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10/11/2021 | FRANCE | N°19VE02209

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 10 novembre 2021, 19VE02209


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 278 112 euros en réparation des préjudices résultant d'un défaut de diagnostic de l'accident vasculaire cérébral dont elle a été victime le 4 juillet 2015 et de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1704749 du 16 avril 2

019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande indemnitaire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 278 112 euros en réparation des préjudices résultant d'un défaut de diagnostic de l'accident vasculaire cérébral dont elle a été victime le 4 juillet 2015 et de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1704749 du 16 avril 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande indemnitaire de Mme B... et mis les frais d'expertise à la charge de l'AP-HP.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juin 2019, Mme B..., représentée par Me Miaboula, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) d'ordonner une expertise complémentaire ;

3°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme totale de 385 212 euros en réparation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit car le fait de priver un patient d'un traitement et d'une prise en charge susceptible de retarder diminuer ou d'aggraver son état de santé est une perte de chance de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; le retard de l'hôpital Mounier à lui administrer de l'aspirine est une faute médicale ;

- l'erreur de diagnostic du centre hospitalier est fautive ;

- les fautes commises sont la cause directe de l'aggravation et du développement de son préjudice ;

- elle peut prétendre à une indemnisation de 20 000 euros au titre des souffrances endurées, de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique, de 8 500 euros au titre du préjudice d'agrément, de 14 800 euros au titre du préjudice sexuel, de 92 630 euros au titre du " déficit fonctionnel temporaire permanent ", de 12 000 euros au titre du déficit fonctionnel total, de 4 210 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel, de 19 072 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne, de 35 000 euros au titre du coût d'aménagement de sa salle de bain, de 169 000 euros au titre d'une aide en viager ;

- il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise pour déterminer si ses lacunes sont à l'origine de son second accident vasculaire cérébral et si les carences dans sa prise en charge sont totalement ou partiellement la cause du second accident vasculaire cérébral ou aurait eu des conséquences sur son état de santé ;

........................................................................................................

Vu :

- le jugement attaqué ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mauny,

- et les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née le 23 février 1957, a été victime le 3 juillet 2015 d'un malaise sur la voie publique avec notamment une perte de force du bras droit et a été admise au centre hospitalier Rives de Seine de Neuilly-sur-Seine, où un scanner a révélé la présence de deux lacunes apparemment anciennes. Elle a été renvoyée chez elle avec une prescription pour réaliser un examen d'imagerie par résonance magnétique. Le 4 juillet 2015, elle s'est rendue à l'hôpital Louis Mourier en raison de céphalées et de picotements dans le bras droit, et, selon ses déclarations, d'une difficulté à marcher et d'une déviation de la bouche. Après une prise en charge à 10 h 15, puis, à 11 h 10, un examen par un interne qui a procédé notamment à une analyse du scanner réalisé le jour précédent, elle a été renvoyée chez elle vers 15h00 avec une prescription médicale de paracétamol et une lettre pour le traitement d'un lipome cervical. Après consultation de son médecin traitant dans les heures suivant sa sortie, elle s'est présentée au service des urgences de l'hôpital Bichat le jour même à 17 heures 10, où elle prise en charge dans une unité neuro-vasculaire dans laquelle est diagnostiqué un accident ischémique cérébral sylvien gauche. Elle a été prise en charge dans cet hôpital jusqu'au 24 juillet 2015 avant de séjourner dans un centre de rééducation à Asnières-sur-Seine. Le 10 septembre 2015, elle y a été victime d'un second accident vasculaire cérébral et restera prise en charge jusqu'au 23 septembre 2015. Mme B... a demandé le 4 août 2015 à l'hôpital Louis Mourier d'indemniser ses préjudices, résultant des erreurs commises lors de sa prise en charge dans cet hôpital le 4 juillet 2015. Par une demande du 14 avril 2017, Mme B... a ensuite demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'hôpital Louis Mourier à l'indemniser des préjudices résultant des fautes commises le 4 juillet 2015 dans sa prise en charge au sein de cet établissement. Par une ordonnance du 24 mai 2017, la demande de Mme B... a été transférée au tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par une ordonnance du 11 octobre 2017, le président du tribunal administratif de Cergy Pontoise a désigné le docteur A..., neurologue, pour qu'il se prononce sur les causes et l'étendue des préjudices subis par l'intéressée. L'expert a remis son rapport le 10 avril 2018. Par un jugement du 16 avril 2019, le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme B..., qu'il a regardées comme dirigées contre l'Assistance publique- Hôpitaux de Paris, et a mis les frais d'expertise à la charge de cet établissement. Par la présente requête, Mme B... demande à la cour de réformer ce jugement et de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 385 212 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, et en particulier des conclusions du rapport d'expertise du 10 avril 2018, que Mme B... a été victime d'un infarctus lacunaire qui a évolué depuis le 2 juillet 2015 jusqu'au 4 juillet, date à laquelle il a été diagnostiqué à l'hôpital Bichat. Il en résulte également qu'elle présentait dès le 3 juillet 2015 des signes cliniques, notamment un tiraillement et une perte de force dans le bras droit, qui auraient justifié, après le constat par scanner d'une petite séquelle vasculaire dans le territoire profond de l'artère sylvienne gauche, son admission dans une unité neuro-vasculaire pour une poursuite de bilan par le centre hospitalier Rives de Seine de Neuilly-sur-Seine. Il résulte également de l'instruction que le 4 juillet 2015 Mme B... s'est présentée à l'hôpital Louis Mourier, vers 10h00, avec des symptômes similaires. Si la requérante évoque des difficultés d'élocution et de marche ainsi qu'une déviation de la bouche, il ne résulte pas avec suffisamment de certitude de l'instruction qu'ils étaient présents au moment de sa prise en charge au service des urgences de l'hôpital. Après avoir été examinée par un interne à 11h10, qui a jugé son examen neurologique normal, Mme B... a quitté l'hôpital vers 15h00 avec une prescription de paracétamol et un courrier pour la prise en charge d'un lipome. Le compte rendu des urgences fait état d'un kyste comme motif de la consultation et porte comme diagnostic principal des douleurs musculaires. Après consultation de son médecin référent, Mme B... s'est présentée à 17h10 au service des urgences de l'hôpital Bichat où elle a été admise en unité neuro vasculaire après que les signes cliniques d'un accident vasculaire cérébral ont été identifiés, et notamment une paralysie faciale droite et un déficit moteur du membre supérieur droit depuis 72 heures. La réalisation d'une IRM a confirmé l'existence d'un accident ischémique cérébral semi-récent sylvien gauche. Les examens réalisés après un second accident vasculaire cérébral le 10 septembre 2015 concluent à une conséquence d'une maladie dite " des petits vaisseaux ".

