune de Vélizy-Villacoublay a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction de deux ans ;

2° d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;

3° de mettre à la charge de

la commune de Vélizy-Villacoublay le paiement d'une somme de 3 000 euros en applicati...

Vu la requête, enregistrée le 7 août 2012, présentée pour M. E... D..., élisant domicile..., par Me Tabone, avocat ; M. D...demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102287 en date du 5 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 mars 2011 par lequel le maire de la commune de Vélizy-Villacoublay a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction de deux ans ;

2° d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;

3° de mettre à la charge de la commune de Vélizy-Villacoublay le paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car le Tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur des pièces incomplètes et s'est s'abstenu de faire usage de ses pouvoirs d'instruction en vue d'obtenir la communication des pièces nécessaires à la manifestation de la vérité ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreurs de faits dès lors que la commune affirme que les faits ont commencé en 2009 ; que ses gestes à l'égard de Mme C...ne sont pas établis ; que ses avances à l'égard de Mme A...ne sont pas non plus suffisamment établies ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur sur la qualification juridique des faits dès lors que la définition du harcèlement sexuel est imprécise, que l'administration n'apporte pas la preuve du caractère non désiré des agissements, que ceux-ci n'ont pas créé d'environnement intimidant, hostile ou offensant et notamment pas de dégradation des conditions de travail de MmeC..., et qu'il n'a pas été tenu compte des témoignages en sa faveur déposés par certaines de ses collègues ;

- la sanction est manifestement disproportionnée ;

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;

Vu la directive 2006/54/CE du parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 février 2014 :

- le rapport de M. Luben, président assesseur ;

- les conclusions de M. Delage, rapporteur public ;

- et les observations de Me Tabone pour M. D...et de Me B...pour la commune de Vélizy-Villacoublay ;

Et connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 28 février 2014, présentée pour M.D... ;

Et connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 7 mars 2014, présentée pour la commune de Vélizy-Villacoublay ;

Sur la légalité de la décision attaquée, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 6 ter de la loi susvisée du 13 juillet 1983, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers ; / 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il a témoigné de tels agissements ou qu'il les a relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public " ; qu'il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, dans le courant de l'année 2009, Mme C...a commencé à recevoir sur sa boîte à lettres professionnelle, de la part de M. D..., son supérieur hiérarchique, des courriels flatteurs relatifs à sa tenue vestimentaire ; que les messages de M. D...ont pris à partir de mai-juin 2010 un ton et un contenu de plus en plus grivois, l'intéressé finissant par demander à MmeC..., de manière pressante et explicite, de consentir à des relations sexuelles avec lui, en particulier les 26 et 27 juillet 2010 ; que, d'après MmeC..., il aurait même tenté, le 26 juillet 2010, de pratiquer sur elle un geste déplacé alors qu'il lui avait demandé de venir dans son bureau sous prétexte de faire le " point sur des dossiers " ; que seule l'arrivée inopinée dans la même pièce d'un agent du service aurait mis fin à cette tentative ;

