La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2022 | FRANCE | N°20VE01602

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 13 octobre 2022, 20VE01602


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler la décision du 5 août 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible et lui interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui d

livrer un titre de séjour dans un délai de trente jours sous astreinte de 50...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler la décision du 5 août 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible et lui interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer son dossier selon les mêmes modalités.

Par un jugement n° 1909343 du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 5 août 2019 et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2020, sous le n° 20VE01602, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. A... répondait à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que l'ancienneté de sa résidence, au demeurant non établie, et la production d'une promesse d'embauche ne constituent pas de tels considérations ou motifs, et qu'il ne justifie d'aucune intégration professionnelle ou sociale en France ;

- aucun des autres moyens soulevés par M. A... en première instance n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2020, M. A..., représenté par Me Bulajic, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que le moyen d'appel soulevé par le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé.

II°) Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2020, sous n° 20VE01605, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n°1909343 du 16 juin 2020 du tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que les dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative trouvent à s'appliquer au regard de l'existence d'un moyen propre à justifier l'infirmation de la solution retenue par les premiers juges ainsi que le rejet des conclusions à fin d'annulation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2020, M. A..., représenté par Me Bulajic, avocat, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les dispositions des articles R. 811-15 et 17 ne sont pas applicables en l'espèce.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me Bulajic, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant indien né le 15 mars 1980, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour dans le cadre des dispositions de l'article L. 313-14 alors applicable du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 août 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance de ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant deux ans. Par la requête n° 20VE01602, le préfet de la Seine-Saint-Denis fait appel du jugement n°1909343 du 16 juin 2020, par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la requête n° 20VE01605, le préfet demande, en outre, à la cour, de prononcer le sursis à exécution du même jugement.

Sur la jonction :

2. Les requêtes précitées n° 20VE01602 et n° 20VE01605 présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur la requête n° 20VE01602 :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-14 alors applicable du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".

4. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 5 août 2019, les premiers juges ont estimé que le préfet de la Seine-Saint-Denis avait méconnu les dispositions précitées dès lors que M. A... est présent en France sans discontinuer depuis, au moins, l'année 2009 comme en attestent les nombreuses pièces concordantes qu'il produit, et qu'il dispose d'une promesse d'embauche en qualité d'électricien. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que M. A..., célibataire et sans charge de famille, ne justifie ni même ne fait état de l'existence d'attaches familiales ni de quelconques liens affectifs ou personnels en France, alors qu'il ne conteste pas avoir vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans au moins dans son pays d'origine, où résident encore sa mère et ses deux frères. Par ailleurs, si M. A... fait valoir son intégration professionnelle en France, il n'apporte toutefois aucune pièce permettant de justifier d'une activité professionnelle depuis son arrivée sur le territoire. La promesse d'embauche dont il se prévalait en première instance n'a pas été suivie d'effet, faute de titre de séjour, et il ne travaille comme électricien dans une autre entreprise, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel, que depuis novembre 2020, soit postérieurement à la décision attaquée. Dans ces conditions, et dès lors que l'intéressé, qui a fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français non exécutées en 2014 et 2017, ne justifiait ni de l'intensité, de l'ancienneté et de la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France, ni même d'une insertion professionnelle forte dans la société française, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler son arrêté, le tribunal administratif de Montreuil s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la demande :

6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".

7. Pour refuser la délivrance au requérant d'un titre de séjour, le préfet de la Seine-Saint-Denis a estimé que les preuves de présence produites n'étaient pas suffisamment probantes pour démontrer la réalité de la résidence habituelle de l'intéressé en France depuis dix ans au moins. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... était présent sur le territoire français dès le premier semestre 2009 au moins. Il produit ainsi de nombreuses pièces, avec des adresses stables et des dates concordantes, comprenant notamment des ordonnances horodatées, des avis d'impôt sur le revenu mentionnant des revenus, des relevés bancaires détaillant des opérations localisées en France, des attestations de chargement de son pass navigo, ainsi que des cartes d'aide médicale d'Etat et, à compter de 2018, un bail et des factures relatives à un logement. Ces pièces constituent un faisceau d'indices précis et concordants de nature à établir que le requérant résidait en France de manière habituelle et continue depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions et en dépit de l'inexécution de deux mesures d'éloignement, lesquelles ne sauraient être regardées comme ayant interrompu la continuité de la résidence habituelle de l'intéressé, le requérant est fondé à soutenir qu'en ne soumettant pas pour avis à la commission du titre de séjour sa demande fondée sur l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché sa décision d'un vice de procédure de nature à le priver d'une garantie.

8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 5 août 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

10. Dans son article 2, le jugement attaqué, qui avait annulé pour un motif de légalité interne l'arrêté du 5 août 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis, avait fait injonction à ce dernier de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". S'il confirme l'annulation prononcée en première instance, le présent arrêt censure toutefois le motif retenu par les premiers juges, pour se fonder sur un motif de légalité externe, qui est le seul en l'état de nature à justifier l'annulation et qui n'implique pas nécessairement la délivrance de ce titre de séjour. Il y a lieu, dès lors, de réformer l'article 2 du jugement du 16 juin 2020 du tribunal administratif de Montreuil, en tant qu'il a enjoint au préfet de délivrer à l'intéressé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de se prononcer à nouveau sur la situation de M. A..., après saisine de la commission du titre de séjour, dans le délai de quatre mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal lui a enjoint de délivrer une carte de séjour à M. A....

Sur les frais d'instance :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 20VE01605 :

13. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 20VE01602 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20VE01605 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A..., après saisine de la commission du titre de séjour, dans le délai de quatre mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 2 : Le jugement n° 1909343 du 16 juin 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 20VE01602 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... présentées devant le tribunal administratif de Montreuil est rejeté.

Article 6 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20VE01605 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Saint-Denis et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

M. Lerooy, premier conseiller,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

La rapporteure,

C. B...La présidente,

L. Besson-LedeyLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Nos 20VE01602... 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01602
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: Mme DEROC
Avocat(s) : BULAJIC

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-10-13;20ve01602 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award