4. S'il ressort du rapport d'expertise que l'accident ischémique cérébral dont Mme B... a été victime a progressé par intermittence entre le 2 et le 4 juillet 2015, avec des symptômes fluctuant d'un jour à l'autre, il en ressort également que les signes cliniques qu'elle présentait depuis le 3 juillet 2015, et notamment le 4 juillet 2015 lors de son admission au service des urgences de l'hôpital Louis Mourier, justifiaient, au regard notamment des facteurs de risque la concernant, tels qu'un diabète, une hypertension, une hypercholestérolémie et le tabagisme, la suspicion d'un accident vasculaire cérébral et son orientation vers une unité neuro-vasculaire pour réalisation d'un bilan approfondi et une prise en charge médicale adaptée, notamment par l'administration d'un antiagrégant de nature à réduire les risques de récidive. Il ressort également dudit rapport que la prise en charge par l'hôpital Louis Mourier, qui n'a pas procédé à cette orientation mais a seulement délivré à la requérante du paracétamol et une prescription pour le traitement d'un lipome cervical, était non adaptée et non conforme aux données de la science médicale.

5. Dans le cas où les fautes commises lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier ont compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement des fautes commises par le ou les établissements en cause, et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe aux hôpitaux doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il ne résulte pas du rapport d'expertise, même si le traitement par antiagrégant qui réduit les risques de récidive de 50 % s'agissant des infarctus lacunaires n'a été délivré qu'à l'hôpital Bichat le 4 juillet 2015, que l'absence d'administration d'aspirine et de prise en charge adaptée à l'hôpital Louis Mourier aurait eu pour conséquence la récidive survenue le 10 septembre 2015, laquelle est imputée au développement d'une maladie dite " des petits vaisseaux ". S'il résulte également du même rapport que le traitement des infarctus lacunaires repose sur le traitement des facteurs de risque vasculaire, il n'en résulte pas en revanche, pas plus que d'un autre élément du dossier, que le défaut de diagnostic et de prise en charge adaptée à l'hôpital Louis Mourier aurait fait perdre à Mme B... une chance d'échapper à une aggravation ou d'obtenir une amélioration de son état résultant de l'accident du 2 juillet 2015. Le lien de causalité entre le défaut de diagnostic et de prise en charge médicale adaptés au service des urgences de l'hôpital Louis Mourier le 4 juillet 2015 et les préjudices résultant des deux accidents vasculaires cérébraux dont a été victime Mme B... le 2 juillet puis le 10 septembre 2015 n'est donc pas établi. Les conclusions indemnitaires de Mme B..., qui ne peut pas utilement soutenir que tout retard ou absence de prise en charge est nécessairement constitutif d'une perte de chance d'obtenir une amélioration ou d'échapper à une aggravation de son état de santé de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ne peuvent qu'être rejetées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme B... n'est pas fondée à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 16 avril 2019.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 19VE02209 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02209
Date de la décision : 10/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : MIABOULA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-11-10;19ve02209 ?
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