3. Considérant, en premier lieu, que M. D...conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés ; qu'en ce qui concerne les courriers électroniques, il est constant qu'ils ont été adressés par le requérant à MmeC... ; qu'en ce qui concerne la scène qui s'est produite dans le bureau de M. D...le 26 juillet 2010, si la nature exacte des gestes et des propos que ce dernier aurait alors commis ne peut être tenue pour certaine en l'absence d'autre témoignage que celui de MmeC..., il n'est en revanche pas contestable que la réunion à laquelle M. D...avait convié cette dernière n'avait pas de finalité professionnelle, le but que poursuivait ce dernier étant de réitérer ses avances et de parvenir à des contacts physiques, ce dont au demeurant il a ensuite remerciée Mme C...par un courrier électronique adressé quelques minutes après, à 14.48 heures, et libellé ainsi : " Merci, c'était du bonheur pur ! ", suivi d'un autre message à 16.04 h : " Tu étais un peu passive sur une couguar mais je crois que tu avais du potentiel... " ; qu'ainsi, il est établi par les pièces du dossier que M. D...a tenté, au cours des derniers jours du mois de juillet 2010, d'obtenir des faveurs de Mme C...sans qu'importe, pour la qualification de ces faits et l'appréciation de leur gravité, la circonstance que certains détails ne puissent être connus avec certitude ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les faits reprochés ont été exercés par un supérieur hiérarchique sur sa collaboratrice, alors que celle-ci, qui avait perdu son mari l'année précédente était fragilisée sur le plan personnel ; que, d'autre part, le caractère obscène ou indécent de certains des messages adressés par le requérant à MmeC..., lors de l'été 2011, leur lourdeur et leur caractère insistant, contrastant avec la sobriété et le caractère professionnel des quelques messages de Mme C...versés au dossier, les plaintes de M. D...au sujet de la " passivité " de cette dernière, du fait qu'elle restait " sans voix et sans réaction " face à ses avances et serait une " petite fille sage ", établissent, sinon un refus net à ces avances, du moins son défaut de participation ou de complicité à ce qui aurait été, selon le requérant, un " jeu de séduction librement pratiqué entre adultes consentants " ; que les faits sus-rapportés révèlent, en revanche, de la part du requérant, l'existence d'une pression de caractère sexuel exercée sur un agent placé sous son autorité ; que, du fait de sa situation de subordination par rapport à une personne qui risquait de perdre la maîtrise de ses pulsions, Mme C...a hésité à réagir de manière adéquate ; que sa vulnérabilité et sa détresse, par rapport à cette situation, est notamment illustrée par le fait que, pour y mettre fin, elle a été contrainte d'avoir recours aux services d'un ami qui, se faisant passer pour un agent police, a demandé à M. D...de cesser ses agissements sous peine d'en saisir la direction générale des services ; qu'ainsi les actes de pression commis par M. D..., qui ont créé à l'encontre de la victime, une situation intimidante, voire offensante, constituent, contrairement à ce qu'il soutient, des faits de harcèlement sexuel ;

5. Mais considérant, en troisième lieu, que les actes en question, qui n'ont acquis un caractère de gravité que pendant une courte période, n'ont pas été réitérés dès que M. D...a acquis la certitude qu'ils déplaisaient à MmeC... et n'étaient pas souhaités par elle ; que le silence auparavant tenu par cette dernière face aux avances du requérant a pu le maintenir dans l'illusion qu'elle y consentait et y était sensible, étant rappelé que leur relation pendant plusieurs années avait été amicale et familière ; que si la situation de supériorité hiérarchique du requérant a été très certainement appréhendée par la victime et a influé sur son comportement, M. D...n'a pas tenté, quant à lui, de la mettre à profit pour en faire un instrument de pression et de contrainte ; que, dès lors, en infligeant à l'intéressé pour lesdits faits la sanction d'exclusion temporaire des fonctions pour une durée de deux ans en refusant de tenir compte des circonstances atténuantes qui viennent d'être rapportées et alors que le conseil local de discipline avait proposé quant à lui, après avoir entendu notamment le témoignage de la victime, une sanction bien moins lourde, le maire de la commune de Vélizy-Villacoublay a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ; que, par suite, la décision et le jugement attaqués doivent être annulés, sans qu'il y ait lieu de procéder à des mesures d'instruction complémentaires ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que M. D...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 5 juin 2012, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 mars 2011 par lequel le maire de la commune de Vélizy-Villacoublay a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction de deux ans ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Vélizy-Villacoublay le paiement à M. D...de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

8. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Vélizy-Villacoublay doivent dès lors être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement en date du 5 juin 2012 du Tribunal administratif de Versailles et l'arrêté en date du 17 mars 2011 du maire de la commune de Vélizy-Villacoublay sont annulés.

Article 2 : La commune de Vélizy-Villacoublay versera à M. D...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Vélizy-Villacoublay tendant à la condamnation de M. D...au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 12VE03012
Date de la décision : 13/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions - Erreur manifeste d'appréciation.

Travail et emploi - Conditions de travail - Médecine du travail.


Composition du Tribunal
Président : M. DEMOUVEAUX
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. DELAGE
Avocat(s) : SELARL ATYS SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2014-03-13;12ve03012 ?
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